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Pages d'histoire La mission Sea Urchin

29 novembre 2019

Terry Hodgkinson qui avait déjà livré une histoire de la mission Frédérick, « La mission oubliée », rend compte ici de son travail de recherche, aux archives de son pays, en Angleterre, sur la mission Sea Urchin placée sous les ordres de Fred Scamaroni. Nous publions, avec son aimable autorisation, la partie qui traite de la mission.

Fred Scamaroni, l’homme idoine

A Londres, le Colonel PASSY, chef du Service Action du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action) de la France Libre, promut Fred Scamaroni, à peine arrivé de Vichy, au grade de capitaine et le brancha sur la section RF (Section Gaulliste de SOE). Un retour immédiat en France aurait été une folie. On lui confia la tâche de briefer les nouveaux agents et d’interroger les nouveaux arrivés. Durant son temps libre, il pensait à la Corse. II se demandait si le travail qu’il avait commencé – Scamaroni s’était déjà rendu en Corse – progressait avec succès. Les rapports en provenance de Corse arrivaient avec une régularité croissante. Scamaroni était persuadé que tôt ou tard il y aurait un débarquement en Corse. Il n’avait aucune idée de ce que faisait la section F (la section française indépendante de SOE) mais il savait par contre que le Service Action des Français Libres n’avait aucun représentant direct du BCRA sur l’île. Qui était mieux qualifié que lui pour y être envoyé ?

Le 08 novembre 1942 eut lieu l’opération Torch, le débarquement en Afrique du Nord, et dans les trois jours qui suivirent, toute la France métropolitaine fut occupée par les Allemands. En Corse,  débarquent 80 000 hommes des troupes italiennes. L’ OVRA (Organisation Vigilance Répression Antifasciste), la police secrète Italienne, passait systématiquement l’île au peigne fin à la recherche des opposants patriotes. Scamaroni insista pour qu’on l’ y envoie avant que tout ce qu’il avait mis en route ne soit démoli et détruit. Le 27 novembre 1942 à Londres une réunion se tint au quartier général des Forces Alliées pour considérer les possibilités d’action en Corse et en Sardaigne. Ces deux îles avaient pris de l’importance après le débarquement en Afrique du Nord comme de possibles objectifs pour une invasion et comme des échelons pour progresser vers l’Europe du Sud. Jusqu’ici le SOE ne s’était que peu ou pas du tout impliqué dans l’une ou l’autre île : le quartier général des Forces Alliées donna son aval à la création pour le SOE d’un réseau, sans pour autant que la guérilla ne commence avant qu’une invasion ne soit prévue et une date fixée. Le SOE décida d’installer un organisateur jouissant des facilites d’un appareil de TSF pour préparer des comités d’accueil pour d’autres approvisionnements en matériel et personnel. L’objectif ultime du SOE était de constituer de fortes forces de guérillas dont la principale tâche aurait été probablement de soutenir un débarquement allié en Sardaigne en neutralisant les camps d’aviation de l’Axe en Corse.

Objectif et mise en place de la mission

Dans une rare démonstration de coopération entre la section gaulliste RF et la section F du SOE, il fut décidé de monter une opération conjointe, formule qui ne fut jamais plus reprise. La section F collabora avec des résistants potentiels qui, pour une raison ou une autre, ne désiraient pas coopérer avec De Gaulle. Elle passa ensuite sous l’influence du général Giraud que Roosevelt préféra à De Gaulle. Les gaullistes choisirent Scamaroni pour diriger la mission. On devait lui adjoindre un opérateur radio choisi également par la section RF. Il [De Gaulle] était arrivé à ses fins.

Après le débarquement Torch, le SOE avait installé une base, la section AMF, en Afrique du Nord, sur une ancienne zone d’aménagement de villas privées ; plus précisément, au « Club des pins » à Sidi Ferruch, situé à 17 miles à l’ouest d’Alger. La villa se composait de bungalows sur un étage, avec une vaste salle à manger, le tout au milieu de dunes de sable, dans un espace d’une centaine d’acres, limité par des barbelés. Le but était d’y entraîner les agents du technique, de la transmission sans fils, du sabotage, du parachutage et au maniement des canots en caoutchouc de débarquement. On donna plus tard, à la base le nom de Massingham, celui qui en était le responsable.

La mission de Scamaroni fut baptisée Sea Urchin (Oursin) OR DAB. Avec son opérateur radio, Scamaroni fut transféré à Gibraltar puis à Alger où ils devaient rejoindre le commandant en second. L’équipe se décomposait ainsi :

Organisateur en chef (provenant de la Section RF). Vrai nom: Godefroy François Scamaroni. Fausse identité : François SEVERI. Noms de code opérationnel: Flagfish (jusqu’au 30 novembre), puis Sea Urchin Major. Nom utilisé en déplacement sur le terrain: capitaine Sarment, officier français attaché au War Office.
Fausse identité pour la Corse: Joseph Antoine Grimaldi, agent d’Assurance.

Commandant en second (provenant de la Section F du SOE). Vrai nom: James Anthony Jickell. Ne le: 22.06.1917. De père Anglais, de mère Française d’origine italienne, passa sa première enfance en Italie. S’établit dans le Sud de la France et entra dans les affaires du secteur agro-alimentaire. Rejoignit SOE en octobre 1942. Parle anglais, français et Italien. Nom de code: Publisher (Editeur). Fausse identité : André MEYNARD. Nom utilisé sur le terrain: Ambroise.
Nom de code opérationnel (utilisé par les Français) : POT W

Opérateur radio (Provenant de la section RF). Vrai nom: Jean-Baptiste Hellier, sergent chef, né a Limoges le 01.09.1906. Profession: Installateur d’équipements de boulangerie. Adresse : 114, rue Messonier, Limoges.
Carrière militaire: appelé en novembre 1926, caporal le 10 mai 1927, sergent le 11 novembre 1927, mobilisé le 02 septembre 1939 au 307e régiment d’infanterie, fait prisonnier le 29 juin 1940 a Strasbourg, évadé via la Russie. Autre identité : Lieutenant Henri.
Nom de code opérationnel : Sea Urchin Minor. POT W (utilisé par les Français) Henri.

Ainsi se composait l’équipe qui devait s’infiltrer en Corse. On avait prévu que Scamaroni serait rappelé après environ un mois et qu’un autre agent de RF, Gurnet, accompagné d’un opérateur radio, Mechanic, rejoindrait le groupe. Gurnet travaillerait avec Hellier et Jickell avec Mechanic. Les ordres que Scamaroni avait reçus de Londres étaient très clairs. II devait unifier le mouvement de la résistance en Corse, établir le contact radio entre la Corse et Londres, procurer des armes à la résistance et organiser tous les groupes de résistants gaullistes.

L’ arrivée en Corse

La BBC annonça l’arrivée imminente de Sea Urchin avec le message suivant : « Gaston a mangé le saucisson et son ami viendra manger la coppa ». Gaston était le nom de code de Colin, un jeune officier de liaison qui avait rejoint la Corse en juillet 1942 et en était revenu sain et sauf.

Le 30 décembre 1942, un sous-marin anglais, H.M.S. Tribune commandé par le Lieutenant Porter, largua les amarres à Alger et mit le cap sur la Corse. A son bord se trouvait Scamaroni, Jickell et Hellier. Leur bagage consistait en trois postes de radio, deux valises de vêtements, trois caisses de matériel, un million de francs français, des armes blanches, des grenades et une bicyclette pliante. Tous les bagages avaient été emballés et « déguisés » pour ressembler aux rochers que l’on rencontre communément le long de la côte corse.

Le premier janvier 1943, H.M.S.Tribune arriva au large de la Corse pour découvrir qu’il y faisait un temps affreux et que la mer était beaucoup trop agitée pour tenter un débarquement. Ce n’est que durant la nuit du 6 au 7 janvier que le Tribune fit surface dans la baie de Cupabia, à 20 miles au sud d’Ajaccio. Un autre point de débarquement avait été écarté à cause des projecteurs qui balayaient la plage. Scamaroni et ses deux camarades furent amenés sur le gaillard d’avant. Deux membres de la section navale du SOE les emmenèrent à la rame jusqu’au bord. Ils les déposèrent sur une petite plage déserte près de U Scogliu Biancu (le rocher blanc). De retour a bord du sous-marin, ils rapportèrent que les agents avaient rejoint la terre ferme sans autre inconvénient que d’avoir les pieds mouillés. Ils étaient seuls sur la plage, dans l’obscurité totale et sous une pluie battante.

Scamaroni était impatient de rejoindre Ajaccio. Après avoir fait répéter à Jickell et Hellier l’adresse et le mot de passe d’une maison sûre a Ajaccio, il les laissa cacher leurs équipements et se mit en route pour Ajaccio, moitié à pieds, moitié à vélo. Jickell et Hellier dissimulèrent les valises dans les broussailles et prirent à pieds le même chemin que Scamaroni à travers le maquis tortueux. Que chacun arrive à bon port tenait de l’exploit en soi. Scamaroni avança péniblement la moitié de la nuit avant d’atteindre la rivière Taravo. Complètement vidé de ses forces il s’affaissa dans un fossé et dormit jusqu’à l’aube. Il arriva à Ajaccio la nuit suivante et se rendit au domicile d’Archange RAIMONDI, nom de code « Rud », propriétaire d’une entreprise de camionnage, de deux cinémas à Bastia, et d’un cinéma à Ajaccio. Raimondi le reconnut à peine avec sa moustache qu’il s’était récemment laissé pousser, ses lunettes et son lourd manteau de cuir. Ils échangèrent les mots de passe : pour Scamroni, « de la teinturerie », pour Raimondi, « de Toulouse« .

Scamaroni désirait se mettre au travail immédiatement malgré son état d’épuisement évident, et Raimondi fit venir Vignocchi et Poli, des amis sûrs. Ils parlèrent jusqu’aux premières heures du jour. Jickell et Hellier ne donnaient aucun signe de vie. Vignocchi et Poli partirent à leur recherche en voiture. On les retrouva miraculeusement, traînant les pieds. Ils s’étaient perdus à plusieurs reprises et souffraient d’une faim dévorante. On les emmena jusqu’à Ajaccio pour les installer dans une maison sûre. Le lendemain, 09 janvier, Hellier aidé de Pierre Bianchi, Nicolas Antona, Paul PARDI et Bernard Ceccaldi, partit en taxi chercher les bagages cachés. Ils s’étaient déguisés en pêcheurs et saluèrent même une patrouille italienne qui passait. Ils s’attribuèrent les services d’un âne errant avant de retrouver sans difficulté l’endroit où était caché le matériel. Malheureusement l’une des valises manquait. A quatre heures du matin le chargement était au bord de la route, prêt à partir, mais le groupe fut interpellé par une patrouille italienne. Ils expliquèrent qu’ils allaient prendre le premier bus postal du matin pour Ajaccio et furent autorisés à continuer. Le bus fut fouillé par un gendarme qui tapota légèrement sur les caisses sans les faire ouvrir.

Rendus sans encombres à Ajaccio, on découvrit que la valise manquante appartenait à Scamaroni. Elle contenait une partie des fonds de guerre pour la mission, 600 000 Francs et 500 dollars, des vêtements, des armes et des quartz de rechange pour les radios. Chacun suspecta que l’OVRA était déjà à leur recherche. Scamaroni était d’avis que si l’ OVRA était le responsable, ils auraient soit tout pris soit rien pris du tout préférant s’embusquer en attendant que les agents viennent chercher leurs affaires.

S’organiser. Communiquer. Retrouver la valise disparue.

Bianchi installa le récepteur radio dans une maison sûre et Hellier envoya le premier message. Le 25 Janvier ses signaux furent captés par Massingham à Alger mais étaient inintelligibles. Cela devait être le cas durant toute la mission en Corse et les communications avec Sea Urchin à partir de Massigham se firent par l’intermédiaire de Londres. L’une des raisons possibles pourrait être que le poste utilisé était un A.M.K II ou que c’était une démarche délibérée de la part de Scamaroni afin de conserver sa première ligne de communication avec la section RF de De Gaulle à Londres, court-circuitant ainsi la Section AMF de Massingham. Le premier message d’Hellier fut reçu à Londres le 2 Février 1943. Il disait : « Equipe en sécurité STOP. Equipement Ajaccio. Féliciter équipage sous-marin. STOP. POT A (Jickell) part demain à la recherche de terrains d’atterrissage. STOP. Jours de pêche autorisés et limités à certains golfes.

Parallèlement on avait entrepris des recherches discrètes pour savoir comment la valise avait disparu. Ils remarquèrent au bar du coin un berger de 17 ans qui dépensait beaucoup, payant avec des billets fraîchement imprimés. Après quelques menaces de mort selon la tradition corse, et le serment de garder le silence, les parents du berger finirent par rendre la valise et son contenu avec les trois quarts de l’argent. Le fait que Scamaroni était arrivé avec des billets neufs alors que ne circulaient sur l’île que des billets déchirés ou défraîchis alerta Raimondi qui fit en sorte que l’ensemble du cash de la mission soit échangé contre des espèces qui attirent moins les regards.

Sous l’identité de Grimaldi, avec l’argent, Scamaroni s’attaqua d’emblée à l’organisation de son état major. Il se composait ainsi : Chef Scamaroni. Adjoint: Raimondi. Chef militaire : Colonel Ferrucci. Adjoints Serafini et Cussac. Renseignements et section politique : Poli. Adjoints: Bost, Martini, Muraccioli. Sabotage et intendance : Jickell. Adjoints: Paul Pardi, Ange Brand Defendini. Officier radio: Hellier. Adjoints : Vieau, Colombini. Codes et chiffre : Scamaroni, Cauvin, Marcangeli et Poli.
La Corse fut divisée en secteurs. Raimondi était responsable d’Ajaccio, Paul Giacobbi et le Docteur Barttesti s’occupaient du Nord et Poli de Sartène au Sud. On forma des troupes de choc. Jickell fit des reconnaissances quant aux zones de parachutage et des plages convenant au débarquement des sous-marins. Plus tard, Jickell devait se plaindre dans le rapport qu’il présenta à son retour à Londres, de ce que toutes ses suggestions de sites de largage le long des côtes avaient été rejetées alors que l’on avait choisi les sites où la côte était surveillée. Il se plaignit aussi de ce que les livraisons d’armes étaient trop faibles compte tenu des risques encourus.
Le 5 février Massingham fut informé par Londres que les détails de l’opération d’infiltration de Mechanic/Burnet devaient être mis au point entre eux et Sea UrchinMassingham répliqua que, du moment qu’il leur était impossible d’établir un contact radio en Corse avec Sea Urchin, ne pouvaient-ils pas demander à Sea Urchin de proposer un point de débarquement sur la côte ouest? Ils avisèrent également Londres que Mechanic/Burnet avaient quitté Londres et étaient en route pour Alger.

Une mission hérissée d’obstacles

Scamaroni découvrit bientôt que les différents groupes corses de résistance rechignaient à s’unir derrière De Gaulle. L’organisation « Libération » avait déjà demandé un message de la BBC pour prouver la bonne foi de Scamaroni. « Franc Tireur », contrôlé par le général Mollard, Commandant militaire de la Corse de 1939 à 1940, déclara mettre son organisation à la disposition de de Gaulle à la condition que la BBC diffusât un message pour « Jacqueline« : « Tout est dans Balzac« .
Mais le 27 février, Sea Urchin se plaignit que Rossi, de Franc Tireur, déclarait être le seul représentant en Corse des combattants français et non pas Scamaroni, et qu’il s’était rendu à Londres pour établir le contact. Londres le démentit et confirma la nomination de Scamaroni comme coordinateur en chef de tous les groupes de résistance en Corse.
Sea Urchin
 eut encore à se plaindre de Rossi, l’accusant de ne pas prendre assez de mesures de sécurité et d’avoir offert une grosse somme d’argent à l’un des officiers de Mollard, le Colonel Ferrucci, pour le convaincre de rejoindre les combattants français. Sea Urchin se plaignit en outre de ce que, à cause de Rossi, l’évacuation par sous-marin du Général Mollard était devenu un sujet de conversation à Ajaccio et Bastia.
Les communistes et le Front National, de son obédience, se déclarèrent prêts a suivre De Gaulle. Leur chef à Bastia, Nonce Benielli, annonça que le Front National était en mesure de rassembler trois mille hommes mais il voulait en échange des armes, de l’argent et partager les renseignements. Nonce Benielli offrit l’un de ses hommes, Jacques Tavera, comme garde de corps et agent de liaison dans l’organisation de Scamaroni. Scamaroni fut d’accord. Il découvrit bientôt que Tavera avait fréquenté Hellier et l’avait fait boire pour en tirer des informations sur les Français libres. Scamaroni protesta auprès de Benielli qui nia sa responsabilité dans cette affaire. Vu le peu d’empressement de la part des divers groupes à donner leur soutien à De Gaulle, il y eut un autre problème plus sérieux. Hellier buvait beaucoup et se trouvait dans l’incapacité de transmettre les messages à Londres. On prétend qu’il aurait dit: « J’en ai marre de ce boulot! Si on est pris, je serai le premier fusillé ! ». Vieau (RUD W) fut formé pour le remplacer.
En date du 23 février, Scamaroni n’avait pas encore fourni de point de débarquement pour la mission Mechanic/Gurnet. Il avait envoyé tous les détails sur les terrains de parachutage « Morue » et « Barbot », près de Sartène et avait demandé des opérations de parachutage sur les deux sites: deux hommes avec quatre containers à « Morue » et cinq containers à « Barbot ». Massingham répondit via Londres que les opérations de parachutage depuis Alger étaient difficiles vu qu’ils ne disposaient pas d’avion.
Scamaroni répondit que si Mechanic et Gurnet devaient arriver par sous-marin, il faudrait des armes de petit calibre. Le nombre exact serait défini seulement quand le chargement se ferait. Il demanda également à prolonger son séjour en Corse d’un mois, plutôt que de quitter l’île à l’arrivée de Mechanic/Gurnet. Comme il devait se rendre à Bastia pour continuer son travail, il demanda que le message « Séraphine et Prospérine embrassent la famille » soit diffusé par la BBC pour prouver une fois encore sa bonne foi. Le 6 mars, Scamaroni envoya un message à Londres rapportant qu’un colonel italien dénommé Prunelli était disposé à vendre le plan de défense italien de la Corse à condition que toutes les mesures courantes de sécurité soient prises.
Scamaroni qui ne se fiait plus à Hellier opéra lui même. Il demanda à Londres de débloquer 500 000 Frs pour l’affaire. Londres demanda le maximum de renseignements sur le colonel, son État Major, et si oui ou non le plan en question comprenait la Sardaigne. Le 6 mars, Londres répondit par câble à Massingham qui l’interrogeait à ce sujet, que ni eux ni les autres départements ne savaient quelque chose sur Prunelli.
La date du débarquement de Mechanic/Gurnet fut finalement choisie par Londres : n’importe quel jour, après le 12 mars. On choisit le Golfe du Valinco. Londres essaierait d’envoyer un message de confirmation par la BBC comme Scamaroni l’avait demandé. Lui et son équipe attendirent en vain pendant cinq jours au point de rendez-vous avec le sous-marin, se cachant le jour et faisant la garde de nuit. Tout fut finalement annulé. Déçus, Scamaroni et ses hommes s’en retournèrent à Ajaccio.

Pour son malheur, la mission de Scamaroni croise celle de Sardaigne.

A peu près, au moment de l’arrivée de Scamaroni en Corse, l’opération Avocat fut montée à Massingham par la section italienne du S.O.E. afin d’infiltrer deux agents en Sardaigne. Le 4 janvier 1943, le sous-marin H.M.S. Splendide commandé par le Lieutenant Ian McGeoch, débarqua deux agents: Adler et Pisano. L’opération devint Operation Moselle.
1 -Gabriel Adler. Né a Satumare, Hongrie, le 15.09.1919. Nationalité Hongroise, juive. De parents hongrois. Vécut à Budapest jusqu’en 1922. Déménagea au milieu de l’année 1922 à Merano, Italie, avec ses parents où il fut scolarisé. De 1930 à 1934 il étudia à Essingen en Allemagne. Retour en Italie durant les années 1934 à 1939 où il vécut à Milan, mis à part un séjour de 4 mois, en 1937, à Budapest. A cause des nouvelles lois raciales il décida de quitter l’Italie pour se rendre a Tanger en 1939 où il travailla comme serveur et cuisinier dans divers restaurants jusqu’en novembre 1941. Il se rendit ensuite à Gibraltar avec l’aide du consulat britannique et de là gagna l’Angleterre où il arriva le 8 janvier 1942.
2 -Giovanni Pisano, de son vrai nom Salvatore Serra. Né à Solarussa, Sardaigne, le 22.02.1909. Nationalité italienne. Nom du père : Giovanni Serra (décédé). Nom de la mère: Cristina Serra (Née Pile). Vécut en Sardaigne où il fit sa scolarité. Rejoignit la police italienne (les carabiniers) en 1927. Résida dans différentes villes jusqu’en 1936, date à laquelle il fut envoyé a Harar (Abyssinie). Il fit de la propagande antifasciste avec les Abyssiniens (1). En août 1938, il fut averti par un juge d’Harar qu’il avait été dénonce et était sur le point d’être arrêté. Il s’enfuit jusqu’en Somalie britannique où il se rendit à la police. On le laissa en liberté et il fut nourri et logé par le gouvernement britannique. Il n’eut aucune occupation et y resta jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie, le 10 juin 1940. Il fut alors arrêté et envoyé à Bombay. De là, il fut transféré dans le camp de concentration de Ahmednager avant d’être conduit en octobre 1941 à Dhera Dun. En décembre 1941, il reçut la visite d’un représentant du SOE, fut expédie à Delhi le 13 janvier 1942, puis après quelques jours, dirigé sur le Caire. Il quitta le Caire le 3 mars 1942 et arriva en Grande Bretagne le 7 mars 1942. A son arrivée il fut interrogé par un enquêteur du M.I.5 qui ne se montra pas convaincu par son histoire et fit les commentaires suivants : « En attendant, Serra doit être vu par Baker Street. Peut-être en sait-il davantage à son sujet. Si cela n’est pas le cas, a mon avis, il y a un certain risque à faire entièrement confiance à cet homme ».

Serra, le 12 mars 1942, reçut la visite de deux officiers du SOE au Centre d’investigations, en présence de l’enquêteur du MI 5 qui, après la visite, confirma son opinion: « Je ne suis pas convaincu que son histoire, telle qu’il la raconte, soit vraie. C’est pourquoi je maintiens qu’il y a un certain élément de risques à employer cet homme, voire à le relâcher ». « Les officiers qui ont vu cet homme sont prêts à le prendre avec eux. Je puis tout à fait comprendre que, vu les circonstances, ils soient obligés d’accepter un certain élément de risque dans presque chaque cas et je ne suis pas en mesure de prétendre dans ce cas particulier que cet élément de risque est trop grand. Il est simplement de mon devoir de souligner qu’il existe ».
Il apparut clairement, peu de temps après l’infiltration de Serra et Adler en Sardaigne, que leurs transmissions radio étaient sous le contrôle des Italiens. La première théorie fut que Serra avait trahi Adler immédiatement après leur débarquement. A Massingham en Algérie, avant la mission Sea Urchin de Scamaroni en Corse, Hellier, l’opérateur radio de la RF, avait connu Serra. Ils s’étaient connus autour d’un verre et Hellier avait été impressionné par les histoires de Serra sur la propagande antifasciste en Abyssinie et son voyage à Londres. Pour Hellier, Serra était un vrai résistant.

 

Scamaroni s’était fondu dans la vie de la Corse et sa petite silhouette sillonnait inlassablement ‘île de long en large. Vers le milieu du mois de mars, ses efforts pour unifier le mouvement de résistance commencèrent à porter leurs fruits. L’œuvre de Scamaroni était presque achevée. En ce qui le concernait, un débarquement allié pouvait se faire d’ici la fin mai. Mais bientôt l’OVRA remporta quelques succès et procéda à des arrestations à Bastia. Le 17 mars, aux environs de 11h du matin, Hellier prenait un verre dans un bar sur le port d’Ajaccio qui servait de boîte postale pour les messages destinés à Sea Urchin. Les détails suivants proviennent du rapport que fit Jickell à son retour en Angleterre : « Hellier fut abordé par trois Italiens en civil, poussé à l’arrière d’une voiture en stationnement et emmené en direction de la citadelle »Deux hommes de Jickell avaient été témoins de l’arrestation et avaient immédiatement averti leur chef qu’Hellier avait été enlevé. Jickell, immédiatement, en avertit Scamaroni et ordonna la dispersion provisoire des membres de la mission. Malheureusement, Scamaroni fut d’avis que tant qu’un opérateur radio restait en liberté (l’homme recruté localement), son devoir à lui était de continuer. Jickell lui donna l’adresse de sa planque et dispersa son groupe.

Raimondi fut informé de l’arrestation de Hellier mais n’en avisa Scamaroni qu’à quatre heures de l’après-midi et tenta de le persuader de changer de domicile. Celui-ci refusa. Il fit envoyer par Vieau un dernier message relatant l’arrestation de Hellier et le besoin urgent qu’il avait d’un autre opérateur radio. Scamaroni était persuadé qu’Hellier ne parlerait pas avant au moins 24 heures, lui laissant le temps de régler ses affaires avant de s’évaporer dans la nature. Jickell arriva sans dommage à Bastia, accompagné de Paul Pardi, Ange Defendini et Pierre Mattei. Mais l’OVRA ne pouvait attendre 24 heures. Ils se mirent à torturer brutalement Hellier jusqu’à ce qu’il flanche et confesse le peu qu’il savait que son chef était le capitaine Severi, mais qu’il n’avait jamais su où il habitait. Hellier fut promené à travers les rues d’Ajaccio et forcé de désigner les gens qu’il connaissait. Chaque maison montrée du doigt fut fouillée par les soldats italiens et leurs occupants arrêtés. A la tombée de la nuit, Scamaroni avait donné ses derniers ordres et était prêt à partir pour Bastia le lendemain. Il dormait paisiblement quand finalement les carabinieri, traînant un Hellier roué de coups et en sang, firent irruption dans la maison où Scamaroni et ses hôtes dormaient. Les perquisiteurs trouvèrent le poste radio dans une pesante valise verte. Tous furent emmenés à la citadelle d’Ajaccio; en tenue de nuit, relate Sias, membre de la S.I.M., le service d’information militaire du contre-espionnage Italie.

Scamaroni, pour disculper ses camarades, voulu endosser l’entière responsabilité. Il fut atrocement torturé après avoir admis qu’il était bien François Edmond Severi, officier colonel français né à Alger en 1908. Un rapport du S.I.M. précise que les ongles lui avaient été arrachés et qu’il avait été brûlé au fer rouge. On lui promit la vie sauve s’il avouait tout. Il refusa et se suicida dans sa cellule ; avec un bout de fer qui lui permit de se trancher la gorge mais cette version est contredite par celle de Sias qui était sur les lieux : c’est avec les lambeaux de son pyjama qu’il se serait pendu aux barreaux de sa cellule. Quand le gardien donna l’alerte, écrit Sias, « Le cœur du suicidé battait encore et le médecin officier appelé d’urgence, en ma présence, utilisa en vain tous les moyens pour le ranimer ». (4) On l’enterra en pleine nuit dans la fosse commune d’Ajaccio enveloppé dans une couverture de l’armée italienne. Un curé de campagne lui rendit les derniers honneurs.

Epilogue

Il y eut en tout environ 60 arrestations imputées à Hellier. Une forte récompense fut offerte par les Italiens pour la capture de Jickell. Jickell reçut la visite de Vieau dans sa cache de Bastia le 20 mars. Il lui apprit que la mère du propriétaire de la maison où était planqué Scamaroni, une vieille femme d’environ 70 ans, n’avait pas été arrêtée et lorsque les Italiens eurent quitté la maison après l’avoir fouillée de fond en comble, elle sortit tous les documents de Scamaroni hors de leur cachette et les brûla.
Les Italiens contraignirent Hellier à faire fonctionner son appareil radio. Le 5 avril tomba un message de Sea Urchin Mineur (Hellier). Il n’avait pas donné le vrai nom de reconnaissance et avait inclus un faux mot de passe qu’il avait reçu instruction d’utiliser s’il opérait sous la contrainte. Ainsi Massigham en conclut que Hellier était sous le contrôle des Italiens. Le message de Hellier : « Pendant ma providentielle maladie, mes camarades arrêtés. Câbles chiffres détruits. Je suis en sûreté mais dois prendre beaucoup précautions. Envoyez instructions ».
A Londres les combattants français continuèrent à croire que la radio était manipulée par Hellier, mais pas sous la menace. Ils passèrent sur l’absence de mot de reconnaissance et la présence d’un mot bidon suggéré en lieu et place, parce que, à leur avis, tous ces contrôles n’avaient aucune valeur. Ils admirent également que Hellier n’ait pas donné la bonne réponse à la question test et dirent tout bonnement qu’il devait l’avoir oubliée. Ils furent d’accord de répéter la question test mais déclarèrent qu’ils ne se seraient pas encore convaincus si elle restait sans réponse. Les Britanniques furent d’avis que c’était prendre ses désirs pour la réalité.
Le 15 Avril, un message fut envoyé à Sea Urchin auquel fut répondu : « Sans détails arrestations camarades. Nouvelle sûre que capitaine arrêté s’est tué à Ajaccio ». Coercition ou non, les combattants français étaient maintenant convaincus de la mort de Scamaroni et que toute la mission Sea Urchin avait péri. Le 21 Avril Massingham câbla à Londres qu’un agent était revenu de Corse et confirmait la liquidation complète de Sea Urchin. Cet agent avait vu le corps de Scamaroni à la morgue d’Ajaccio. Il avait été abominablement torturé avant de se suicider. Restait toujours à savoir qui avait identifié Hellier et était à l’origine de son arrestation (2). On prétend qu’Hellier aurait dit à quelqu’un qui partageait sa cellule à la citadelle, qu’il avait été vendu par une équipe qui était en Algérie en même temps que la mission Sea Urchin. « Ils ont été pris et m’ont dénoncé. J’ai tenu 24 heures avant de parler, espérant que chacun aurait le temps de disparaître, et maintenant à mon tour j’ai craché le morceau ». (3)

Le 17 février 1945, un sergent italien, le Major Silvestri fut interrogé par les Britanniques. Il avait travaillé pour un groupe italien de contre-espionnage à Cagliari. Il était chargé entre autres tâches de leur fournir les textes anglais envoyés par la radio de Serra qui avait été capturé et utilisé comme agent double. Il connaissait Serra sous le nom de « Armstrong ». Silvestri déclara que Serra et Adler s’étaient perdus en débarquant en Sardaigne et s’étaient approchés d’un berger. Ce dernier ou quelqu’un d’autre s’était méfié de quelque chose et avait alerté les carabiniers. Ils furent appréhendés le même jour et tous deux disposés à collaborer. Au bout de quelque temps les Italiens étaient assez sûrs d’eux pour se passer des agents qu’ils envoyèrent à Rome. Silvestri apprit plus tard que Serra avait participé à une expédition en Corse où il s’était révélé d’une grande aide pour identifier et capturer d’autres agents.
Au 2ème Bureau de Giraud qui collabore avec Massingham, on était d’avis que ce qui avait entre autres choses causé la perte de la mission Sea Urchin c’était l’ostentation avec laquelle ils avaient distribué de l’argent en échange de services et pour recruter des agents. En ce qui concerne l’énorme somme d’argent que Scamaroni emporta avec lui en Corse, les Italiens proclamèrent qu’il était mort sans le sou. Après la libération de la Corse, l’argent ne fut jamais retrouvé.
En même temps que la mission Sea Urchin de Scamaroni en Corse, une autre mission, Frederick, montée par le SIS opérait dans le sud de la Corse. Elle était constituée de trois agents, deux Corses et un officier Belge qui furent arrêtés en avril 1943. On savait qu’ils étaient en contact avec Sea Urchin.
Jickell, Pardi, Defendini et Mattei restèrent cachés à Bastia et détruisirent leurs appareils radio. Ils furent par la suite mis en contact avec Paul Colonna d’Istria (Whiskers, Moustaches [mais plus familièrement appelé « Césari »]), [qui avait débarqué sous les auspices du SOE mais qui avait, de fait, remplacé de Saule, chef de la mission Pearl Harbour, le 6 avril 1943]. Tout le groupe fut emmené hors de Corse par sous marin et arriva en Algérie le 16 Juin 1943. Hellier fut jugé et condamné à mort par un Tribunal militaire italien et fusillé à Bastia le 15 Juillet 1943. Même sa trahison n’avait pas réussi à le sauver.
Après la mission Sea Urchin, Jickell offrit de participer à d’autres missions dans la France occupée mais ses propositions ne trouvèrent pas d’échos auprès du Ministère de la Guerre. Il essayera sans succès de s’enrôler dans la Marine. Depuis la fin de la guerre, il vivait aux Etats-Unis.

TERRY HODGKINSON

Sources
Foreign Office. S.O.E. Archive. London
Public Record Office. London
GAMBIEZ, Libération de la Corse, Hachette, Paris 1973.
PIQUET-WICKS EricFour In the Shadows. Jarrolds, London 1957.
SCAMARONI Marie-Claire Fred SCAMARONI, France Empire,
Paris, 1986
Marie-Claire SCAMARONI
James. A. Jickell.
Sir Brooks Richards
CARLONI Fabrizio. « L’occupazione italiana della Corsica.. Ed. Mursia

Note de l’éditeur ANACR 2A
(1) Selon L’historien Louis Luciani, les motifs de la désertion de Serra sont moins honorables ; il aurait volé dans les caisses de son régiment et aurait été condamné à 30 ans de réclusion. Pour racheter sa peine, il aurait offert ses services à son retour en Italie, aussitôt qu’il fut démasqué après son débarquement en Sardaigne.
(2) Toujours selon Louis Luciani, Serra était présent à Ajaccio au moment de l’arrestation et l’aurait désigné au contre-espionnage italien.
(3) Toujours selon Louis Luciani, Hellier n’aurait pas parlé et serait disculpé par le fait qu’il ait été exécuté lui aussi.
(4) Fabrizio CARLONI. Op. cit. page 101.

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