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Pages d'histoire Sur fonds de luttes sociales

27 novembre 2019

Quand le gouvernement du Front Populaire accède au pouvoir, en 1936, la fièvre revendicative gagne les travailleurs de Corse aussi. L’île est à l’unisson du pays. C’est sur les ports, avec les dockers, que le mouvement prend son essor. Tous les ports de l’île sont affectés : les plus grands sont paralysés. A Bonifacio et Porto-Vecchio, le conflit prend un tour aigu : près de 135 dockers mènent une grève qui durera près de deux mois durant l’été 36. Comme les dockers, d’autres ouvriers -ceux du bâtiment et de l’agriculture- et d’autres catégories sociales, comme les membres de la fonction publique, s’organisent et se mettent en grève pour leurs revendications. A Sartène, ce sont les salariés des « Ponts et Chaussées qui luttent le plus spectaculairement en organisant une marche sur Ajaccio à laquelle participe Toussaint Mary, qui sera un des responsables de la Résistance dans le Sartenais. 1 « La marche de la faim » d’avril 1937 : ‘Extrait de l’interview de Toussaint MARY au journal « Génération des Amis » n°9

[…] L’un des moments les plus extraordinaires de la revendication sociale dans le sud de l’île fut sans conteste la marche de la faim sur Ajaccio d’avril 1937, à l’initiative des ouvriers des « Ponts et Chaussées », contre les bas salaires et l’irrégularité de leurs versements. Elle mobilisa chaque village. Petreto-Bicchisano sera pour les Sartenais la première halte. Nous sommes accueillis par Dominique Bachelli, responsable du mouvement pour Petreto-Bicchisano et sa région. Chaque gréviste trouve gîte et couvet auprès d’une population très largement solidaire.
Le lendemain matin à 8 heures, c’est une foule nombreuse et enthousiaste qui reprend la route en direction d’Ajaccio. Les gardes mobiles tentent de nous bloquer au pont d’Abra. Voyant que nous nous apprêtons à franchir à gué le Taravo, ils renoncent à nous barrer le passage. Le soir venu nous faisons étape à Cauro, où nous sommes reçus par le maire, le regretté Paul Fumaroli qui mettra à notre disposition des locaux municipaux. Nous repartirons de Cauro au matin sous un gros orage. Vers 12 heures nous arrivons à Ajaccio. Les devantures des magasins sont baissées. Elles s’ouvriront lentement sous nos regards, l’une après l’autre. Nous n’avions rien qui puisse vraiment inspirer la peur.
Les responsables de la Confédération Générale du Travail salueront chaleureusement notre levée en masse. Ensemble nous nous rendons à la préfecture. Son hôte, Jules Petitjean, ne tarda pas à répondre à nos revendications : les salaires seront augmentés avec l’obligation absolue pour les employeurs de les verser régulièrement chaque mois.
Ces derniers essayeront presque immédiatement de rogner nos avantages mais la « Marche de la faim » avait été victorieuse, laissant en chacun le sentiment profond de l’efficacité de notre union. Nombre de ceux qui participèrent à cette mémorable lutte, se retrouvèrent dans le combat contre le régime de Vichy et les traîtres à sa solde, puis à partir du 11 novembre 1942 dans la Résistance à l’envahisseur fasciste.  

« Cette poussée sociale s’éteint cependant durant les années 1938, 1939, en relation avec la conjoncture nationale. Elle cède la place à un autre combat, celui contre le fascisme et l’irrédentisme » écrivent jean Paul Pellegrinetti et Ange Rovere (La Corse et la République. Ed. du Seuil. 2004).

Un autre combat certes mais avec souvent les mêmes contre les mêmes. « Plutôt Hitler que le Front Populaire », slogan lancé par les adversaires du gouvernement au pouvoir résume assez bien ce qui est en jeu à la veille de la guerre. Ils saisiront l’opportunité de la présence de l’occupant pour faire leur « Révolution nationale », antithèse du Front Populaire qui va même jusque à remettre en cause les valeurs proclamées en 1789 qui sont au fondement de la Nation. Il est donc logique, comme le fait remarquer Toussaint Mary, que ceux qui s’étaient aguerris dans les luttes syndicales s’engagent plus tard dans la Résistance.

« Au sein de ces nouvelles formes d’associations de solidarité et de défense sociale, l’activisme des communistes n’est pas à sous-estimer. Pour ces derniers, il s’agit également de tenter de briser le socle sur lequel repose les structures traditionnelles » font observer J.P. Pellegrinetti et A.Rovere2J.P. Pellegrinetti et A.Rovere 18 décembre 1936 : Rapport du commissaire spécial à la direction générale de la Sûreté
(cité par J.P. Pellegrinetti et A. Rovere) :
« En politique intérieure, les occupations d’usines qui se continuent et les conflits sociaux de toutes sortes dont les effets se font sentir jusqu’ici énervent l’opinion et ne contribuent certainement pas à la reprise des affaires et, comme le Parti communiste est accusé d’être à la base de ces conflits, les citoyens commencent à s’organiser contre lui. La propagande communiste est en train de briser ici la politique de clans qui existaient pour ainsi dire depuis toujours et de rassembler lentement, mais sûrement, les amis de l’ordre dans les deux camps rivaux »  
. Une volonté qui inquiète les représentants des pouvoirs publics… »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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