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Archives : éditoriaux Effets militaires et politiques de la libération de la Corse

2 septembre 2020

Certes la libération de la Corse ne fut pas un tournant de la guerre en Méditerranée comme le furent, cet été 1943, les débarquements des Alliés en Sicile et en Italie méridionale. Rien de comparable, à plus forte raison, aux titanesques combats en Ukraine et Biélorussie, consécutifs à la grande offensive allemande, Zitadelle, vers l’Est début juillet, suivie de la contre-offensive soviétique, l’Opération Bagration[i].  Une confrontation qui tourna à l’avantage des soviétiques, au grand soulagement des Alliés, très inquiets d’une possible capitulation de l’URSS. Les Alliés avaient donc la tête ailleurs qu’en Corse en cet été 1943.

9 septembre, le cours Napoléon à Ajaccio
9 septembre, le cours Napoléon à Ajaccio.

Il est vrai que la Corse n’avait jamais été une priorité dans les plans stratégiques des Alliés pour la conquête de l’Italie et le débarquement de Provence. Aussi, cette insurrection victorieuse de la Résistance insulaire qui survint inopinément, fut une aubaine pour eux ! La capitulation italienne connue, la Résistance lance l’ordre d’insurrection. Avec le concours quasi exclusif des troupes françaises –l’équivalent d’une seule division militaire- et le concours mesuré de l’armée italienne, en six semaines, la Résistance corse ne laissa aucun espoir aux Allemands de stationner dans l’île[ii] : quelque 10 000 soldats déjà présents dans l’île et plus de 30 000, venant de Sardaigne, qui transitaient par la plaine orientale pour rejoindre l’Italie.

Dès lors, la Corse était devenue pour les Alliés une base arrière inespérée pour leur progression sur le théâtre méditerranéen. Les Américains, qui avaient baptisé la Corse USS Corsica[iii] , y disposèrent alors de 17 terrains d’aviation pour leurs raids aériens en direction  de l’Italie et de la Provence; la Corse était devenue « la plate-forme aérienne vitale de l’invasion » avait dit le général Eaker, commandant en chef de l’aviation alliée en Méditerranée. L’Italie septentrionale, où les Allemands s’arc-boutaient, était maintenant  à portée d’aile de l’aviation alliée. Et depuis la Corse, les Alliés poussèrent leurs feux avec la prise de l’île d’Elbe : l’Opération Brassard, qui eut lieu le 17 juin 1944 avec 220 navires assistés par 200 avions partis de Corse[iv]  mit désormais les côtes italiennes à portée de leurs canons. En outre, depuis la Corse, le contrôle de la navigation maritime en Méditerranée s’en trouvait facilité.

Et quand vint le débarquement de Provence, le 15 août, pour ce seul jour, les avions partis de Corse effectuèrent 4 200 sorties pour pilonner l’ennemi  sur ses bases.  Et ce sont plus de 2 000  bâtiments partis des golfes de Sagone, du Valinco et d’Ajaccio-Porticcio qui se formèrent en convois pour acheminer hommes et matériels[v]

La Corse ignorée.

Les effets militaires de l’insurrection victorieuse de la Résistance corse ne furent donc pas négligeables. Ils suffiraient à eux seuls pour justifier que les historiens leur  accordent une plus grande importance. Elle est parfois totalement ignorée (Voir la carte ci-jointe). Mais « Ce ne sont pas les faits militaires qui sont cruciaux –ils sont peu de chose dans le théâtre d’ensemble de la guerre, même circonscrite à l’Europe –mais bien leur répercussions symboliques et politiques dont les effets sont sensibles à plusieurs niveaux, constate l’historien Jean-Marie Guillon. D’abord dans l’opinion et sa perception de la Résistance. Ensuite dans les relations entre Alliés anglo-saxons et la Résistance. Enfin dans les rapports de force ou de pouvoir au sein de la Résistance, entre Giraud et de Gaulle, entre Résistance extérieure et Résistance intérieure et dans la Résistance intérieure elle-même. D’autre part, les évènements de Corse préfigurent par bien des côtés ce qui se passera sur le continent un an plus tard. »[vi] . A bien des égards, ce « premier morceau libéré de la France»  fut un véritable laboratoire pour la libération du continent français[vii].

L’historien britannique P.M.H. Bell a souligné lui aussi (Colloque international des 28 et 29 juin 1976 à Ajaccio) que ses compatriotes « étaient particulièrement conscients du fait qu’il s’agissait d’un évènement politique de premier ordre, avec des implications stratégiques. La Corse était le premier département de la France métropolitaine à se libérer et serait un précédent

Les billets de l'Amgot
Les billets de 100 francs imprimés par les Américains.

sur la manière dont on allait administrer le territoire français libéré au moment où commencerait l’invasion du pays. » Test réussi pour les Britanniques donc. Pour Roosevelt, au contraire, particulièrement remonté contre De Gaulle –selon lui, un dictateur en puissance[viii]– la France devait être traitée comme un pays vaincu, donc placé sous Gouvernement Militaire Allié des Territoires Occupés, (A.M.G.0.T.).  Au printemps 1943, il avait même envisagé de rattacher le nord de la France et l’Alsace à un Etat wallon élargi aussi au Luxembourg[ix] . Le gouvernement britannique, lui, y était opposé : «Nous avons rapidement vu qu’en Corse le premier plan militaire était tout à fait impraticable, et je fus le premier à m’y opposer, affirmera plus tard le ministre Macmillan[x] . Avec beaucoup de bons sens nous laissons le contrôle de toutes choses aux Français et ils marchent très bien ».

Les Américains durent se rendre à l’évidence : la France, après avoir subi l’occupation nazi-fasciste n’en supporterait aucune autre, et en aucun domaine, à commencer par la monnaie. Pour l’anecdote, on mentionnera que les francs imprimés et amenés par les Américains en Corse ont vite été rejetés comme une monnaie frelatée. Encore une anticipation corse de bon augure pour ce qui adviendra sur le continent en 1944.

Antoine Poletti

[i] 800 000 Allemands y affrontèrent plus de 2 millions de soviétiques et disposant de huit fois plus de chars et avions (Plus de 4 000 avions pour 553 aux Allemands, et plus de 6 300 chars pour 839 aux Allemands). Au total, un demi-million d’hommes morts ou disparus et plus encore de prisonniers

[ii] Dans son Histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ed. France Loisirs 2012, l’historien Antony Beevor se trompe quand il écrit  page 609 : « le 21 septembre, les Forces française libres débarquèrent en Corse, que  les Allemands avaient abandonnée ».

[iii] Aux Etats-Unis, le sigle U.S.S. suivi d’un mot (Un Etat ou un héros par exemple) est le nom de baptême d’un bateau de guerre. La Corse était considérée comme un porte avion (insubmersible). Sur le sujet, Dominique Taddei a écrit deux gros ouvrages, constitués de témoignages et de photos recueillis aux U.S.A. : U.S.S. Corsica et We « Corsicans » (Ed. Albiana)

[iv]Conférence d’Hélène Chaubin. Acte colloque international, 28 et 29 juin 1976 à Ajaccio.

[v] Le Débarquement de Provence. Jacques Robichon. Ed. Presses de la Cité. P.155. Parmi les 350 000 hommes débarqués on compte 230 000 Français dont de nombreux Corses puisque la Corse libérée, 12 000 Corses ont été enrôlés dans l’armée de Libération.

[vi] Jean-Marie Guillon. Etudes corses n° 57. Année 2004. P. 8. Actes du colloque international des 11 et 12 octobre 2003.

[vii] « Le laboratoire corse », c’est le titre qu’a donné Dominique Lanzalavi à son film sur le sujet.

[viii] Alors qu’il entretenait les meilleures relations avec Pétain. Quand les Alliés débarquent en Algérie et au Maroc, en novembre 1942, RSV adresse une lettre à Pétain : « Mon cher vieil ami, » «  A vous, héros vénéré de Verdun,… »[…]. Il va même jusqu’à approuver l’armistice : « … Quand votre gouvernement a conclu, par nécessité, la Convention d’armistice… »

[ix] De Gaulle et Roosevelt, le duel au sommet. Francois Kersaudy. Ed. Tempus. Page 268.

[x] Il était alors ministre résident auprès du quartier général en Afrique du Nord, à Alger.

 

 

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