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Pages d'histoire La Résistance dans le Sartenais

29 novembre 2019

(Toussaint Mary)

 

Figure emblématique de la Résistance à l’occupant fasciste, ancien membre du Comité d’arrondissement de Sartène du Front National puis du Conseil de Sous-préfecture de Sartène institué le 10 septembre (présidé par Noël Galéazzi lieutenant FFI), Toussaint Mary, alias Corso, raconte sa Résistance et celle de ses camarades de Sartène. Extrait d’une interview réalisée par Alain Bungelmi, publiée dans le n° 9 du bulletin « GénérationS des Amis », daté de janvier 2002. Le début de cette interview traitant des luttes sociales de la fin des années trente figure aussi sur le site.

Générations des Amis : Comment à Sartène nait le Front National ?
Toussaint Mary : Pour les raisons que je viens d’expliciter, de solidarités anciennes, d’expérience de la lutte, avec lesquelles il est indispensable de mentionner le fort sentiment patriotique qui anime la population, très vite, à Sartène, avec Joseph Tramoni, Noël Galeazzi, Antoine Benedetti, Antoine Paganelli, Toussaint Cianfarani, le lieutenant François Cucchi… nous jetons les bases de l’organisation d’un puissant Front National dont il faut souligner qu’il réunira des personnes de toutes conditions sociales et de toutes opinions. Dans la période qui précède la création du F.N. Il me semble important de considérer que les communistes, bien qu’en petit nombre, sont la seule force politique réellement organisée. Avec les Jean Paul Brunetti, Jean Dominique Mozziconacci, Pierre Bianchini, Vanni Lamiro (1), Paul Sicard, Jean Laurent Léandri, Guido Germini… nous dénonçons le pouvoir vichyste, tout comme la menace fasciste.
J’avais pour ma part, à titre anecdotique, lu dans le journal « Candide » (2) que le parti communiste, mis hors la loi en septembre 1939 par le gouvernement « Munichois », se réorganisait par groupe de trois ; seuls les chefs de groupe communiquaient entre eux. Une certitude est que son influence ne cessait de grandir. Plus nombreux de jour en jour,  les gens nous apportaient leur confiance. La surveillance de l’autorité Vichyste se faisait aussi plus pesante. En juin 1940, nous sommes rassemblés avec un groupe d’amis au « Café de la victoire », lorsque survient l’appel du Général de Gaulle. Je garde le souvenir de l’espoir que cet appel suscita.  Au début de l’année 1941, je reçois sur mon lieu de travail, la « Glacière » qui était située dans l’actuelle rue Jean Nicoli, la visite d’un envoyé de la direction nationale du Parti Communiste Français. J’apprendrai plus tard par le chef militaire de la Résistance, François Vittori, qu’il s’agissait de Pierre Georges, le futur « Colonel Fabien » des combats de Paris et de la campagne d’Alsace où il trouva la mort. Il avait pu constater à Sartène et dans sa région la vitalité de la lutte engagée contre le pouvoir collaborationniste de Vichy. Vers la fin de la même année, Tony Ogliastroni (3) commissaire de police à Bonifacio a pour mission de procéder à mon arrestation. Il n’en fait rien et charge Antoine Brunetti, comme lui originaire de Casalabriva, de me prévenir afin que je puisse « prendre le large ». Dès ce moment je me suis retrouvé dans l’illégalité. Les noms des anciens camarades de combat affluent à ma mémoire : Pierre Rocchiccioli, Antoine Quilichini, Pierre Tramoni, Paul Natali, Antoine Giacometti, François Sereni, André Mallaroni, Toussaint Nicolaï, le gendarme Giorgi,  le gendarme Fabby, Félicien Tramoni, Paul Mondoloni, Sylvestre Sorba, Jean Galeazzi, Jeannot Tafanelli, Ange Alfonsi, Isabelle Sampieri, Nicole Simonpietri, Pierrette Zerlini, Madeleine Tramoni, les Balenci, Luchini, Borghini, Nicolaï , Marie Thérèse Tafanelli, jeune résistante de 16 ans décorée de la croix de guerre , les intrépides jeunes du F.P.J. (4) : Jean Paul Giovanni, Martin Tomasi, Hyacinthe Quilichini, Jean Paul Codaccioni, mort sur le front de l’est, Jeannot Mary, Ange Marie Filippi-Codaccioni, Ange Quilichini … On ne peut tous les citer. Ils sont ceux qui firent face à l’ennemi au moment où la plupart des édiles locaux et départementaux prêchaient la résignation et l’attentisme, lorsqu’elles ne sombraient pas dans la collaboration la plus noire. Il faut ici rappeler que de tous les parlementaires corses, seul le sénateur Paul Giacobbi traduira les sentiments patriotiques et antifascistes de l’immense majorité des habitants de l’île, en refusant par son vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Générations des Amis : Comment se nouent les contacts entre les résistants ?
Toussaint Mary : Lorsque le 11 novembre 1942 l’Italie fasciste envahit notre île, le Front National est déjà bien structuré à l’échelle du département. Il ne cessera de se développer. Les groupes locaux se multiplient. Des alliances se forment avec d’autres organisations, « Combat », « Francs-Tireurs »…, mais le F.N. est déjà ce vaste mouvement qui fédèrera la résistance corse à l’ennemi fasciste et nazi et à ses tenants, de quelque nature qu’ils soient, irrédentistes, collaborateurs notoires, fascistes avérés, membre de la milice, ou de la « Légion française des combattants », cette véritable escroquerie au patriotisme, que nous finirons par démasquer, comme l’indique Maurice Choury dans son ouvrage sur la Résistance.
L’intensification de la lutte emmènera le parti communiste à organiser une conférence à Porri, le 4 mai 1943. Pour avoir manqué le car à Cilaccia, j’arriverai en retard dans cette Casinca toute entière dressée contre l’envahisseur. Là est la terre d’élection des Vittori, Vincetti, Arrighi, Léandri, Agostini, Battesti… Elle deviendra pour l’occupant un véritable guêpier. La conférence se conclut par la mise en place d’une direction régionale du parti communiste et la désignation de responsables d’arrondissements. Un comité départemental du Front National est officialisé. Pour ce qui est du Sartenais, nous avons déjà évoqué les liens tissés dans les luttes. Ils ne se démentiront jamais et perdureront bien après la libération de notre sol.
La nécessaire coordination entre les maquis, oblige les résistants à une vigilance et à une mobilité extrême. Le poste de commandement du sartenais, « A sappara di Iena », la grotte de Iena, sur la propriété des frères Paul et Charles Tramoni, tous deux fermement engagés ainsi que leur famille dans la lutte contre l’occupant fasciste, est sous une constante surveillance. Les femmes joueront un rôle fondamental dans cette surveillance, comme pour d’autres missions essentielles de liaisons et de ravitaillement. Nous recevrons à la grotte, Jean Nicoli et Paul Bungelmi en mission d’information dans les maquis, Jules Mondoloni venu nous confirmer que des armes nous seraient livrées, Pierre Pagès… tant d’autres camarades et amis souvent exténués d’avoir empruntés cent chemins escarpés pour parvenir jusqu’à nous. Les maquisards du sartenais se rendaient pour leur part dans d’innombrables lieux où l’aide la plus précieuse leur était assurée : à Granace dans la famille de Pasquin Léandri qui formait avec la quasi-totalité de la population un formidable foyer de résistance à l’ennemi ; à Bilzese où l’immense majorité des habitants est mobilisée contre l’envahisseur fasciste ; à Gianuccio où chaque famille est à l’unisson de la Résistance. Dans la vallée de l’Ortolo, de Vignalella à Roccapina, chaque porte nous était ouverte. D’autres routes nous mèneront vers d’autres points de ralliement de la Résistance, au Burgu et aux Martini, chez les Césari et les Sorba (5) Nous rencontrerons là les maquisards des cantons de Petreto-Bicchisano, Olmeto et Serra di Scopamena ; ces autres bastions de la résistance insulaire.

Générations des Amis:Quelques mots des parachutages d’armes particulièrement intenses dans  le sartenais ?
Toussaint Mary : Après un premier parachutage, le 16 juin, sur le plateau de Sio, je serai appelé à signaler à Alger la dangerosité de ce terrain, les difficultés d’approche et de largage qu’il générait de par sa configuration. D’autres lieux de parachutages s’avèreront plus sûrs : Pagna, dont j’aurai la responsabilité, Giovighi et Sorbitoli qui seront sous le commandement de Joseph Tramoni. Toussaint Peraldi, Clément Mizerazzi, Antoine Marie Léandri et ses frères, Erasme Babbi, Sylvestre Ferrandini, Antoine Nicolaï, Bébé Durazzo, Gustave Casanova d’Arracciano, de très nombreux autres patriotes, se dépenseront sans compter dans la préparation des terrains, la récupération, le transport et la répartition des armes et du matériel que le Général Giraud nous faisait parvenir d’Alger. Tous le sartenais se trouvera ainsi puissamment doté en armes et munitions et autres matériels de guerre, lorsque le 8 septembre 1943, est annoncée la capitulation italienne.
Aucun répit ne sera alors laissé aux troupes allemandes de la Sturmbrigade SS, stationnées en Corse, comme à la 90ème Panzer débarquée de Sardaigne le 9 septembre, pour au plus vite, tenter de rejoindre l’Italie. De Bonifacio à Bastia, sur la route qui mène à la côte orientale par Lévie et le col de Baccino, où qu’il se trouve, l’ennemi subit l’assaut des patriotes.

Générations des Amis: Comment à Sartène et sa région, s’organisent, se déclenchent les combats libérateurs ?
Toussaint Mary : Pour répondre à la situation nouvellement créée, le poste de commandement de la Résistance a été déplacé de la grotte de Iena, au col de Foce. Dès le 8 septembre le comité d’arrondissement décide de réunir les responsables militaires cantonaux sur le plateau de Pagna au lieu-dit Fontaine de Joseph. Lors de cette réunion qui se tiendra le lendemain matin, la décision est prise d’attaquer les allemands le 10. La confrontation particulièrement violente, aura bien lieu ce jour, mais selon un plan modifié néanmoins. Le 9 septembre après le rassemblement de Pagna nous apprenions la victoire de l’insurrection à Ajaccio. Nous gagnons alors le PC au col de Foce où sera arrêtée la décision d’occuper Sartène.
Dans l’après midi du 10 septembre 1943, sous les acclamations de la population, des centaines de patriotes en armes, investissent la ville. Le sous-préfet vichyste, qui avait déserté les lieux, est destitué. Noël Galeazzi est désigné pour le remplacer. La municipalité vichyste est destituée à son tour. Un nouveau conseil municipal est nommé avec à sa tête Joseph Tramoni. C’est la liesse générale, lorsque soudainement éclatent des fusillades en divers points de la ville. Les sections de résistants, sous le commandement de Joseph Paganelli ripostent aux soldats allemands qui, avec des complicités parmi les collaborateurs, espèrent inverser le cours des événements. Rien n’y fait. Sartène patriote est debout. Nos mitrailleurs infligent de très lourdes pertes à l’ennemi qui entasse ses morts. La résistance perdra deux des siens, Jacques Nicolaï et Joseph Tafanelli et aura onze blessés dans ses rangs. Depuis la  place Saint-Damien les chars allemands ouvrent le feu sur la ville qui subit aussi des tirs de mitrailleuses lourdes et de mortiers. Le C.A. ordonne le repli. Les résistants se regroupent au col de Tipponi. Le lieutenant François Cucchi est appelé au commandement.
Le 11, l’offensive est totale. Les allemands sont attaqués de toutes parts. Dans leur retraite, ils fusilleront cinq patriotes : Jean Simon Codaccioni de Bilia, Antoine Loï, Vanni Lamiro, le père Nicolas Borner et l’abbé Bytonsky. Le 15 septembre 1943, le Comité d’Arrondissement reprend possession de la ville de Sartène. L’ennemi continue d’être pourchassé. Le 17 septembre, Sartène libérée reçoit le général Giraud. Le 18, arrive un premier détachement du Bataillon de choc (6), sous les ordres du lieutenant Wilmot-Roussel. C’est la conjugaison des forces de la Résistance avec celles de l’armée française. Elle aboutira à la libération du premier département français. Le 4 octobre 1943, fascistes et nazis quittaient définitivement notre île.

  1. Antifasciste italien émigré en Corse, assassiné par les allemands lors des combats de septembre 1943.
  2. Journal de sensibilité gaulliste, publié en zone sud par le beau frère de l’éditeur Arthème Fayard, Fernand Brouty.
  3. Tony Ogliastroni rejoindra le Front National. Ami de Jean Nicoli, il composera avec ce dernier le chant patriotique « A Sampiera » (cf. bulletin n°5).
  4. Front Patriotique des Jeunes (cf. bulletin n°6).
  5. Cf. bulletin n°4.
  6. Le 13 septembre 1943 à 01h27 du matin, le capitaine Manjot et 108 hommes du bataillon de choc débarquent du sous-marin Casabianca dans Ajaccio libérée. Dans la nuit du 13 au 14 septembre, les contre-torpilleurs Fantasque et Terrible débarquent 500 hommes, le complément du bataillon de choc, et leur commandant, Fernand Gambiez. Le 17 septembre 1943, accostent à Ajaccio le contre-torpilleur Le Fantasque et les torpilleurs Alcyon et Tempête avec 550 hommes du 1er régiment de tirailleurs marocains et le général Henry Martin nommé par le Général Giraud à la tête du 1er corps d’armée et chef des forces françaises opérant en Corse.

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