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Pages d'histoire Pierrot Campana en Castagniccia

29 novembre 2019

Il avait 20 ans en 1943. En Castagniccia, un haut-lieu de la Résistance insulaire, il participe à la réception des parachutages, à l’attaque de Champlan et, l’île libérée, s’engage dans l’armée pour continuer la guerre.

« En 1943 j’avais 20 ans. Le village était occupé. Les Italiens étaient insupportables. Finalement leur revirement en a sauvé beaucoup. Un jour j’ai été braqué par deux des leurs. L’un d’eux m’a craché dessus. Dès ce moment j’ai informé mon père et je cherchais à prendre contact avec la Résistance. On savait à qui s’adresser. Les Italiens sont partis car ils sentaient bien l’hostilité de la population mais ils n’étaient pas loin. La région était active. Un jour j’étais descendu avec mon cabriolet à Anghione et remontais avec de la paille. Arrivé au Col de Saint Antoine où un parachutage avait eu lieu la veille je suis tombé sur une fusillade. Un Italien est tombé blessé et a été secouru par ses camarades qui cherchaient Bébé Arrighi que nous abritions.

Les parachutages

Les parachutages ont commencé à l’été au Poghju, à Silvareccio, à San Angelo aussi. Avec une T.S.F. on attendait les messages d’Alger et même d’Angleterre. Il fallait guetter un [message] Charles viendra ce soir (3 fois). C’était pour Silvareccio. On y est allé avec quelques amis de confiance. On a préparé des feux pour être allumés au dernier moment lorsque le son de l’avion venu de la mer serait juste au-dessus de nous. Dans plusieurs cylindres il y avait la manne attendue : des armes, des munitions, des matériels et même des chaussures. La situation commençait à changer en mieux. Era ora!
Un cylindre est resté accroché à un arbre. L’un de nous le signale, on court le récupérer. Le premier arrivé nous l’indique et nous dit : ‘je lui parle et il ne répond pas. Les Anglais ne disent rien, ils ne parlent pas‘. Il avait pris dans l’obscurité un cylindre pour un parachutiste. Cela nous a fait rire un peu malgré la situation car dès réception toute trace du parachutage devait vite disparaître. Autre fait : un parachute est tombé sur a Petra Campana et a explosé avertissant toute la région mais inquiétant les Italiens. La manne réceptionnée a été stockée dans l’église de Saint Augustin.

Champlan

En septembre vient l’information qu’il fallait se rendre sur le Fium’Alto. Il est décidé d’attaquer le groupement d’Allemands le 10 dès sept heures du matin avec une bonne centaine d’hommes. Nous étions tout autour dans le maquis attendant le signal donné par un coup de feu. La position Allemande était très importante pour eux car c’était un point d’appui et une réserve de carburant très utile pour la 90ème panzer qui remontait la Plaine [orientale]. Elle était tenue par les forces allemandes déjà présentes en Corse qui étaient fortes de dix mille hommes [1] avec beaucoup de véhicules et cent chars de combat. Un de leur camion touché par des tirs est tombé dans le fleuve leur coûtant 11 morts. Le dépôt de carburant a sauté causant une perte irréparable. C’était la Sturmbrigade S.S. Reichsfuhrer» qui avait en autre chose en Corse la garde du dépôt de Champlan.
Les Allemands ont eu de nombreuses pertes : plusieurs dizaines de blessés, plus de 80 morts, perdu 11 véhicules dont un blindé. Nous nous sommes retirés avec un mort et un blessé, Pasqualini Simon. On est allé trouver le Docteur Angeli à Piedicroce qui n’a pu utiliser sa voiture par manque d’essence. En attendant, le blessé a été soigné par un infirmier dont le surnom était Gugu. Il a été sauvé. Tous les médecins n’ont pas eu la même conscience ni surtout le même dévouement à notre cause. L’un d’eux avait même refusé de soigner un de nos blessés. On m’avait dit étant rapidement mobilisé : tu peux partir tranquille, quand tu reviendras celui-là aura disparu. Effectivement nul ne l’a jamais revu.
Dans le début de l’après-midi nous avons décroché. Mais les Allemands venus en force de la Plaine sont arrivés jusqu’à la source. Le 17 ils ont atteint Piedicroce non sans difficulté car au pied du village les Italiens les ont stoppés un moment. Ils ont du se sauver en direction du Col de Prato en faisant sauter le couvent. Leurs difficultés ont continué. Leurs incursions à l’intérieur ne leur ont rapporté que des déboires. »

Giraud ou De Gaulle ?

[…] J’ai été mobilisé comme beaucoup de jeunes avec la mention « cas de force majeure » car je n’avais pas l’âge minimum. Je suis parti avec un convoi de trois navires depuis Ajaccio. Trois jours de mer très inconfortables en alerte permanente et à l’arrivée le sentiment d’être mal reçu. Un officier monte à bord et demande: Giraud ou De Gaulle ? Nous, on ignorait tout. On venait pour continuer la guerre è basta ! On savait vaguement que Giraud nous avait aidé à libérer la Corse, quant à De Gaulle, c’était plus lointain. Mais il nous semblait que les deux devraient être pour libérer le pays. Les autres motivations nous importaient peu. Les recrues nouvelles ont été versées dans toutes les armes et dans toutes les spécialités. Nous n’étions tout de même pas des néophytes car nous avions vu le feu plus que beaucoup de ceux qui prétendaient nous commander. J’ai été versé dans l’artillerie. L’instruction était plutôt élémentaire. A Tenès [ entre Oran et Alger] nous avons occupé une caserne en vidant les Chantiers de Jeunesse.
Puis nous avons embarqué à Oran (Mers el Kebir). Ce fut [mi-août] le débarquement sur la Côte d’Azur, la libération de la Provence et nous avons galopé jusque dans les Vosges enneigées puis pénétré en Allemagne. Ce fut une longue épopée, un long combat portés par l’idée que nous allions réussir. Nous avons perdu des amis et je me souviens comme si cela da­tait d’aujourd’hui de la perte de deux compatriotes la veille de l’Armistice. Ils s’étaient un peu détachés du groupe et ont été tués par des Allemands embusqués à bord d’un véhicule. L’un était Giamarchi André dont la famille est encore à Folelli. Et l’autre était de Bastia. […]

Propos recueillis par Pierre Agostini, Pierre Angeli et Pierre Romani (date non précisée), publiés par le journal de l’ANACR 2B n° 36 de décembre 2015

1. Ils étaient moins de 5.000 en Corse avant l’arrivée des 20.000 hommes de la 90ème Panzer venue de Sardaigne.

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