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Pages d'histoire Les déportés de Corse

29 novembre 2019

Combien sont-ils à avoir été déportés hors de l’île en cette année 1943 par l’occupant italien ? 474 selon Mme Lucie Molinelli1Lucie Molinelli. L’insoumis. Charles Cancellieri. Ed. Lacour 1998. p. 175.La source n’est pas indiquée. Dans ce même ouvrage, elle publie la liste établie par Dominique Vecchini des 165 patriotes emprisonnés à la caserne Marbeuf début juillet 1943.. A confirmer ! Qui sont-ils ? Parmi eux, Ignace Schreter, le seul juif recensé par Denis Luciani2Corse-Matin du 31.05.2010. Interview de Denis Luciani. Schreter est un juif allemand communiste. Il est arrêté par la police française à Ajaccio le 9 septembre 1942, embarqué pour le continent le 30 septembre et sera déporté plus tard au camp de Sobibor où il mourra. Les autres déportés de Corse sont soit des opposants potentiels à l’annexion de la Corse, soit des résistants avérés, soit des victimes de représailles comme ceux du village de Petreto-Bicchisano3On connait aussi la liste de ceux qui ont été raflés à Petreto-Bicchisano le 6 juillet 1943. On l’a doit à Mme Ketty ARRII. Elle a dénombré 35 déportés et précise qu’elle ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle a dénombré en outre 3 gendarmes qui avaient été arrêtés et mutés disciplinairement sur le continent. A ces listes établies se sont ajoutés tous ceux qui avaient été arrêtés au fil des mois et jugés par le tribunal militaire italien comme Jérôme Santarelli, arrêté en même temps que Jean Nicoli et jugé fin août 1943, quelques jours avant la libération de l’île et aussitôt déporté en Italie.

Les opposants potentiels  de Prunelli di Fium’Orbu, déportés vers la Calabre

L’historienne Hélène Chaubin estime à 110 le nombre de ces notables4Hélène Chaubin. Corse des années de guerre 1939-1945. Editions Tirésias-AERI.2005. p. 70, opposants potentiels, arrêtés de janvier à juillet 1943 par les Italiens dont beaucoup seront déportés. Parmi eux, les neuf de Prunelli di Fium’orbu. Ils étaient 22 internés -plutôt « un régime d’astreinte à résidence »5ibid. p. 154 – dans ce village, en attendant d’être déportés. Quand « la menace de déportation se précise, quelques jours après leur arrivée, le 26 mai 1943, six personnes s’évadent dont le sénateur Paul Giacobbi , Eugène Machini (Le futur maire d’Ajaccio à la Libération) et le docteur Michel Piani, de Vico ; « …évasion réussie grâce à la complicité des habitants […] »6Ibid. p. 154. Neuf autres, parmi ceux qui sont restés, sont transférés à la prison de la caserne Marbeuf à Bastia avant d’être déportés au camp de Ferramonti di Tarsia, aux environs de Consenza, en Calabre. Quelques mois après, ils seront libérés par l’avance des Alliés. Parmi eux : « le général d’aviation Poli Marchetti de Talasani, le colonel Costa de Piedigriggio, Martin Bianconi, directeur du PETIT BASTIAIS, Pierre Andreani, conseiller du Commerce extérieur de la France, de Quenza, Culioli de la Police spéciale, le capitaine Pucinelli de Calvi, Luciani avoué à Calvi, Opici d’Ajaccio, Cavalli de Propriano, Vignaroli instituteur à Moncale, Aristide Leoni, secrétaire du syndicat des cheminots de Bastia, Savelli de Petralba, Pasqualini de Morosaglia, Susini de Francardo, Rossi de Bastia, Lameta d’Ajaccio et le professeur Eugène Comiti »7Eugène Comiti. La Corse dans la Seconde Guerre mondiale. Ed. Albiana. T1 p.127

… Les autres déportés vers l’île d’Elbe, puis l’Italie continentale et l’Autriche.

Wolfsberg en Autriche est l’autre destination des déportés de Corse. De la prison de la caserne Marbeuf, ils sont 1108Lucie Molinelli. L’insoumis. Charles Cancellieri.  Ed. Lacour 1998. p.181 à rejoindre l’île d’Elbe le 12 juillet. Parmi eux, une femme, Mme Antoinette Lorenzi, une institutrice de 29 ans et les 35 de Petreto-Bicchisano. A leur arrivée à Porto-Ferrajo, ils sont dirigés vers le camp d’Albereto, 1 km plus loin. Les conditions de détention sont dures : la faim et le manque d’hygiène, ajoutés à la perspective de la déportation, finissent par créer de relations de plus en plus tendues entre les détenus. Il faudra l’autorité et le talent de persuasion de l’avocat Charles Cancellieri, pour que la dignité de chacun soit préservée. Cancellieri est nommé chef de camp par les 110. « Mettre un terme à des scènes pénibles, à des discussions souvent violentes, écrit Lucie Molinelli, éviter les bagarres, partager les tomates ou le raisin, excuser l’égoïsme des uns, la rancœur des autres, lutter contre l’isolement et l’ennui dans un espace confiné où se côtoyaient des hommes d’âges et de milieux différents, intervenir sans cesse auprès des carabiniers, parlementer avec le capitaine Vigano qui ne donna jamais une réponse positive à ses réclamations, contacter tous les jours le lieutenant Bonbino, stupide et menteur, toujours saoul de surcroît, supporter l’arrogance du lieutenant Giusti, surnommé par les siens « il tedescho » qui cachait mal le mépris qu’il avait pour les Corses, telles étaient les fonctions et les devoirs du chef de camp [Cancellieri. »9Ibid

A l’annonce de la capitulation italienne, le 8 septembre au soir, la libération et le rapatriement semblent inéluctables. Après que l’île italienne ait subi quelques bombardements, les prisonniers sont libérés. Quelques uns pourront s’échapper et rejoindre la Corse mais la majorité, à cause des atermoiements de Bonbino, seront fait prisonniers par les Allemands qui sans trop attendre ont pris pied sur l’île d’Elbe. Le 5 octobre, les détenus sont embraqués à destination du continent italien. Débarqués, tenaillés par la faim, exposé au froid et au soleil, ils sont entassés dans l’effroyable promiscuité de ces wagons à bestiaux sans toit. La dysenterie crée des conditions d’hygiène invivables. Ce calvaire dura quatre jours, le temps du transport jusqu’à Wolfsberg en Autriche, en passant par l’Italie septentrionale et le Brenner. « Une quinzaine de déportés, mettant à profit les arrêts en gare ou en pleine campagne, s’évadèrent » (8) Pour les autres le voyage continue jusqu’en Autriche plus précisément au Stalag 18A. Dans la confusion qui règne alors chez l’ennemi, les Corses sont considérés maintenant comme des prisonniers et non plus comme des déportés. Arrivés en Autriche leurs conditions de vie s’améliorent nettement. Trois jours après leur arrivée, ils rejoignent Wolfsberg. Ceux qui sont en état de travailler sont affectés dans des fermes (comme Charles Bonafedi), des usines ou chez des particuliers (professions libérales) pour y être employés. Mais pour les bouches inutiles, une trentaine, ce sera la camp de Graz, en Styrie, dans le sud-est de l’Autriche où vit une « humanité lamentable » commente Livrelli. Cependant, à l’intérieur du camp, les Corses, jouissent d’un statut privilégiés pour la nourriture, l’hygiène et les libertés. Antoine Cornéani qui a plus de 50 ans, trop affaibli, ne survivra pas ; il meurt le 2 avril 1945. Les autres reviendront, à l’exception aussi de Charles Bonafedi qui s’évadera, rejoindra les patriotes yougoslaves et mourra au combat le 2 mars 1945.

Antoine POLETTI

LIENS : Le camp de Ferramonti di Tarsia (vidéo)

Les déportés de Petreto-Bicchisano

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