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Pages d'histoire Les combats de la Libération

29 novembre 2019

A l’annonce de la capitulation italienne, le 8 septembre au soir, le Front National de l’indépendance de la France lance l’ordre d’insurrection afin de chasser l’ennemi allemand déjà présent en Corse depuis le début de l’été 1943 et augmenté à partir de septembre de la 4ème Panzergrenadier division venant de Sardaigne, en transit vers le continent italien.

Les Résistants ne disposant que d’armes légères, l’issue de l’insurrection dépendra de l’aide qu’ils pourraient obtenir de l’armée française basée en Afrique du Nord et, avant l’arrivée de celles-ci, éventuellement l’aide de l’armée italienne. Cette dernière, présente dans l’île depuis le mois de novembre 1942 était puissance occupante jusqu’à sa capitulation et on ne peut rien présumer de son attitude vis à vis de son ancien allié, quelques soient les clauses de l’acte de capitulation.

Les forces en présence

L’armée allemande.

L’armée allemandes est présente en Corse depuis le début de l’été : une brigade d’assaut Reichführer SS installée au sud de Corte et 4 000 hommes dans le Sartenais où à Quenza, dans l’Alta Rocca, ils établiront un P.C. avec 200 tonnes de munitions et 600 000 litres de carburant. A ces troupes viendront s’ajouter, en transit, les soldats de la 4ème panzergrenadier division commandée par le maréchal von Senger und Etterlin : 32 000 hommes basés en Sardaigne depuis le mois de juillet, et qui vont passer par la Corse pour rejoindre le continent italien. Ils débarquent à Bonifacio et remontent vers le nord pour atteindre Bastia, le port principal de leur embarquement en empruntant la route de la plaine orientale tout au long de laquelle ports et aéroports secondaires ont été aménagés pour leur évacuation vers l’Italie.

Pour sécuriser l’itinéraire de leur retraite il leur faut tenir à bonne distance les Résistants et les troupes françaises. Donc la Wehrmacht va essayer tenir les cols de la dorsale montagneuse qui traverse la Corse selon un axe de nord-ouest en sud-est, de Calenzana à Porto-Vecchio. Quant aux rapports avec l’ex-allié italien, ni le général italien Magli ni Von Senger ne tiennent à l’affrontement. Et cela en dépit des ordres qu’ils ont reçus de la hiérarchie ; selon le mot de code « Axe », il est demandé à Von Senger qu’il soit procédé au désarmement des Italiens; quant à Magli, le message qu’il a reçu de Roattra, chef d’état-major de l’armée, est clair : « Considérez les Allemands comme des ennemis ». En définitive, les deux chefs conviennent d’un modus vivendi mais sur le terrain cette neutralité sera difficile à appliquer du fait de la pression exercée par les Français -Résistance et armée- pour obtenir l’engagement à leurs cotés de l’armée italienne qui est pourvue d’équipements lourds dont les Français ont bien besoin.

L’armée italienne.

Puissance ccupante jusqu’au 8 au soir, quelle sera l’attitude de l’armée italienne lorsque l’ordre d’insurrection sera lancé ? « …Avec nous, contre nous ou neutres » demande aussitôt Paulin Colonna d’Istria à Magli. « Avec vous » répond Le général Magli. « Quelques heuresplus tard, Magli reçevra avec la même courtoisie et non moins de compréhension apparente le général Von Senger venu s’excuser des heurts qui s’étaient produits entre marins allemands et italiens dans le port de Bastia.Il donnera ordre, sur le champ, de libérer les prisoniers allemands et de leur restituer les armes saisies ».(4). Voilà résumée ce que sera l’attitude ambivalente de Magli durant les combats libérateurs. Selon les clauses de l’armistice l’armée italienne qui n’est pas reconnue cobélligérante,doit rejoindre l’Italie dans les meilleurs délais. Selon l’armistice, elle « s’efforcera d’ôter aux Allemands tous les moyens qui pourraient être employés contre les Nations unies » (art. 2). Par ailleurs, les forces armées « sont écartées de toute participation à la guerre en toute zone où elles se trouvent actuellement engagés » (art.8). Comprenne qui pourra ! Mais Magli ne peut ignorer le message qu’intercepte le 10 septembre à 11 heures le commandant de la marine italienne à Bastia ; ce message, signé par Roattra, chef d’état-major de l’armée, est sans ambigüité : « Considérez les Allemands comme des ennemis ». Magli ne l’aurait reçu que le lendemain. (5). En fait, sur le terrain, cette armée réagira selon le bon vouloir de ses chefs et de la troupe. Parfois aux cotés de la Résistance et de l’armée française (avec plus ou moins de conviction et d’ardeur), c’est le cas des troupes du général Pedrotti, de la division Friuli, du 88ème R.I.de la division Cremona ; parfois elle est restée fidèle aux Allemands, telles les Chemises noires qui combattent en Alta Rocca ; le plus souvent essayant de s’en tenir à une neutralité improbable. Le capitaine de vaisseau Lepotier qui commandait les tabors déplore « (…) les illusions du haut commandement [français], trop confiant dans l’efficacité de l’aide italienne (…). »(6) même s’il y a bien eu  » l’appui sincère, mais insuffisant, de quelques officiers italiens » (7) reconnait Lepotier. « Mais au total, l’aide italienne aux Corses résistant, dès avant l’arrivée des secours d’Algérie, aura été déterminante. (8). Et « Si irrégulier qu’il ait été, l’appui italien a certainement évité le pire aux forces de la Résistance. » (9)

La Résistance.

La Résistance a gagné en légitimité dans l’opinion depuis l’arrivée des troupes italiennes en Corse. Elle a gagné en crédibilité aussi parce qu’elle s’est structurée et se présente quasiment unie sous l’égide du Front National – c’est un facteur de réussite. Elle a la confiance du général Giraud. Grâce à la mission Pearl Harbour, les sous-marins (depuis décembre) et les parachutages (depuis mai), elle est équipée d’un armement certes léger mais suffisant pour mener la guérilla. Elle est partout présente dans l’île. On estime à 12 000 les Résistants dotés d’armes légères à la veille de l’insurrection. Les patriotes ont la connaissance du terrain et peuvent compter sur la complicité d’une grande partie de la population ; ce sera un atout précieux pour les forces armées. Mieux qu’une force supplétive, la Résistance sera un acteur majeur des combats de la Libération. L’armée a pu vérifier ce constat fait plus tard par le maréchal de Lattre de Tassigny : « Vous étiez d’autres nous-mêmes ». La Résistance a même engagé seule au début le combat avec une aide irrégulière et peu enthousiaste – à quelques exceptions près- de l’armée italienne.

Des Français seuls, à l’exception d’un petit commando américain

Bien qu’il n’ait pas voulu cette insurrection, l’état-major d’Alger décide d’envoyer l’armée pour aider les insurgés . Ce sera avec l’armée française seulement et avec des seuls bateaux français, parce que les Alliés ont besoin de tous leurs moyens sur le continent italien où ils peinent à prendre pied.

109 hommes du bataillon de choc transportés par le sous-marin Casabianca débarquent dans la nuit du 12 au 13 septembre à 1 heure du matin à Ajaccio, libre de tout occupant. Suivent le lendemain, Le Fantasque et l’Aréthuse avec quelques 400 « chocs » supplémentaires et les premiers combattant marocains. Et plus tard encore, le Jeanne d’Arc, le Perle, l‘Alcyon, le Tempête, le Basque, le Fortunée et le Montcalm. Les Combattants marocains et les soldats du bataillon de choc débarquent à Ajaccio, foulant pour la première fois le sol de France ; des troupes de l’armée française exclusivement, à l’exception d’un petit commando américain aux ordre du capitaine James Pitteri, débarqué le 19 septembre par deux torpilleurs italiens Legionare et Oriani. Mais tous ces armées seront maintenues plus d’une semaine à Ajaccio pour assurer la tête de pont ; trop longtemps au gout des Résistants qui ont engagé le combat dès le début de l’insurrection.

Le bataillon de choc, commandé par la général Gambiez, est une une unité formée spécialement pour des coups de main, des opérations de commando, de guérilla et de close combat. Les jeunes volontaires recrutés (moyenne d’âge 22 ans) ont été formés à Staouéli en Algérie. Une 4ème compagnie -dite des Corses- sera recrutée et incorporée en Corse.

Les troupes marocaines sont constituées du 1er R.T.M. (régiment de tirailleurs marocains) commandé par le colonel Butler, du 2ème G.T.M. (groupe des tabors marocains) commandé par le lieutenant-colonel de Latour et le 4ème R.S.M. (régiment de spahis marocains). Ces troupes sont mal équipées, manquent de moyens de transport et doivent accomplir de longues marches avec de lourdes charges sur le dos. Butler s’en plaint : « (…) le 1er R.T.M. est arrivé en Corse sans un animal, sans un véhicule, sans cuisine, sans récipients  collectifs à eau, sans bagages » (note du colonel Butler, citée par Hélène Chaubin (1)

A ce gros de la troupe, dont les effectifs sont évélués à 6 500 hommes par le général Gambiez, s’ajoutent, le génie, les transmissions, l’armée de l’air, l’armée de mer et un petit commando américain de James Pitteri. Au total 15 000 hommes selon le général Giraud (2). Les forces aériennes françaises n’offriront que peu de couverture pour les combattants au sol. Elles ont pour mission première de tenir Ajaccio, la tête de pont. « Des Spitfire du groupe de chasse français sont à Campo Dell’Oro le 14 septembre mais rejoignent Bône sur ordre du Coastal Command. Ce n’est que le 23 septembre que huit chasseurs Spitfire reviennent assurer la sécurité d’Ajaccio, de son port et de son aéroport. » (3)


Tirailleur
 : fantassin nord-africain ou africain
Goumiers : fantassin ou cavalier supplétif marocain. Le goumier a un statut très particulier. il reçoit des indemnités de subsistance pour lui et sa famille. Les goumiers sont regroupés en « goums ».
Tabor : équivalent d’un bataillon. Formé de plusieurs goums.
Koumia : poignard des goumiers.

 

Les combats de la libération

Dans le sud


Les combats ont lieu dès le 10 septembre dans le Sartenais, l’extrême sud et l’Alta Rocca. Les Résistants, avec parfois l’aide parcimonieuse mais décisive des soldats italiens, y affrontent les Allemands lourdement armés. Le 18 septembre, les Allemands quittent la montagne mais ils n’en ont pas fini avec les Résistants qui continuent de les harceler, maintenant aidés par les hommes du bataillon de choc : les combats continuent au col d’Aresia, à Fautea, Conca, Trinité, Sari de Porto-Vecchio. Le 23 septembre, après Bonifacfio, Porto-Vecchio est libéré.

Dans le centre de l’île

Dans la région de Ghisonaccia, les soldats du bataillon de choc aidés par les Résistants opèrent par des coups de main ; à Abbazia où les Allemands ont installé un PC proche d’une piste pour les avions ; à l’usine de la Fortef, à Agnatello ; dans le défilé de l’Inzecca, sur la route de Ghisoni à Ghisonaccia ; dans la région d’Aleria-Antisanti, à Puzzichello plus précisément ; dans le Cortenais-Castagniccia, notamment à Barchetta-Campile et Champlan, près de Folelli.

Dans le nord de l’île

L’enjeu, c’est le port de Bastia, principal lieu d’évacuation des troupes allemandes. Les Résistants et l’armée française (bataillon de choc et marocains), aidés parfois par les soldats italiens, se déploient par le sud, l’ouest et le nord pour « envelopper » Bastia. Il leur faut déloger l’ennemi des cols que les Italiens leur ont trop facilement cédés. Après les cols de San Stefano et San Antonio au sud de Bastia, après le col de San Leonardo au nord, dans le cap corse, les combats se concentrent sur les hauteurs de la ville, au col de Teghjme que les Allemands abandonneront quelques heures seulement avant qu’ils aient embarqué leurs derniers hommes, laissant le champ libre aux premières troupes françaises –celles des goums- qui pénètrent dans Bastia le 4 octobre à 5 h.45.

(1)    Hélène Chaubin. « Corse des années de guerre, 1939-1945″. Ed. Tirésias AERI. p 91
(2)    Hélène Chaubin. « La Corse àl’épreuve de la guerre ». Ed. Vendémiaire. p.209
(3)    Hélène Chaubin. « Corse des années de guerre, 1939-1945 ». Ed. Tirésias AERI. p 91
(4)    Général Gambiez. La libération de la Corse. Ed. Hachette. p. 154
(5)    Ibid. p. 160
(6)    Capitaine Lepotier. « Des clandestins débarquent » in « La Résistance en Corse » Ed. Famot. Genève 1976. p. 84
(7)    Ibid. p. 89
(8)    Hélène Chaubin. « La Corse à l’épreuve de la guerre ». Ed. Vendémiaire. p.207
(9)    Ibid. p. 209

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