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Pages d'histoire Les Italiens en Corse

27 novembre 2019

Des immigrés bien intégrés jusqu’ à l’arrivée des fascistes au pouvoir

Il existe une longue tradition de migrations saisonnières et d’émigrations de l’Italie vers la Corse. Mais avec l’arrivée au pouvoir des fascistes, la nature de cette émigration change. A cause, d’une part, de décisions économiques incohérentes du gouvernement italien, suractivées par la crise de 1929, qui provoquent une montée du chômage dans la péninsule. A cause aussi, d’autre part, de l’arrivée en Corse d’antifascistes contraints de fuir leur pays. Emigration politique et économique se conjuguent pour provoquer une progression spectaculaire des ressortissants italiens en Corse qui passent de moins de 7 000 en 1926 à plus de 17 000 en 1937, représentants 8,5 % de la population vivant en Corse.La ressemblance de leurs langues et de leurs moeurs rapprochent Corses et Italiens.

Leur intégration1Rapport préfectoral : (19 mai 1938).
« Ces éléments (francisés) sont nombreux en Corse et répandus notamment dans les villages, travaillant la terre, parce que la main d’oeuvre corse, volontiers hostile au rude travail qu’elle impose, s’expatrie, s’en va à la ville, sur le continent et dans l’armée. Il n’y a rien à craindre de leur part : les naturalisations sont nombreuses, les mariages fréquents avec les Corses, l’enrôlement dans l’armée française assez marqué ».
s’est donc, des décennies durant, relativement bien passée. Jusqu’à l’arrivée des fascistes au pouvoir qui irritent les Corses en proclamant leur volonté d’annexer la Corse à l’Italie. D’autant que le consulat déploie de grands moyens pour parvenir à ses fins : il y a dans l’île un consul accompagné d’un vice-consul et de 7 agents consulaires. Leur mission : « conserver l’italianité des immigrés et promouvoir l’idéologie fasciste ». Le consulat le fait notamment avec les Dopo lavoro, « lieu de réunion dont le but, tout en restant récréatif, est de parfaire l’éducation italienne de la classe laborieuse ». Autre mission du consulat : surveiller et isoler les antifascistes de la colonie italienne. Il essaye même d’obtenir le concours des autorités françaises pour ce faire. Le Préfet de Corse en informe le Ministre de l’intérieur : « …En ce qui concerne la propagande antifasciste et communiste, il (le consul) m’a demandé si je serais disposé à lui fournir tous les renseignements pouvant lui permettre de récupérer et d’identifier les communistes italiens… ». Ce sera refusé

 

Des fascistes actifs face à des antifascistes avertis et résolus

2Rapport du préfet de la Corse (19 mai 1937) : « Tous ces éléments (antifascistes) assez nombreux à Ajaccio et surtout à Bastia appartiennent à différentes entreprises, notamment à celles du bâtiment. Ces Italiens, pour la plupart syndicalistes, appartiennent aux partis extrémistes : ils sont notamment dans cette ville les plus bruyants dans les manifestations. (N.D.L.R : nous sommes au lendemain de 36 et en pleine guerre d’Espagne) Ces parmi les éléments de ces sections – Ligue des Droits de l’Homme, Unione Populare Italiana et autonomes – qu’ont été recrutés une quarantaine de volontaires pour l’Espagne gouvernementale ». (NDLR : Les Brigades Internationales)

L’activité des fascistes italiens dans l’île est intense. Ils surveillent leurs compatriotes et tentent d’obtenir leur adhésion au fascisme.  Si la surveillance est effective par le biais des représentants officiels, des comités et des syndicats fascistes , l’adhésion des Italiens au régime fasciste est cependant faible : environ 5 % de la colonie italienne en Corse […]. Les immigrés sont beaucoup plus sensibles à l’activité d’un important groupe antifasciste […]. Il ne faut pas oublier que l’émigration est surtout le fait des provinces du Nord de l’Italie, Toscane, Emilie Romagne, qui ont été des bastions de résistance au fascisme (…) Ces antifascistes « constituent d’ailleurs le noyau actif et avancé de la classe ouvrière corse en général » Bien organisés et politiquement avertis, ils structurent le jeune Parti Communiste en Corse ; ainsi à Ajaccio, en 1931: sur 15 présents à la constitution de la section, 8 sont Italiens. Ils sont partie prenante, avec les organisations de gauche, des manifestations antifascistes. Mais cette unité est ébranlée par le pacte germano-soviétique qui jette le trouble chez les antifascistes. Au surplus, les autorités françaises exigent que les communistes soient exclus des organisations de masse antifascistes.

Les Comités Ciano : retourner en Italie pour servir la patrie (ou l’Allemagne !)

3 Rapport du préfet du 15 février 1939 : « (…) Depuis près d’un mois, une grosse pression est exercée par les autorités consulaires sur leurs ressortissants pour les inviter à rentrer d’urgence en Italie. […]. Ces Italiens ne reçoivent pas l’ordre impératif de quitter la Corse mais ceux qui ont été présents ont été avisés que, s’ils ne rentraient pas, ils pourraient perdre leur nationalité italienne et s’exposeraient à toutes les rigueurs que peut entraîner cette mesure (confiscation des biens, notamment) […]. Pour décider les plus récalcitrants, on ne manque pas de faire jouer la corde du sentiment familial : beaucoup d’Italiens, même parmi ceux qui vivent chez nous depuis longtemps, ont des membres rapprochés de leur famille demeurés en Italie et la perspective d’une séparation définitive et même de représailles à l’adresse de leur famille demeurée en Italie, provoquera des départs que n’aurait pas pu entraîner l’espoir d’un emploi rémunérateur.(…) ».

En 1939, à la veille de la guerre, le gouvernement italien entreprend de rapatrier le plus possible de ses ressortissants résidant en Corse, pour fournir des bras à l’économie et des soldats à l’armée. Par ailleurs, n’étant pas sûr des sentiments fascistes des émigrés, le gouvernement italien craignait peut-être que leurs ressortissants gardent une neutralité bienveillante à l’égard des ennemis de l’Italie, ce qui n’aurait pas manqué d’ébranler le moral de la population italienne qui n’était pas fameux. Le souvenir de Guadalajara était encore frais. C’est la commission Ciano qui se charge de ce rapatriement. Les consuls reçurent des instructions fermes et se mirent en chasse avec frénésie. Déjà en 1938, le consul avait tenté de recruter des Italiens pour aller travailler en Allemagne mais les premières tentatives de rapatriement des Italiens n’ayant pas rencontré beaucoup de succès, les autorités fascistes mirent au point toute une série de mesures destinées à encourager, sinon à obliger les Italiens à rentrer.

Retourner en Italie ou s’ engager avec la France.

4 Lettre du sous-préfet de Bastia au préfet de Corse (18 avril 1939) :
« 194 Italiens appartenant à la section de l’U.P.I. de Bastia et 120 Italiens de l’Association des Anciens Combattants franco-italiens de Bastia, ont décidé de se mettre à la disposition des autorités françaises en cas de conflit ». Le chef de bataillon Bauer (Bureau du recrutement d’Ajaccio) écrit au Président du Conseil (24 avril 1939) : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que jusqu’à ce jour, cinq cents Italiens ont manifesté l’intention de contracter un engagement pour la durée de la guerre dans l’armée française en cas de conflit(…) ».

Durant le 1er semestre de 1939, ils ont été environ 5 000 à quitter la Corse. Ce n’est pas sans conséquence sur l’économie corse. Le préfet s’en inquiète auprès du Ministère de l’Intérieur. Le 17 mai 1939 il écrit : «…à l’heure actuelle, le mal commence à être grand pour la Corse qui voit partir de ses campagnes ses meilleurs ouvriers agricoles ». Les antifascistes quant à eux ne sont pas « sollicités » : Le consul n’en espère rien. Ils font même la démarche auprès des autorités françaises pour servir la France en cas de conflit

Nadine Venturelli : les fascistes ont échoué

« Malgré quelques difficultés on peut dire que l’intégration des Italiens en Corse s’est faite avec facilité. Les fascistes ont échoué dans le but qu’ils s’étaient fixés. Ils n’ont pas pu s’opposer à la francisation de la communauté italienne. Ils se sont opposés à une organisation antifasciste forte et influente qui avait la sympathie de la majorité de la colonie italienne. Avec l’arrivée de la guerre, ils réussiront à faire partir nombre d’immigrants mais beaucoup d’entre eux reviendront en Corse après la guerre ».

 

 

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