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Pages d'histoire La Résistance des militaires. Obéir ou pas ?

16 avril 2020

On apprend aux militaires –c’est un commandement essentiel- que la discipline est la force principale des armées, qu’il faut obéir aux ordres de la hiérarchie ; une obéissance qui ne devrait pas souffrir d’état d’âme en cet été 1940 parce qu’il faut sauver ce qui peut encore l’être dans « … la chute de la France roulant du haut de l’histoire jusqu’au plus profond des abîmes. » (De Gaulle. Mémoires de guerre). Et puis, n’est-ce pas un maréchal, Pétain, vainqueur des Allemands en 14-18, qui nous le demande ? On a perdu la guerre, il faut faire la paix avec l’ennemi, faisons confiance au maréchal, obéissons; c’est notre bouclier contre l’occupant, en attendant des jours meilleurs. A l’instar d’une majorité de Français, au début de l’occupation, beaucoup de militaires consentiront à l’argumentation pétainiste, en Corse aussi.

Pourtant on entend des voix discordantes, dont la plus célèbre est venue de Londres : « La France a perdu une bataille mais pas la guerre » ; pour la circonstance, « obéir c’est trahir et désobéir c’est servir ». Le général Mollard, gouverneur militaire de la Corse, en est convaincu : « Si l’ennemi débarque en Corse, lance-t-il à son état-major, je résiste. » (1) Peu de gens ont entendu Radio Londres mais ils partagent néanmoins cet esprit de Résistance par antifascisme et surtout par crainte de perdre la nationalité française, restant fidèles en cela au « Serment de Bastia ». Le 19 juin, des sous-officiers se rendent auprès du consul général d’Angleterre à Ajaccio, le major Routley, afin de s’engager dans l’armée britannique. Refus ! Le 10 juillet, c’est le capitaine Antoine Ferracci qui sollicite le premier ministre britannique pour qu’il envoie un sous-marin ou un hydravion dans le golfe de Saint-Florent afin que des volontaires s’y embarquent pour l’Angleterre. Refus ! L’Angleterre espère toujours un ressaisissement de Pétain et ne veut pas l’hypothéquer par un encouragement à contester son armistice.

L’armistice avec l’Italie est signé le 24 juin : la Corse ne subira pas une occupation immédiate en cet été 1940 mais l’île doit être démilitarisée et l’armée démobilisée. Seules resteront opérationnelles les batteries du secteur d’Ajaccio. Le 173ème régiment d’infanterie alpine est dissous ; demeurent un bataillon autonome corse du 173ème et un escadron de la Garde républicaine. Tout ça se fera sous le contrôle d’une délégation d’armistice fasciste. Alors les militaires se hâtent, avant son arrivée de camoufler les armes et les munitions qu’on ne veut pas céder à l’ennemi, parce qu’on espère reprendre le combat un jour. « Un coup de main, a lieu sur la batterie de La Parata à Ajaccio. Les armes et munitions saisies sont cachées chez Henri Maillot qui est entrepreneur à Ajaccio et qui est apparenté au général De Gaulle. » (2). « … parmi les militaires fidèles à Pétain, certains croient au double jeu, entendent bien le mener [Le combat]: ils camouflent l’armement au maximum. Plusieurs seront déportés en Italie, en 1942-1943 : le colonel Priou, le colonel Costa, le commandant Bonifaci, le commandant Gabrielli, le commandant Bernardi, le capitaine Canavelli […] et même le général d’aviation Poli-Marchetti, retraité. […] Le capitaine de vaisseau Quédec, commandant du port d’Ajaccio, évitera [durant] dix-huit mois le désarmement du Front de Mer; il repartira allègrement au combat en 1943.» (3). « Dans le secteur de Bonifacio, face à la flotte italienne, les troupes refusent de mettre bas les armes. L’instituteur communiste Mémé (Jean-Dominique) Ferrandi entre en contact avec les officiers de son unité pour organiser la continuation de la lutte. Des tonnes de grenades sont cachées. » (4)

Le 8 juillet, la délégation italienne d’armistice arrive. Elle est composée de 23 membres au début et augmentera plus tard jusqu’à 59 membres. Elle s’installe au Grand Hôtel du cours Grandval à Ajaccio. Les Italiens ne sont pas les bienvenus. Le commandant Pierre Silvani le leur fait savoir avec véhémence. Ҫa lui vaudra 15 jours d’arrêt (5). Le capitaine Innocenzi, quant à lui, refuse d’évacuer sa compagnie trois jours durant. Plus discrètement, des militaires à la retraite ou mis en congé d’armistice s’activent eux aussi ; le commandant François-Marie Pietri est de ceux-là. Il lance dès juillet 1940, un appel aux Corses à résister, faisant écho au refus du sénateur Paul Giacobbi de voter les pleins pouvoirs à Pétain –le seul parlementaire à voter NON. Par  la suite, François-Marie Pietri animera un groupes  de résistants en Alta Rocca ; Résistant aussi le capitaine retraité Canavelli de Corte qui en relation avec le lieutenant Rossi (dit Le Noir) de Nice sera le responsable du mouvement Combat en Corse ; le colonel Valentini qui animera la Résistance dans le Cortenais ; le médecin lieutenant colonel Crudeli  de Combat et de Pearl Harbour qui mourra  sous la torture des fascistes le 7 mars 1943. « D’autres officiers ont la même réaction ; dans l’armée de terre, le colonel Ferrucci, les commandants Samarcelli et Calendini, le capitaine Micheli, les lieutenants Béovardi, Cucchi, Martini, de Peretti, Mottard, le lieutenant Vermonet, déporté par les Italiens en 1943, le lieutenant de la Bourrelière, arrêté en 1943, et le sous-lieutenant Guerrini, aviateur, qui tous auront tous des rôles actifs dans la Résistance ajoutons les adjudants-chefs Colombani, Pacini, les adjudants Pérès, Ber­tucci, Vinciguerra… Presque partout, la gendarmerie aidera; l’adjudant Labussière deviendra autour de Bonifacio chef d’un réseau de renseignements sur les déplacements ennemis, avec les gendarmes Gonalch et Mortier; l’adjudant-chef Paganelli, les gendarmes Carbonne, Cornu et Oustry combattront à la libération. La police forme aussi les résistants à ses méthodes. » (6)

Le général De Gaulle à Zonza
Les Résistants de l’Alta Rocca présentent les Armes au général De Gaulle

Comment, accablé par la défaite et l’occupation, dans le chaos, la débâcle de 1940, et dans un pays privé des libertés élémentaires, avoir encore la lucidité pour ne pas se laisser duper par la propagande pétainiste qui déferle et prendre le risque de la contester en dépit de la répression? Comment faire entendre la voix de la Résistance, si ténue soit-elle à ses débuts? Des militaires en activité, à la retraite ou démobilisés y ont apporté leur contribution, s’amalgamant avec les civils, pour jeter les bases de la Résistance corse contre l’occupant fasciste, pour s’armer, et plus tard affronter l’occupant allemand, apportant aux patriotes en armes leurs compétences pour la libération de la Corse.

A.P.

Notes :

  • (1) Maurice Choury. Tous bandits d’honneur! Alain Piazzola 2001. P. 21.
  • (2) Hélène Chaubin. Corse des années de guerre 1939-1945. Ed. Tirésias. Pp 19,20.
  • (3) Général Gambiez. La Résistance en Corse. Ed. Famot. PP 52-54
  • (4) Maurice Choury. Op. cit. P 21
  • (5) Quelques jours après, le 22 juillet, Eugène Macchini, membre de la municipalité bonapartiste d’Ajaccio, conduit une manifestation contre la DIA aux cris de « Vive l’Angleterre, à bas l’Italie ». Il écope de 20 jours de prison.
  • (6) Général Gambiez. Op. cit. P 51

Liens :

L’organisation  de la Résistance.
La Résistance au printemps 1943
Des réseaux au Front national.
L’armistice. la D.I.A.

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