Chargement...

 

Pages d'histoire La Corse des Années 1930 à la seconde guerre Mondiale

27 novembre 2019

La passion de l’identité (Contrib. Hélène CHAUBIN…(1/3))

Extraits d’une contribution au colloque de Brest – 15, 16, 17 novembre 2001 – sur le thème : « Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale ». Edité par le Centre de recherche Bretonne et Celtique 20, rue Duquesne. BP 814.29285 Brest cedex

Du corsisme à l’ irrédentisme 1 Il y a eu dans les années 1930 et 1940 un irrédentisme corse pratiqué par de petits groupes, soit dans l’île, soit en Italie. Moins de vingt personnes en Corse, et pas davantage sans doute en Italie, mais inscrits dans une mouvance italienne de quelques centaines de militants, si bien que des Groupes d’action irrédentistes (GAI) ont pu y être constitués, surtout en Toscane. Comment attirer les Corses ? Deux milieux ont été particulièrement sollicités : le clergé insulaire et le milieu corsiste réputé perméable. L’évêque nommé à Ajaccio en 1927 a sans doute limité la pénétration. Il a été très attaqué par la presse italienne mais il n’a été remplacé qu’en 1938. Le PCA (Partitu Corsu per l’Autonomia) absorbe la thématique anti-française des irrédentistes, mais il ne va pas jusqu’à proclamer ouvertement que la Corse est « italianissime ». Il donnera cependant quelques-uns des siens à l’irrédentisme. L’Italie les recrute surtout en octroyant des bourses d’études.

Un régionalisme proprement corse existe, qui s’exprime déjà avant la première guerre mondiale. Né dans un cercle étroit d’intellectuels, de journalistes, de poètes, il semble être surtout une réaction à l’hégémonie linguistique française. Mouvement naissant, le « Corsisme », qui pose le problème de l’autonomie, ne paraît pas apte à toucher les milieux populaires. Mais les conséquences de la Première Guerre : dépression démographique et économique, émigration des jeunes, sous-équipement sanitaire persistant ainsi que la mauvaise application des lois sociales nourrissent l’idée autonomiste. Tout est imputé par les corsistes à l’indifférence des pouvoirs publics et au régime parlementaire. Car les élus de la Corse sont des hommes d’influence et de talent, mais qui maintiennent des traditions claniques aux effets pervers. Les Corsistes fondent un journal, A Muvra (Le Mouflon), en 1920, puis le Partitu Corsu d’Azione, en 1923. […] Ils se veulent à l’écart des logiques et des tactiques des formations politiques dont les appellations, sinon les contenus, sont les mêmes que sur le continent. Pour éviter l’isolement, le chef du PCA, Petru Rocca se rapproche des partis autonomistes de Bretagne et d’Alsace qui adhèrent en 1927 au Comité Central des Minorités Nationales de France. Et pour obtenir une assise populaire, la poésie et le théâtre, jugés propres à toucher les milieux des paysans et des bergers sont privilégiés : tous les ans, à Pâques, dans toute l’Ile, des Mirendelle, fêtes champêtres qui sont aussi des tournois de poésie corse, sont organisées avec succès.
Mais la promotion d’un régionalisme culturel ne suffit pas. Il n’y a pas de construction ou de reconstruction identitaire sans affrontement : c’est l’identité française acceptée depuis 1789 que les autonomistes récusent […]. Toutefois, l’alternative italienne n’est pas proposée avant la période fasciste qui introduit dans le face à face identitaire franco-corse un troisième terme : celui de l’irrédentisme. La Corse devient un enjeu du nationalisme italien. […] L’opinion publique corse y reste longtemps assez indifférente. D’où une attitude très tolérante. Les ingérences italiennes dans les campagnes pour les Législatives en Corse à partir de 1928 font évoluer cette opinion : l’Italie soutient sans nuances la droite insulaire, le parti des Neri, représenté par François Pietri, Jean Chiappe, contre la Gauche radicale alors très influente avec Adolphe Landry et César Campinchi. Avec l’effet immédiat d’éveiller des passions populaires italophobes. Dans la période du Front populaire, les autonomistes corses doublement marqués par leur italophilie et par leurs prises de position systématiquement hostiles aux gauches en France et favorables aux initiatives fascistes ne sont plus à l’abri d’une riposte des autorités françaises En 1938, Petru Rocca est radié de l’ordre de la Légion d’Honneur en application du décret-loi du 24 mai, frappant « quiconque aura entrepris de porter atteinte à l’intégrité du territoire national » 2Article 80 du Code Pénal.
Le conflit identitaire est donc ouvert quand se produisent les incidents de Montecitorio en novembre 1938 : Ciano, ministre et gendre de Mussolini revendique Tunisia, Corsica, Savoia e Gibuti.

Corsisme, Cyrnéisme : le clivage

En 1939, les régionalistes ne présentent plus un front uni. La guerre est un révélateur des clivages. Pour les Corsistes, 1939 est un « an de disgrâce » selon les termes du leader autonomiste Yvia Croce 3 Hyacinthe Yvia-Croce, Vingt années de corsisme, 1929-1939, éd. Cyrnos et Méditerranée, Ajaccio, 1979. Le jour où les armées allemandes entrent en Pologne, le 1er septembre, paraît le dernier numéro d’A Muvra : « Vouloir être Corse est un péché ». Ils nient encore la validité de l’assimilation du corsisme à un irrédentisme corse […]. Les cruelles caricatures anti-françaises d’Il Telegrafo et d’A Muvra relèvent pourtant de la même inspiration. Comme la haine du Front Populaire, l’anglophobie, l’approbation de la politique italienne en Ethiopie et allemande en Tchécoslovaquie puis en Pologne, la dénonciation de méfaits imputés aux Juifs et aux Francs-Maçons. L’identité régionale, pour les corsistes, se nourrit alors des thèses de l’extrême droite et est parfaitement en phase avec la propagande mussolinienne. Le mouvement est de moins en moins culturel, de plus en plus politique […] Longtemps tolérés, les autonomistes sont désormais considérés comme des agents potentiels de l’étranger, particulièrement de l’Italie fasciste […]. Dans la décennie d’avant-guerre, les muvristes ne peuvent plus prétendre à la neutralité idéologique.
Aussi certains régionalistes ont-ils créé très tôt un autre courant qu’ils ont voulu pur des compromissions politiques : le Cyrnéisme, qui s’est séparé du Muvrisme dès 1924. Son fondateur, Paul Arrighi, est un universitaire qui s’oppose à Petru Rocca. Il dispose d’une revue : L’Annu Corsu. Aidé par le poète corse Maestrale et par un groupe d’intellectuels, il rejette toute prise de position politique et ne veut servir que la culture corse sans se définir, jusqu’en 1940, ni comme francophile ni comme italophile. Après 1927 l’évolution du contexte international a conduit les modérés à se replier résolument sur le régionalisme culturel avec un net refus de toute forme d’irrédentisme. En 1937, L’Annu Corsu est devenue L’Année Corse 4Sur le Cyrnéisme, voir Sylvain Gregori, La Corse de Vichy , Mémoire de Maîtrise, sous la direction de Francis Pomponi, Université de Nice, 1996 .

 

 

 

 

Copyright ANACR 2A 2020   |   Administration