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DossiersRessources documentaires De Gaulle vs Giraud. L’épilogue corse

1 juin 2021

Un large consensus pour de Gaulle … avec quelques voix discordantes et récurrentes.

Anfa. Giraud vs De Gaulle

On a commémoré en cette année 2020 le 80ème anniversaire de « L’Appel » -18 juin 1940- et le 50ème anniversaire de la mort -9 novembre 1970- du général de Gaulle. Les anniversaires décennaux, on le sait, « sonnent comme les carillons de la mémoire » 1L’expression est de Henry Rousso et sont l’occasion d’une production éditoriale et cinématographique plus importante que d’ordinaire. Et, fait remarquable, le consensus autour de la mémoire du « connétable » a tendance à s’élargir -même le Rassemblement national, cette année, s’est mis à l’unisson pour chanter la gloire du général. Tout se passe comme si, par un renversement des lois de la perspective, plus le personnage s’éloigne et plus il grandit. Peut-être faut-il y voir le révélateur d’une nation en quête de références, besoin qu’elle a de se rassurer sur son avenir en se ressourçant aux valeurs portées par celui qui incarna l’espoir depuis Londres ; un espoir, pourtant bien ténu en cet été 40, de sauver la nation en perdition ; l’homme qui, envers et contre tout, finit par faire asseoir la France au pays des vainqueurs, lavant ainsi la honte de la collaboration de Vichy. Une gageure ! Et ce fut un autre défi quand, à son retour en 1958, il œuvra pour donner à la France une nouvelle constitution, clore la période de la colonisation de l’Afrique et surtout sortir la France du bourbier algérien … lui, de Gaulle, avec quelques éclaboussures. C’est pourquoi le consensus est plus large pour le de Gaulle de 1940 que pour celui de 1958. Plus large l’aura du premier Résistant de France mais contestée quand même. Et ce n’est pas nouveau : les accusations qui ont éclos plus tard étaient latentes pendant la guerre.

« Dès 1950, souligne Olivier Wievorka, en effet, Henri Frenay [le responsable du mouvement « Combat »] défend une thèse promise à un bel avenir : Jean Moulin, selon moi, a été en France l’homme du parti communiste. C’est lui qui, instruit et soutenu par De Gaulle, a (…) mis en place une structure pernicieuse [Le Conseil National de la Résistance] dominée par un parti qui était loin d’être au service exclusif de la France […]. L’assimilation [de Moulin] à un agent communiste recevra par la suite le renfort de quelques épigones, Thierry Wolton et Henri-Christian Giraud pour ne citer qu’eux ». Et Olivier Wieviorka conclut : « Procédé regrettable. [,,,] L’histoire, révisionniste par définition, s’attaque volontiers aux idoles. Encore ne faut-il pas se méprendre et éviter de métamorphoser les héros en traîtres».2Olivier Wieviorka. Du bon usage de l’anticommunisme, dans l’ouvrage collectif Jean Moulin face à l’histoire. Ed. Champs Flammarion. 2000. P. 362

Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, a fait litière de ces accusations avec des documents irrécusables3Daniel Cordier. Jean Moulin. La république des catacombes Ed. Gallimard. 1999. mais les charges sont récurrentes. Henri-Christian Giraud, le petit-fils du général Henri Giraud, ancien rédacteur-en-chef du Figaro-Magazine et collaborateur du Figaro-Histoire, a choisi l’automne 2020 pour rééditer son livre – « De Gaulle et les communistes » 4Henri-Christian Giraud. De Gaulle et les communistes. Ed. Perrin. 2020 – afin de commémorer à sa façon, c’est à dire à rebours, la mémoire du chef de la France libre, pensant peut-être ainsi rehausser la gloire de son grand-père. On a accusé ce dernier d’avoir été l’instrument docile aux ordres des Américains ? eh bien, lui, Henri-Christian Giraud, veut montrer que De Gaulle était aux mains des Soviétiques. Il fallait choisir son camp, pense H-C Giraud : soit se ranger sous la bannière des Anglo-saxons et consentir à sacrifier la souveraineté du pays, soit se placer sous la tutelle des Soviétiques et accepter le risque d’une France communiste au sortir de la guerre. Selon H-C Giraud, la France vaincue était condamnée à cette alternative ; elle n’avait plus le choix de sa destinée. Or, c’est précisément le défi qu’a relevé avec succès la résistance française  -France libre et Résistance intérieure. Elle a refusé cette alternative : par sa détermination et ses sacrifices, elle a fait le choix de la dignité et de la souveraineté du pays.

Servir Staline ? Ou s’en servir ?

De Gaulle à la solde de Staline, via l’instigateur Jean Moulin ? La thèse ne résiste pas à l’analyse ; la ligne de conduite de de Gaulle n’a jamais varié : on ne résistera à Hitler qu’avec le concours de l’URSS. Déjà en 1935, il souhaitait que la France et l’Angleterre répondent favorablement aux offres d’alliance de Moscou,5Dans une lettre à sa mère, il écrit : « Nous n’avons pas les moyens de refuser le concours des Russes, quelque horreur que nous ayons pour leur régime. […] tout doit être en ce moment subordonné à un seul point : grouper contre l’Allemagne tous ceux qui lui sont opposés ». Paul Marie de la Gorce. De Gaulle. Ed. Perrin 1999. P. 168 la seule stratégie gagnante parce qu’elle contraindrait Hitler à lutter sur deux fronts : à l’est et à l’ouest. C’est dire qu’à l’annonce de l’invasion de l’URSS, le 22 juin 1941, il s’en réjouit : «Sans accepter de discuter actuellement des vices et des crimes du régime soviétique, nous devons proclamer comme Mr Churchill que nous sommes très franchement avec les Russes [Il répugne à dire les soviétiques] puisqu’ils combattent les Allemands.»6Paul-Marie de La Gorce. De Gaulle. Ed. Perrin 1999. P. 394. P-M de La Gorce remarque par ailleurs (P. 391) qu’ « A aucun moment, […], il n’a fait dans ses discours, la moindre allusion au pacte germano-soviétique, […] sachant probablement la lourde responsabilité des gouvernements anglais et français dans l’échec des pourparlers menés en vue d’une alliance avec l’URSS […]. Plus encore, il a prescrit à ses porte-parole de ne jamais s’en prendre aux communistes français.»

Si l’entrée en guerre de l’URSS modifie le rapport des forces en faveur des adversaires du Führer, le chef de la France libre y voit un autre avantage : la présence de l’URSS « dans le camp des Alliés, écrira-t-il, apportait à la France combattante, vis à vis des Anglo-Saxons, un élément d’équilibre dont je comptais me servir »7De Gaulle. Mémoires de guerre. Ed. La Pléiade.2000. P 194. Et il s’en servira. Il ira même jusqu’à envisager de quitter Londres pour s’installer à Moscou après le débarquement des Anglo-Saxons à Madagascar le 5 juin 1942. Il constate qu’une fois de plus, après la Syrie, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon, les Antilles, Pointe noire (Sénégal) et bien d’autres chausse-trappes diplomatiques, les Anglo-Américains font fi de la souveraineté de la France, et leurs bonnes relations avec Vichy persistent. De Gaulle, lui, «Convaincu de sa propre faiblesse, il estimait n’avoir rien à concéder : seuls les forts peuvent se montrer conciliants et accommodants»8Paul-Marie de La Gorce. Op.cit. P. 383

L’été 1942, les discussions avec Churchill sont houleuses. De Gaulle est même empêché de quitter Londres. Mais le Premier ministre finira par se montrer plus conciliant parce que son gouvernement et son opinion publique tempèrent ses colères. De surcroît, les Français libres ont été héroïques à Bir Hakeim, dans le désert de Libye. Cependant les Américains persistent ; en pleine bataille de Bir Kakeim, lors des cérémonies du Mémorial Day à Washington, début juillet, les officiels français invités de Roosevelt sont les représentants de Vichy, ceux de la France libre sont ignorés. Et de Gaulle n’a pas fini de subir les camouflets du Président. Le 8 novembre 1942 survient le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord et alors la gaullophobie de Roosevelt va donner sa pleine mesure9François Kersaudy. De Gaulle-Roosevelt, duel au sommet. Tempus 2004. Roosevelt à propos de de Gaulle :  » Un français fanatique, à l’esprit étroit, dévoré par l’ambition et ayant de la démocratie une conception suspecte », « Un dingue ».9


Algérie. Roosevelt et Giraud <VS> De Gaulle et le CNR

De Gaulle est tenu à l’écart. Les Américains mise sur le général Giraud qu’ils ont exfiltré de France. Pourquoi Giraud ? Parce que explique Harold Mac Millan, ministre anglais résident auprès du quartier général à Alger, « Sa vanité est telle qu’il croit que ceux-ci [Les Américains] s’intéressent à lui pour ses qualités d’homme d’État et de général. Bien sûr, ils ne voient en lui qu’un instrument commode pour a) nuire à De Gaulle, b) détruire l’unité française. »10François Kersaudy. De Gaulle-Roosevelt, duel au sommet. Ed. Tempus 2004. P. 331. Et il en dresse un portrait peu flatteur : Giraud est « aimable, pompeux et stupide.»11Ibid.P. 283  Ceci explique cela : Giraud sera bien l’homme-lige de Roosevelt pour ses desseins mais seulement après que la parenthèse Darlan, inattendue, ait été refermée, le 24 décembre par son assassinat 12L’amiral Darlan, présenté comme le dauphin de Pétain, se trouve par hasard à Alger pour y voir son fils handicapé. Il est assassiné par Bonnier de la Chapelle qui appartient à un groupe de Résistants.. Commence alors la confrontation Giraud-De Gaulle pour le pouvoir. Les hommes ne s’apprécient pas. « Le rebelle » a toujours marqué des désaccords profonds avec sa hiérarchie tant au plan politique que militaire : avant guerre, de Gaulle est en désaccord sur l’usage des forces mécaniques (blindés et avions), il est pour une intervention de la France dans la Guerre d’Espagne, il condamne les accords de Munich, il place ses espoirs -ils seront déçus- dans le Front populaire pour une rénovation de l’armée ;fin 1939, il est en désaccord sur les projets de guerre contre l’URSS en Finlande. Autant de sujets de discordes entre les deux hommes.

21, 22 septembre. Visite en Corse du général Giraud durant les combats de la libération. A l’arrière-plan, le préfet Luizet

La confrontation, mal nommée « la querelle des généraux », s’achèvera à l’automne 1943 avec l’insurrection libératrice de la Corse qui signera l’éviction de Giraud. Mais ce sont les Américains qui sortent affaiblis de cet épisode corse. «  N’oubliez pas, avait dit de Gaulle à Catroux, que toute l’affaire se joue non point entre nous et Giraud, qui n’est rien, mais entre nous et le gouvernent américain. »13Paul-Marie de la Gorce. Op.Cit. P. 436. Le duel entre les deux généraux s’est joué d’abord à distance puisque de Gaulle était persona non grata en Algérie, puis en Algérie quand le chef de la France libre est autorisé à s’y rendre. Il arrive le 30 mai à Blida, fort de la légitimation du Conseil National de la Résistance, réuni le 27 mai.  Déjà, le 8 mai, les membres du CNR ont envoyé un courrier en style télégraphique en soulignant qu’ils « renouvellent général de Gaulle et Comité national attachement total aux principes qu’il incarne et dont ne saurait abandonner parcelle sans heurter violemment opinion française » et plus concrètement encore, que « subordination de De Gaulle à Giraud comme chef militaire ne sera jamais admise par peuple de France qui demande installation rapide gouvernement provisoire Alger sous présidence de Gaulle avec Giraud comme chef militaire » et enfin que « quelle que soit l’issue des négociations, de Gaulle demeurera pour tous seul chef de la Résistance française »14Ibid. P. 458. Cette légitimation rend insoutenable l’obstination gaullophobe des Alliés, celle de Roosevelt notamment. Ils persistent quand même.

Depuis la conférence d’ Anfa, au Maroc, en janvier 1943, un pouvoir bicéphale de Gaulle-Giraud est censé représenter la France. Mais de Gaulle étant « retenu » à Londres, c’est Giraud, avec la bénédiction des Américains, qui prend les décisions a Alger. Il poursuit la politique de Vichy. D’ailleurs, Roosevelt, dès le débarquement en AFN, n’a pas manqué de rassurer le maréchal : « Mon cher vieil ami », « A vous héros vénéré de Verdun » « Quand votre gouvernement a conclu, par nécessité, la Convention d’armistice … » et autres amabilités15François Kersaudy. Op.Cit. P. 154. Le général Giraud, quant à lui, s’il n’a jamais accepté l’Occupation avait cependant, dès son évasion de sa prison de Köenisberg, fait acte d’allégeance à Pétain16« Je vous donne ma parole d’officier que je ne ferai rien qui puisse gêner, en quoique ce soit, vos rapports avec le gouvernement allemand ou entraver l’oeuvre que vous avez chargé l’amiral Darlan et le président Pierre Laval d’accomplir sous votre autorité ». Dictionnaire De Gaulle. Collection Bouquins, R. Laffont. P. 554 et ne prendra ses distances qu’au retour de Laval en avril 1942. Il est resté néanmoins un fervent soutien de la Révolution nationale qu’il continue d’appliquer à Alger. Il s’appuie sur les proconsuls et les chefs militaires qui ont accueilli les Alliés à coup de canon. Il laisse en vigueur la législation de Vichy, y compris les discriminations antisémites et l’exclusion scolaire des enfants juifs. Le Service d’Ordre Légionnaire, une milice de Vichy, ne sera dissout que le 4 mars 1943. Les prisonniers politiques, communistes, francs-maçons, républicains espagnols, juifs, gaullistes, y compris ceux qui ont aidés les Alliés à débarquer, devront attendre plusieurs semaines, plusieurs mois pour certains, avant d’être relâchés ; 27 députés communistes seront libérés le 5 février.

« L’affaire corse ». Giraud évincé.

Lettre de De Gaulle à son cousin Maillot

Comment expliquer alors la coopération du général Giraud avec les Résistants corses très majoritairement regroupés dans le Front national d’obédience communiste ? Par sous-marins et par parachutages, avec la logistique des services secrets des Alliés, depuis Alger des dizaines de tonnes d’armes et munitions sont livrées aux Résistants ; au moment de l’insurrection, on estime que 12 000 hommes sont munis d’une arme légère. Le commandant Paul Colonna d’Istria, le chargé de mission de Giraud (Coopté à son arrivée par le Front national), s’en est expliqué : le Front national était la seule structure digne de confiance pour constituer une force d’appoint lors d’un débarquement allié éventuel.17L ‘opportunité de la capitulation italienne a décidé la Résistance à oser une insurrection, sans attendre l’arrivée des troupes alliées. Les dirigeants insulaires du Front national ignore tout de l’imbroglio d’Alger18Interview d’Arthur Giovoni. Documentaire FR3 . Diani diffusé pour 50ème anniversaire de la libération de la Corse. Propos d’Albert Ferracci, résistant, recueillis par l’auteur : « Quand nous débarquions à Alger du bateau qui nous amenait de Corse afin d’être enrôlés dans l’armée, au bas de la passerelle, il y a avait quelques hommes d’un côté et de l’autre qui nous posaient la question : pour de Gaulle ou pour Giraud ? ». Ils ne le découvriront qu’après la libération de la Corse.

Giraud, lui, n’avait en vue que la « chose militaire ». Il ne s’est pas inquiété de l’hégémonie communiste et des conséquences politiques qui suivraient. Pour de Gaulle la faute est impardonnable. Mais est-il sincère quand il dit avoir tout ignoré des livraisons d’armes à la Résistance et de l’opération « Vésuve » ? Pas sûr ! Il s’en offusque et averti Giraud que si ça tourne mal il devra en assumer seul la responsabilité ? ce qui ne l’empêche pas de venir en Corse, aussitôt l’île libérée, du 5 au 8 octobre, tirer les marrons du feu ; lors d’un séjour triomphal, il félicite la Front national19de Gaulle écrit le 1er octobre à son cousin, Henri Maillot, un des cinq dirigeants du Front national en Corse : «Le Front national a bien mérité de la patrie, quelques jours encore et l’île tout entière sera libérées de l’ennemi et des traîtres à son service. […] La France combattante va rassembler les bons Français de Corse. Ceux du Front national demeurent l’exemple de l’union.». (Archives du Musée A Bandera.)  et encense cette insurrection qu’il n’avait pourtant pas voulue (pas plus que Giraud). Faut dire qu’il avait pris la précaution de dépêcher immédiatement sur l’île deux de ses proches, le préfet Luizet et François Coulet, pour rétablir l’ordre républicain et ne pas laisser le champ libre aux communistes. «Cette libération épique se soldait donc par un succès ; elle sonna pourtant le glas du général Giraud »20Olivier Wieviorka.Histoire de la Résistance. Ed. Perrin. 2013. P. 336. De Gaulle récupère la mise. De quoi nourrir le ressentiment de H-C Giraud. D’ailleurs, pour l’historien «l’affaire corse» dépasse le cadre insulaire : le désintérêt de De Gaulle pour le front méditerranéen -donc la Corse et de l’opération Vésuve- au profit d’un débarquement en Manche serait dicté par sa sujétion à Staline qui en a fait sa priorité lui aussi. C’est pourtant aussi le choix de Roosevelt contre celui de Churchill (et du Général Giraud). Churchill avait fini par convaincre Roosevelt de débarquer à Naples une fois la Sicille conquise mais le premier ministre anglais fait remarquer : « Il se produisit donc une divergence d’opinion aigüe [entre Britanniques et Américains]. Les USA ne voulaient  pas aller plus loin que la Sicile et au plus tôt préparer Overlord [le débarquement en Manche] »21 Churchill. Mémoires. T. 9 Ed. Plon. p. 35. Mais pour H-C Giraud rien n’y fait : il n’y voit toujours qu’inféodation de De Gaulle au maître du Kremlin. Une obsession !

«  … la vraie raison de l’hostilité de DG à l’opération Vésuve, écrit H-C Giraud, est tout autre que ce qu’il en dit pour l’histoire : s’il s’y est opposé, c’est que cette opération s’inscrit en droite ligne (c’est le cas de le dire) dans la stratégie danubienne [à partir de la Méditerranée] prônée par Giraud à Anfa dont le Kremlin ne veut à aucun prix. Et donc susceptible de nuire aux bonnes relations gaullo-staliniennes au moment où précisément elles commencent à porter leur fruits22Henri-Christian Giraud. Op.Cit. P.186. »

Épilogue. De Gaulle envers et contre tout

Voyage de De Gaulle en Corse, 5-8 octobre 1943. Discours à Ajaccio

Quels fruits, vraiment ? Si les relations avec Staline avait été aussi bonnes que l’écrit H-C Giraud, De Gaulle aurait pu espérer alors un soutien du maître du Kremlin dans cette partie capitale pour la France libre qui s’est jouée en 1943 en Algérie. Il n’en fut rien. Staline avait approuvé la politique des Anglo-Américains et a fait savoir à de Gaulle que « la diplomatie de guerre doit savoir utiliser non seulement les Darlan mais aussi le diable et sa grand-mère »23François Kersaudy. Op.Cit. P. 186. Par ailleurs, ( Sources Herbert Frei. Churchill, Roosevelt, Stalin. 1957. p. 92) Staline écrit à Roosevelt le 13 décembre: « Etant donné les rumeurs qui circulent au sujet de l’attitude de l’URSS à l’égard de l’utilisation de Darlan et d’autres personnalités de ce genre, il n’est pas inutile de vous faire savoir que pour moi et les miens, la politique suivie par Eisenhower en ce qui concerne Darlan, Boisson, Giraud, etc. est parfaitement correcte. ». Par la suite, on ne peut pas dire que Staline ait fait preuve de solidarité à l’égard de la France. Si la complicité de la France combattante avec Moscou était ce qu’en dit H-C Giraud, Staline se serait-il privé de la présence de De Gaulle à Yalta où les Alliés ont redessiné la carte du monde ? Si les Britanniques étaient prêts à y consentir, Staline et Roosevelt s’y sont opposé fermement24François Kersaudy. op.Cit. P. 352. Selon le compte-rendu américain, à la conférence de Téhéran du 28 novembre 1944, Staline déclare que  » la France devrait être punie pour son attitude au cours de cette guerre et que De Gaulle agit comme s’il était à la tête d’un grand État, alors qu’en réalité, il n’a guerre de pouvoir ». Roosevelt a exprimé son accord et a déclaré qu’ « à l’avenir, aucun Français de plus de  quarante ans, [De Gaulle en a cinquante quatre], ne devrait être admis  à une position dirigeante dans l’avenir » et « Il a ajouté qu’il fallait  avant tout que les Français , non seulement les dirigeants  mais aussi le peuple, deviennent des citoyens honnêtes.. Un exemple parmi d’autres qui ruine la thèse de la complicité De Gaulle-Staline qui court tout au long du livre de H-C Giraud.

Après l’épisode algérien, il faudra encore beaucoup de détermination et de sacrifices de la Résistance pour affirmer la souveraineté française, pour déjouer les plans de Roosevelt qui prévoyait d’appliquer l’AMGOT (L’administration militaire par les Alliés des territoires occupés) à la France. Et quelle France ! Son projet était d’amputer le pays de ses provinces du nord et de l’est qui seraient rattachées à la Belgique et au Luxembourg pour constituer une nouvelle Wallonie25Ibid. Pp 268 et svt. Les plans de Roosevelt pour la France ont échoué, son homme-lige évincé. Faut dire que la tournée promotionnelle de Giraud en Amérique du Nord, en juillet 1942, qui aurait pu être la séquence de rattrapage, tourne au fiasco. Giraud n’est même pas invité pour les cérémonies du 14 juillet à New York. Et le lendemain, à Ottawa, il finit de se déconsidérer. Lors d’une conférence de presse il déclare que : « l’Allemagne, il ne faut pas l’oublier, a produit Luther et Goethe. C’est un grand pays. Et le national-socialisme, eh bien … il y a de bonnes choses »26Ibid. P. 328. Citation du livre de J-L Barré. Devenir De Gaulle . Le lendemain, les journaux américains titrent donc à la une : « Giraud chante les louanges des nazis ». Roosevelt est dépité. Le duel des généraux s’achève donc à l’avantage de De Gaulle. Après l’automne 1943, la Résistance  continuent, non sans mal, leur marche vers le pouvoir. Evincé du Comité Français de Libération Nationale, Giraud prend une retraite anticipée à Mazagran au Maroc où il aura eu le temps de méditer sur ce jugement qu’il avait porté sept ans auparavant, en 1937, sur son subordonné ; recevant une mission parlementaire il avait déclaré avec mépris : « Le colonel De Gaulle est l’officier le plus stupide de l’armée française. »27Paul-Marie de la Gorce. Op.Cit. p. 161 L ‘histoire a tranché.

Antoine Poletti

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