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Pages d'histoire La Corse dans la stratégie des alliés.

20 août 2020
Carte de la Méditerranée
La carte de la Méditerranée

« Il est remarquable, même inconcevable, que personne pendant les premiers mois de 1943 ne semblait penser à la Sardaigne et à la Corse comme tremplin vers l’Italie du Nord. » C’est le constat que l’historien américain M. Blumenson (1) faisait lors d’une conférence donnée à Ajaccio. Il s’étonnait que  l’appui stratégique des îles pour attaquer l’Italie continentale n’ait pas eu la faveur des alliés. Pour comprendre cette mésestimation, il faut se replacer dans le contexte de cette année 1943 où l’on craignait, malgré Stalingrad, et jusqu’à leur victoire à Koursk, que l’URSS, à bout de force, finisse par accepter un accord de paix avec les Allemands. La défaite des Allemands à Koursk, début août, les rassure. Reste qu’après le débarquement réussi en Afrique du Nord, plusieurs options stratégiques s’offrent aux Anglo-Américains sur lesquelles ils sont en désaccord.

M. Blumenson explique : « Anxieux de vaincre aussi vite que possible en Europe, [les Américains] voulaient une concentration des ressources dans le Royaume-Uni, un débarquement hâtif Outre-manche, dès 1943, et une rencontre décisive avec les forces allemandes par le chemin le plus direct vers l’Allemagne. Les Anglais désiraient une opération Outre-manche mais seulement après que l’Allemagne ait été épuisée par l’opposition soviétique, les bombardements alliés, les mouvements de résistance et les raids sur la vaste périphérie de l’Europe y compris la Méditerranée. Ils préférèrent ce que l’on a appelé l’approche indirecte. Comme conséquences de ces différents points de vue, la stratégie alliée qui se déroulait était toujours un compromis, une concession d’un partenaire à l’autre ».

Par l’Outre-manche ou par la Méditerranée ?
Les foces alliées
Les forces alliées

Les soviétiques s’impatientent du retard des Anglo-américains à ouvrir un second front contre les Allemands afin de pour les soulager. La voie la plus directe pour attaquer l’Allemagne c’est, à partir du Royaume-Uni, l’ouverture d’un front en Manche. Churchill, lui, préfère l’ouverture d’un front en Méditerranée fin 1942. Non sans mal, le premier ministre avait fini par convaincre son allié américain que l’ouverture d’un front en méditerranée fin 1942 n’excluait pas pour autant une opération Outre-manche. Il promet que la Méditerranée ne serait qu’un front accessoire, faisant valoir que cette approche indirecte de l’Allemagne par le sud de l’Europe –le ventre mou de l’Europe disait-il- faciliterait, au contraire, l’opération par la Manche.

La première phase de ce projet fut le débarquement au Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942. Par cette opération, baptisée Torch, suivie de la conquête de la Tunisie, c’en était fini de la présence des forces de l’Axe en Afrique. Mais quelle suite donner à Torch ? « De façon générale, observe l’historien M. Blumenson, les Américains voulaient arrêter en Méditerranée et concentrer des forces en prévisions de l’invasion Outre-manche. Les Britanniques, [eux], désiraient poursuivre l’offensive en Méditerranée ». Mais dans le cas où les chefs alliés décideraient de continuer en Méditerranée, quelle pourrait être le prochain objectif ? La Sicile ou les îles de Corse et Sardaigne ?

La Sicile ou les îles Corso-Sarde ?

Là encore, c’est le choix de Churchill –la Sicile- qui prévaut sur celui des USA – Corse et Sardaigne. L’invasion de la Sicile commencée le 10 juillet s’achève début septembre. Et maintenant la Sicile conquise, il faut choisir : soit les îles Corse-Sardaigne, soit le sud de la botte italienne. Et Churchill caresse toujours l’espoir d’une opération à partir des Balkans qui lui permettraient de devancer les Soviétiques en Allemagne mais les Américains rejettent définitivement cette option. Alors, un compromis entre les alliés fixe son choix pour le sud de la botte italienne. Pourtant, fait remarquer M. Blumenson, « les Américains  demeuraient ennuyés d’être entraînés dans une campagne en Italie du sud qui affecterait de façon défavorable un assaut Outre-manche. Ils préféraient encore la Sardaigne et la Corse qui nécessitaient de moindres ressources. » Or, des ressources, Eisenhower n’en a pas de trop, et il sait que, la campagne sicilienne achevée, il va falloir céder sept divisions  qui vont être envoyées vers le Royaume-Uni.

Heureusement, le franchissement par les troupes alliées du détroit de Messine, le 5 septembre, amène la capitulation de l’Italie tant attendue depuis la destitution de Mussolini le 25 juillet. En cette fin d’été avec cette bonne nouvelle, en arrive après une autre qui était venue du front de l’Est. Durant l’été 1943 l’attention des anglo-américains s’était portée aussi sur ce front où les Allemands avaient engagé, début juillet, une offensive à grande échelle, l’opération « Citadelle ». Ils craignaient que la Russie ne dépose les armes. Ils ne seront rassurés qu’à l’annonce du succès de la contre-offensive soviétique à Koursk, début août.

L’insurrection victorieuse de la Résistance corse, une aubaine.

Le 8 septembre au soir, à l’annonce de la capitulation italienne, les dirigeants du Front national en Corse lancent un appel à l’insurrection ; les Italiens sont neutralisés mais il faut maintenant chasser les Allemands. Trop occupés à la réussite du débarquement difficile de leurs troupes à Salerne, à une vingtaine de km au sud de Naples, les alliés ont averti le Général Giraud que les Français ne pourront compter que sur eux-mêmes. Aucune troupe, aucun matériel ou logistique anglo-américaine ne leur seront accordés pour venir en aide aux insurgés.

La suite est connue. L’insurrection de la Résistance corse, avec le concours de l’armée française venue d’Afrique (2), sera victorieuse. Le 4 octobre, il n’y a plus aucun soldat allemand sur l’île (3). Les troupes allemandes, celles déjà présentes en Corse et celles qui ont transité par la plaine orientale de l’île (32 000 hommes), ne pouvaient s’attarder en Corse, encore moins y constituer une base arrière, sous peine d’y subir une guérilla dont la Résistance  corse, durant les combats de la libération, lui avait donné un aperçu.

A.P.

(1) Colloque organisé à Ajaccio, par la Maison de la culture à Ajaccio, les 28 et 29 juin 1976. Conférence de M. Blumenson professeur à l’Ecole Supérieure de Guerre de l’Armée de Terre. Diplômé de Harvard.
(2) Les alliés dépêchèrent une trentaine d’hommes de l’armée américaine et quelques agents du S.O.E., et vers la fin des combats, un appui tardif et parfois hasardeux de l’aviation américaine. Bastia a été bombardé alors que la ville est libéré depuis quelques heures.
(3) Dans « La Seconde Guerre mondiale (Ed. France-Loisirs), Antony Beevor écrit, p. 609, à tort, que « le 21 septembre, les Forces françaises libres débarquèrent en Corse que les Allemands avaient abandonné pour renforcer le continent. »

 

 

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