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DossiersQuelles stratégies pour la Corse ? La position de la Corse dans la stratégie alliée

2 décembre 2019

La Corse a occupé une place curieuse dans la stratégie alliée pendant la Seconde Guerre mondiale. L’Ile attirait considérablement l’attention et l’intérêt en tant qu’objectif virtuel de l’invasion. Elle figure en 1ère place dans les plans militaires dressés pour les débarquements amphibies. Et pour finir, le courant principal du développement de la stratégie Anglo-américaine évita la Corse en faveur de la Sicile et de l’Italie continentale.

M. BLUMENSON, professeur à l’ Ecole Supérieure de Guerre de l’Armée de Terre Américaine. Diplômé de Harvard. Colloque international 28  et 29 juin 1976 à Ajaccio. Maison de la culture  de la Corse.

1942. Par la Manche ou par la Méditerranée  ?

La Corse fut une alternative, mais la poussée majeure de la stratégie anglaise et américaine se porta ailleurs. Pourquoi cela ? La réponse à cette question se trouve dans la divergence de concepts stratégiques généralement soutenus par chacun des partenaires de la coalition. Les Américains étaient pleinement conscients des nécessités de la guerre dans le Pacifique.
Anxieux de vaincre aussi vite que possible en Europe, ils voulaient une concentration des ressources dans le Royaume-Uni, un débarquement hâtif Outre-manche, dès 1943, et une rencontre décisive avec les forces allemandes par le chemin le plus direct vers l’Allemagne.
Les Anglais désiraient une opération Outre-manche mais seulement après que l’Allemagne ait été épuisée par l’opposition soviétique, les bombardements alliés, les mouvements de résistance et les raids sur la vaste périphérie de l’Europe y compris la Méditerranée. Ils préférèrent ce que l’on a appelé l’approche indirecte.

Comme conséquences de ces différents point de vue, la stratégie alliée qui se déroulait était toujours un compromis, une concession d’un partenaire à l’autre. L’invasion de l’Afrique du Nord en Novembre 42, suivit le précepte stratégique des Anglais. Les Américains acceptèrent à contrecœur à cause des désirs du Président Roosevelt d’engager des troupes américaines dans le côté européen du conflit général, cette année-là, et aussi d’aider les Britanniques en Egypte et les Russes sur le front oriental. Les efforts tentés en Afrique du Nord puisaient dans les ressources rassemblées dans le Royaume-Uni pour l’opération Outre-manche.
Tout le monde espérait que l’on viendrait à bout de la campagne d’Afrique du Nord à la fin de 1942. Mais la magistrale retraite de Rommel à travers la Libye vers la Tunisie et l’envoi immédiat de troupes allemandes et italiennes en Tunisie prolongèrent les opérations. Toutefois, dès le début de Décembre 1942, les stratèges militaires américains et britanniques prirent des dispositions sur ce qui était à faire au-delà de l’Afrique du Nord.

Après « Torch » (novembre 1942) , la Sicile ou les îles sarde et corse ?

De façon générale, les Américains voulaient arrêter en Méditerranée et concentrer des forces en prévision de l’invasion Outre-manche. Les Britanniques désiraient poursuivre l’offensive en Méditerranée. Ils démontrèrent que d’éclatantes occasions s’annonçaient. Troupes et matériel de guerre étaient déjà rassemblés en Afrique du Nord et on pouvait facilement les utiliser pour de prochaines opérations dans ce secteur. Vers la fin de l’année, les stratèges de Londres tournaient leurs regards vers la Sardaigne et la Sicile comme position possible après l’Afrique du Nord. Débarquer dans ces îles pouvait, pensaient-ils, abattre l’Italie.
Le Général Eisenhower, Commandant suprême en Afrique du Nord, réfléchissait aussi à ce que l’on pourrait faire après la campagne Nord-Africaine. Ayant formulé la stratégie américaine à Washington, au printemps 42, responsable de l’idée d’un débarquement par la Manche, il n’ignorait pas l’intérêt américain d’arrêter les opérations en Méditerranée en faveur d’une invasion du Nord-Ouest de l’Europe. Mais dans le cas où les chefs alliés décideraient de continuer en Méditerranée, il indiqua sa préférence pour la Sardaigne et la Corse [plutôt que la Sicile].

C’est pour résoudre cette question fondamentale et plusieurs autres que les chefs de la coalition, le Premier Ministre Churchill et le Président Roosevelt, ainsi que leurs adjoints militaires les plus proches, les chefs d’état-major alliés, se rencontrèrent à Casablanca en janvier 43. Les deux parties avaient accepté de remporter la victoire en Europe par une opération Outre-manche, et dans cette même intention, une opération en Méditerranée pouvait-elle être décidée à la fin de la campagne d’Afrique du Nord ? Car les expéditions Méditerranéennes draineraient en hommes et en matériel des moyens en préparation dans le Royaume Uni pour le Nord-Ouest de l’Europe, et de ce fait retarderaient l’action communément regardée comme le coup décisif porté à l’Allemagne D’autre part, l’Allemagne et l’Italie occupaient le Sud de l’Europe, de l’Espagne à la Turquie, et cette ligne de côte. De plus la Sicile, la Sardaigne et la Corse étaient à portée de la main, et un but d’invasion tentant.

C’était l’issue stratégique vitale. Valait-il mieux arrêter les opérations en Méditerranée et conserver l’échafaudage d’une opération sur la Manche pour la poussée dans le Nord-Ouest de l’Europe ? ou bien était-il mieux d’exploiter le succès en Méditerranée et maintenir l’offensive actuelle en frappant le ventre de l’Europe. Le problème était que les ressources alliées étaient insuffisantes pour soutenir des campagnes importantes simultanément dans les deux secteurs. En partant du fait que terminer la campagne d’Afrique du Nord demanderait plusieurs mois et rendrait impossible de lancer cette année, en 1943, l’invasion Outre-manche, les Américains acceptèrent la proposition britannique d’envahir la Sicile. Les raisons immédiates de cette précipitation ? Assurer la protection des voies de communication en Méditerranée, détourner les forces allemandes de l’Union Soviétique cet été là et mettre l’Italie hors de combat.

Passer par la Tyrrhénienne ou par l’Adriatique ?

Mais restait la question de savoir que faire après la Sicile. Si d’autres efforts étaient à déclencher, les Américains qui regardaient encore la stratégie européenne dans le contexte d’une attaque Outre-manche, cherchaient une manœuvre utile pour aider cet important effort. Ils tendaient à favoriser une invasion du midi de la France, avec la conquête de la Sardaigne et de la Corse comme premiers pas.
Les stratèges britanniques penchaient pour l’Adriatique et la Mer Égée. Ils désiraient soutenir la guérilla qui agitait les Balkans, entrainer la Turquie dans la guerre aux côtés des Alliés, et ouvrir une voie plus courte vers l’URSS pour les approvisionnements prêt bail. Ils voyaient des aérodromes et des bases de ravitaillement en Italie du Sud comme premières exigences. Ces marches divergentes depuis la Sicile, l’une vers l’Ouest, l’autre vers l’Est, offraient une faible base de transaction. Chacune présentait de sérieux désavantages. L’invasion de la Sardaigne et la Corse ne poserait aucune menace immédiate pour l’Allemagne. Étant le seul effort majeur après la Sicile en 1943, il ne pourrait pas davantage être suffisamment important pour satisfaire les espérances du public ou fournir l’espoir d’une libération rapide des pays occupés.

Puisque la Sardaigne et la Corse conduisaient au midi de la France, ce qui était lié à une attaque Outre-manche, la limitation des transports maritimes et de l’équipement de débarquement en Méditerranée restreindraient la dimension de débarquement dans le sud de la France et interdiraient un déplacement important immédiat vers les objectifs que les Allemands considéraient comme vitaux. On pouvait seulement s’attendre à un minimum de distraction des forces allemandes du front Oriental.
Une campagne aux Balkans était tout aussi décourageante. Les Alliés devaient s’emparer de la pointe puis du talon de la botte Italienne, ouvrir les aéroports et les ports, accumuler les ressources, puis déclencher une opération amphibie à travers l’Adriatique. La botte Italienne n’était pas en elle-même un objectif stratégique, parce que montagneuse, pauvre en voies de communications et n’ayant que de petits ports, et si elle était défendue elle serait difficile à prendre. Dans les Balkans relativement arides, les forces alliées seraient loin des USA et de la Grande-Bretagne. Elles réclameraient un effort massif logistique pour les alimenter, et devraient faire une marche lente et pénible dans l’Europe Centrale où les objectifs décisifs pour les Alliés occidentaux faisaient défaut. Une campagne dans les Balkans changerait complètement toute la direction de la stratégie européenne, ne contribuerait pas à la tentative Outre-manche, et causerait un changement de la puissance aérienne vers l’est qui démolirait les plans d’intensification de bombardement stratégique sur l’Allemagne depuis le Royaume Uni.

Après la Sicile, faire un choix : les îles, les Balkans ou le sud de la botte italienne.

Cependant, un espoir unissait les Alliés, celui de voir l’Italie forcée d’abandonner la guerre. Si l’Italie capitulait, 29 divisions dans les Balkans et 5 en France ne seraient plus disponibles du côté allemand pour leurs obligations d’occupation et pour la défense de la côte. Avec la perte de l’appui italien, les Allemands devraient décider s’ils pouvaient demeurer en Italie ou devraient se replier par delà les Alpes. Dans l’un ou l’autre cas, ils auraient à transporter des divisions de Russie ou de France pour assurer du moins la défense et la sécurité intérieure des Balkans. S’ils se retiraient d’Italie, ils perdraient leurs bases navales, livreraient le passage vers les Balkans, les aéroports qui étaient à portée de tir des champs de pétrole de Roumanie, le chemin de ravitaillement du Danube et les centres industriels du sud allemand et la Tchécoslovaquie. Comment, alors, si la conquête de la Sicile n’aboutissait pas à cela, les forces alliées pourraient-elles forcer l’Italie à se rendre ? D’une manière générale, les Britanniques voulaient dépenser plus dans ce but que les Américains qui cherchaient un lieu où arrêter les opérations en Méditerranée.

Et quand les Alliés reconsidérèrent leurs visées stratégiques dans les premiers mois de 43, ils retombèrent sur leurs premières positions. Les Américains regardant par delà la Sicile, vers la Sardaigne et la Corse, le chemin possible vers le sud de la France, les Anglais vers le sud de l’Italie, peut-être sur le chemin des Balkans. Il y eut beaucoup à dire en faveur de chaque idée.
La conquête de la Sardaigne et de la Corse représenterait un engagement majeur réalisable en rapport avec les ressources déjà présentes sur le théâtre des opérations. Elle complèterait l’offensive actuelle, protègerait encore plus loin la navigation, procurerait des bases aériennes avancées, créerait une menace pour la France du sud aussi bien que sur la totalité de la côte occidentale de l’Italie continentale, et peut-être obligerait l’Italie à capituler.
Une invasion des Balkans priverait l’Axe du pétrole nécessaire, du chrome, du cuivre et autres nécessités, de guerre, menacerait les voies de communications de l’Axe vers le front oriental, démoraliserait les nations de l’Europe orientale dont la fidélité envers l’Axe était hésitante, et peut-être accélèrerait l’action de guérilla en Grèce et Yougoslavie.
L’invasion de l’Italie méridionale était une 3e possibilité. Mais le terrain était difficile s’il était défendu, et une remontée de la botte italienne nécessitait des forces supplémentaires. Si les Alliés réduisaient leurs visées à la capacité des forces disponibles sur le théâtre des opérations, ils auraient à limiter leurs efforts à la seule partie du sud de la péninsule. Ils gagneraient les bases aériennes et les ports, mais la conquête ne conduirait à aucun objectif décisif pouvant, peut-être, produire la reddition de l’Italie.

Un choix difficile. Mai 1943, rien n’ est encore décidé.

Pour résoudre leurs problèmes stratégiques et formuler la future stratégie les chefs Alliés se rencontrèrent de nouveau en mai 43, cette fois à Washington, tandis que la lutte en Afrique du Nord touchait à une fin victorieuse. Ils acceptèrent de lancer un projet sérieux d’invasion à travers la Manche. Ils confirmèrent leurs projets d’invasion de la Sicile et retinrent juillet comme date de l’opération. Afin de mettre en œuvre les plans d’un débarquement Outre-manche, ils réclamaient sept divisions à déplacer depuis la Méditerranée jusqu’au Royaume Uni, quand la campagne de Sicile prendrait fin. Et finalement, à notre intention, ils décidèrent de ce que seraient leurs buts en Méditerranée. Ils essaieraient d’abattre l’Italie et de neutraliser au maximum les forces allemandes. Mais comment accomplir exactement ces actions, et spécialement où porter le prochain coup après la Sicile, étaient des sujets sur lesquels on ne pouvait arriver à un accord. Pour clarifier les litiges, Churchill accompagné des généraux Marshall et Brook, les chefs d’état-major Américain et Britannique, se rendit à Alger à la fin Mai pour délibérer avec Eisenhower. Eisenhower et ses stratèges avaient continué à approfondir la question sur les opérations après la Sicile. Pour eux, il était clair que le cours des événements dépendrait de la façon dont l’ennemi réagirait en Sicile. Les Allemands offriraient-ils spécifiquement une forte résistance en Sicile ? Et que feraient les Allemands si la démoralisation italienne continuait ? Si la Sicile tombait rapidement aux mains des Alliés, ceux-ci pourraient porter le combat en Italie continentale. Si les Alliés avaient des difficultés à prendre la Sicile, ils se déplaceraient probablement en Sardaigne et en Corse.

Dans l’un ou l’autre cas, Eisenhower approuvait l’action après la Sicile qui n’engagerait pas les forces alliées sur une seule ligne d’avance immuable, et la Sardaigne et la Corse satisfaisaient au mieux à ces conditions. Si les événements sur le front Oriental modifiaient l’importance de l’aide allemande à l’Italie, ou si les chefs alliés décidaient de concentrer les ressources en Méditerranée ailleurs dans le Monde, c’est-à-dire, si la guerre en contexte global exigeait un remaniement soudain et décisif de la stratégie, les forces alliées en Méditerranée ne seraient pas irrémédiablement retenues aussi longtemps qu’elles seraient engagées à la prise des îles de Sardaigne et de Corse. En outre, des opérations mineures en Sardaigne et Corse ne détourneraient pas les ressources s’accumulant dans le Royaume Uni.

Le principal désavantage était que si la conquête de la Sicile, et celle de la Sardaigne et de la Corse ne réussissaient pas à amener une reddition italienne, un assaut de l’Italie continentale serait alors nécessaire. Dans ce cas, il faudrait probablement attendre le printemps 44, car la température hivernale en 1943 rendrait un débarquement amphibie impos­si6le. Eisenhower, Churchill, Marshall et Brook discutèrent de ces problèmes à Alger fin mai. Le point central était la meilleure façon de forcer l’Italie à sortir de la guerre, et tous admettaient que la pression croissante pendant les quelques mois suivants, y compris la campagne de Sicile et les bombardements intensifiés pouvaient bien amener les Italiens dont le moral baissait sérieusement depuis la défaite de l’Axe en Tunisie, à se rendre. Dans le cas contraire, la meilleure façon d’obtenir la capitulation était d’envahir l’Italie continentale. Mais le Général Marshall s’inquiétait de ce qu’une campagne en Italie nécessitant de plus grandes ressources qu’en Sardaigne et en Corse, pouvait absorber une partie du matériel nécessaire à une attaque Outre-manche. Il proposa et les autres l’admirent, qu’Eisenhower établisse deux quartiers généraux, pour préparer chacun une opération séparée, l’une contre la Sardaigne et la Corse, l’autre contre l’Italie méridionale. Alors que l’expérience en Sicile indiquait la force de l’opposition ennemie, Eisenhower aurait une meilleure base pour recommander le mode d’action le plus approprié.

L’appui stratégique des îles pour attaquer l’Italie continentale mésestimé

Le 3 juin, Eisenhower commença à préparer deux assauts amphibies après la Sicile : ou bien un débarquement à la pointe du pied de l’Italie, ou un autre en Sardaigne. Quant à la Corse, Eisenhower décida qu’il pouvait agir séparément ; le Général Henri Giraud, Commandant en Chef des forces françaises en Afrique du Nord, avait demandé en août l’autorisation de prendre la Corse entièrement au moyen d’un effort français. Et ceci Eisenhower était prêt à l’accorder. Le 15 juin, il demanda à Giraud de prendre des dispositions pour s’emparer de la Corse avec seulement les troupes françaises. A ce moment une nouvelle idée se fit jour. Au lieu d’envahir la pointe dans le but d’avancer ensuite vers le talon de l’Italie et peut-être se déplacer pour occuper le port de Naples autour de Foggia avec même la possibilité de prendre Rome, les stratèges à Londres commençaient à penser à aller directement depuis la pointe jusqu’à Rome en passant par Naples. Les Britanniques admettaient une campagne dans le sud de l’Italie comme une fin en elle-même, disant que la descente alliée sur le continent Italien ébranlerait le moral italien plus profondément et enserrerait davantage les forces allemandes qu’Une invasion de la Sardaigne.

Par contraste, les américains demeuraient ennuyés d’être entrainés dans une campagne en Italie du sud qui affecterait de façon défavorable un assaut Outre-manche. Ils préféraient encore la Sardaigne et la Corse qui nécessitaient de moindres ressources. Il est remarquable, même inconcevable, que personne pendant les premiers mois de 1943 ne semblait penser à la Sardaigne et à la Corse comme tremplin vers l’Italie du Nord. La prise des îles déborderait la plus grande partie de la côte ouest de la péninsule, et, en plus, procurerait des terrains transitoires pour les opérations amphibies, aussi bien que les aéroports pour des tirs courts de bombardement et pour couvrir les débarquements. Je n’ai pas trouvé un seul document dans les archives officielles du théâtre d’opération en Méditerranée qui puisse suggérer ce mode d’action.

Le dernier jour de juin, dix jours avant l’invasion de la Sicile, Eisenhower résumait ses pensées sur les opérations possibles après la Sicile. Suivant les instructions de ses supérieurs, les chefs d’état-major Alliés, il devait éliminer l’Italie de la guerre et engager le nombre maximum de forces germaniques. Mais parce qu’il perdait 7 divisions qui allaient être envoyées de la Méditerranée vers le Royaume-Uni en conclusion de la campagne Sicilienne, il notait que si la conquête de la Sicile ne réussissait pas à faire capituler l’Italie, il avait deux alternatives : si la résistance ennemie en Sicile était légère, il pourrait envahir l’Italie continentale par la pointe. Si l’ennemi offrait une forte opposition il pouvait envahir la Sardaigne et la Corse.

Naples après la Sicile

Après l’invasion de la Sicile le 10 juillet, il était clair que la puissance militaire italienne s’était sérieusement détériorée. Le 15 juillet quelques stratèges américains décidèrent que les forces alliées étaient disponibles en nombre suffisant en Méditerranée pour frapper un bon coup près de Naples, lequel serait certainement un rude choc pour les Italiens. En plus de cela, les Allemands avaient engagé une offensive à grande échelle en Union Soviétique 10 jours auparavant, le 5 juillet, et les alliés craignaient que la Russie ne fût amenée à déposer les armes. Les opérations alliées en Italie continentale assujettiraient les forces allemandes beaucoup plus qu’une invasion de la Sardaigne et de la Corse. D’autres stratèges américains hésitaient à souscrire à l’idée. Une défaillance pour prendre Rome ou précipiter l’effondrement de l’Italie signifierait sans doute une campagne italienne longue et indécise qui retirerait des ressources supplémentaires du projet de débarquement sur la Manche. En outre, une déconvenue à Naples mettrait sérieusement en péril la stratégie effective autre part dans le monde, par exemple, dans le Pacifique et en Birmanie. Les stratéges anglais à Londres étaient séduits par le concept de Naples, ils l’approuvèrent et lui donnèrent le nom-code « Avalanche ». Eisenhower et ses officiers admettaient maintenant que l’Italie continentale, quelque part entre Naples et la pointe de la botte, était la meilleure place à atteindre après la Sicile. Le 18 juillet, il réclama donc aux chefs de l’état-major allié, un préaccord pour porter la guerre en Italie continentale immédiatement après la fin des combats en Sicile. Deux jours plus tard, les chefs d’état-major alliés approuvaient la requête d’Eisenhower.

Cette décision mit fin aux plans Anglo-américains d’opérations en Sardaigne. Comme la Corse, la Sardaigne tomba sous la responsabilité française, et ces îles perdirent leur importance stratégique dans la stratégie alliée de 1943. En conséquence, le combat en Sicile précipita la capitulation de l’Italie, avec le bombardement allié de Rome, le premier durant la guerre. Mussolini fut contraint à l’impuissance le 25 juillet. Bien que son successeur, le maréchal Badoglio eût annoncé que l’Italie continuerait la guerre aux côtés de l’Allemagne, il se mit à prendre secrètement contact avec les alliés en vue de préparer un armistice. La campagne sicilienne se termina le 18 août et déjà les émissaires italiens négociaient avec les alliés les termes de la capitulation.

Alors pourquoi était-il nécessaire aux alliés d’envahir l’Italie continentale ? Pour permettre à l’Italie de capituler ; car pendant ce temps l’Italie ressemblait à un pays occupé. Les troupes allemandes étaient apparemment en Italie pour les aider à se protéger d’une invasion alliée, et en réalité, il y étaient pour empêcher la capitulation. A moins d’être envahis par les Alliés, les Italiens ne pouvaient capituler. Ce qui poussa plus fortement les alliés à accepter cette invasion de l’Italie, ce furent les renseignements fournis par les services appelés «ultra» qui viennent de nous être révélés. Cette information indiquait aux Alliés qu’Hitler croyait ne pas pouvoir tenir l’Italie sans l’aide italienne. Si l’Italie se rendait, Hitler projetait de replier ses forces vers le Nord des Apennins et protéger seulement la riche et précieuse vallée du Pô. Ainsi, si l’Italie capitulait et qu’Hitler se retirait, les Alliés pourraient entrer dans le pays et remonter rapidement la péninsule sans combattre durant une longue campagne en terrain favorable à la défense. Naples et Rome tomberaient facilement aux mains des alliés, en même temps que les aérodromes d’où l’on pourrait efficacement bombarder l’Allemagne.

L’Italie capitule enfin

Résultat, le matin du 3 septembre, des éléments de la 8e Armée Britannique commencèrent à traverser le détroit de Messine et à envahir la pointe de l’Italie. A la fin de cette après-midi un délégué du gouvernement italien signait en Sicile le document de capitulation. 3 jours plus tard, Eisenhower envoyait à Tarente un cuirassé britannique chargé de troupes. Dans l’après-midi du 8 septembre, Badoglio à Rome et Eisenhower à Alger, annonçaient l’armistice. Le matin suivant, le 9 septembre les troupes anglo-américaines débarquaient à Salerne. Deux jours plus tard, les Allemands commencèrent à retirer de Sardaigne la 90e Panzer Division.

Les troupes allèrent en Corse le matin du 18 septembre1les premières troupes françaises arrivèrent le 13 septembre. Les troupes Italiennes de Sardaigne firent peu de choses pour entraver les forces allemandes, mais les patriotes corses les harcelèrent. Cette histoire là, vous la connaissez mieux que moi. Eisenhower plaça la Corse sous le contrôle des autorités militaires françaises et plus tard envoya un petit état-major pour le représenter au bureau du Gouverneur Militaire désigné par le Général Giraud.

Pour les Anglo-américains, la Corse et la Sardaigne représentaient de par leur position stratégique, une prise de haute valeur gagnée à peu de frais. La possession de ces îles par les Alliés rendait la Méditerranée encore plus sûre à la navigation. Plus important, les aéroports, particulièrement ceux de Corse, plaçaient les avions de bombardement alliés plus près des cibles ennemies de l’Italie du Nord et du Midi de la France. L’année suivante, en août 44, au moment du débarquement allié dans le Midi de la France, la Corse joua encore un rôle important. Elle servit de champ d’action aux forces amphibies, et depuis ses aéroports, les avions couvraient les opérations de débarquement. Si les alliés avaient quitté la Sicile pour la Sardaigne et la Corse en 1943, ils auraient pu éviter le pénible et long combat du sud de l’Italie. Mais cela aurait changé la réalité, et s’attarder sur cette perspective nous écarterait simplement de l’histoire.

LIENS :
La Corse dans la stratégie britannique
La Corse dans la stratégie allemande
La Corse dans la stratégie italienne

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