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Archives : éditoriaux La Résistance, ni légende dorée ni roman noir

22 octobre 2015
Le numéro 842 du supplément hebdomadaire de Corse-Matin, Settimana, du 2 octobre dernier, titrait: « Mythes et réalités de la libération de la Corse. Plusieurs articles étaient donc consacrés à « ces aspects de la libération encore recouverts d’un épais voile de silence. » Il s’agit est-il écrit dans la présentation du dossier de « s’attaquer à la légende dorée enfantée par une histoire devenue officielle », de déconstruire un mythe. Le résultat est contestable. Les ANACR de Corse réagissent.

 

Pour cette déconstruction du mythe, le journal a fait appel à « des historiens reconnus » dont il nous est dit que  « leur impartialité et la qualité de leurs travaux les désignent comme les spécialistes les plus qualifiés pour traiter un tel sujet ». Il aurait mieux valu écrire « parmi les plus qualifiés » mais on ne saurait cependant contester la compétence des auteurs de ces articles et leur contribution à la connaissance de l’histoire de cette période. Toutefois, comme l’écrit Pierre Laborie :

" L'écriture de l'histoire est confrontée en permanence aux problèmes d'interprétation, aux présupposés, et parfois aux a priori qui les conditionnent. [...] Les historiens appartiennent à leur temps et parlent aussi d'eux-mêmes.(1)[...] Chaque historien construit sa propre idée de l'histoire, cette pluralité est aussi vieille que Thucydide, et il n'y a rien à redire si l'exigence de rigueur reste partout la règle". (2)

En l’occurrence, la règle ne nous semble pas avoir été respectée. Il nous est permis de décrypter à notre tour ce qui nous est présenté comme un « décryptage » salutaire.

À propos de l’article signé par Jean Marie Guillon, « Résistance en Corse et légendaire »

On ne peut que souscrire à ce qu’écrit Jean-Marie Guillon quand il traite du récit de la Résistance qu’en ont fait les communistes après guerre, notamment « Tous bandits d’honneur » de Maurice Choury et la BD « Vendetta » du même Choury avec Arthur Giovoni et Eugène Gyre pour les dessins. : « Ce légendaire n’est pas une falsification, écrit Jean-marie Guillon,  , il est une transfiguration à des fins politiques et mémorielles d’une réalité ».

Mais la réédition bilingue (français-corse) de la BD suscite un commentaire surprenant de l’historien : ce bilinguisme n’est pas illégitime selon lui puisque « le corse était la langue de la connivence entre combattants. Mais ça l’est davantage lorsque le caractère patriotique français (dans une tradition, non nationaliste, qui lie indissolublement défense du territoire et principe républicain) est mésestimé. »

Mésestimée ? Alors que la publication bilingue est la reproduction intégrale (textes et dessins) de l’édition de 1947 et que sur la dernière page figure une carte de la Corse, un char arborant un drapeau français et sur fond bleu-blanc-rouge, il est écrit en langue corse : « Evviva a Corsica libera è francesa. Evviva a Francia dimucratica è independenti ». Affirmer en langue corse ces principes républicains n’est pas moins illégitime aujourd’hui qu’après-guerre. Hélène Chaubin dans la préface de la dernière édition n’avait pas manqué de prévenir le lecteur :

"Ces œuvres datent des années de l'après-guerre, riches en publications marquées par le militantisme des auteurs. Plus épiques que scientifiques...[...] Si la simplification voire le parti pris historique est manifeste, la ferveur patriotique ne l'est pas moins [....]". (3) Tout est dit !
À propos de l’article signé Jean-Pierre Girolami : « Les occupants italiens se battent aux côtés des libérateurs ».

On regrettera le titre qui, sans nuance et contrairement à l’article, laisse entendre que l’armée italienne se serait toute engagée au côté des libérateurs, alors que « En fait, écrit l’historien Jean-Louis Panicacci, l’implication des troupes du VIIème CA dans les combats n’excéda pas 20 % de son effectifs, soit de 16.000 à 18.000 hommes appartenant pour l’essentiel à la Friuli et à la 225ème DC, la plupart des autres militaires transalpins demeurant passifs ou favorisant la logistique des troupes françaises débarquées. » (4) Et il y eut même des Chemises noires pour combattre avec les Allemands dans l’Alta Rocca, allant jusqu’à affronter leurs compatriotes militaires luttant avec la Résistance.
Ceci étant, voilà bien un sujet qu’aborde Jean Pierre Girolami sur lequel il faut lever le voile de l’oubli. 245 tués, 557 blessés soldats italiens sont morts (Évaluation par le Général Gambiez, mais il y en eut plus encore) pour la libération de la Corse. Seraient-ils entrés à reculons dans la lutte contre les Allemands, ils eurent néanmoins plus de pertes que les Français – résistants et militaires réunis. Question épineuse donc : comment rendre hommage à ces soldats qui ont contribué à la libération de la Corse alors qu’ils appartenaient jusqu’au 8 septembre au soir à une armée d’occupation ?

À propos de l’article signé par Sylvain Gregori. »La libération oubliée : les Corses tondues ».

Oui, il a fallu longtemps pour que soit traité avec l’intérêt qu’il mérite ce sujet des « femmes tondues »; une pratique peu glorieuse de l’époque (5) dont on ne peut pas dire qu’elle n’a rien à voir la Résistance. « Il n’y a pas eu unanimité chez les Résistants » fait observer Hélène Chaubin,(6) mais il n’empêche que Le Patriote en mars 1944 (Le journal du Front National) ironise sur les femmes qui sont emprisonnées à Saint-Paul à Ajaccio : « un petit coup de tondeuse n’est pas un châtiment bien sévère ». Il ne faudrait pas cependant qu’en focalisant sur cette parcelle de vérité on en fasse la totalité ; que l’arbre des femmes tondues nous cache la forêt de la Résistance.

"Même si les images de lynchage et de femmes tondues, systématiquement reprises, réduisent à des schématisations spectaculaires les différentes phases de l'épuration ; même si les excès d'une justice trop souvent expéditive ont servi d'argument aux vichystes pour faire le procès de la Résistance ; et même si la sensibilité collective d'après-guerre est très éloignée des indignations actuelles, les rapprochements effectués entre libération et climat de guerre civile ont terni la représentation de la Résistance comme fait moral" fait observer Pierre Laborie. (7)
À propos de l’article de Sylvain Gregori. « Colonna d’Istria, l’homme qui unifia la Résistance malgré lui. »

Après guerre le reproche avait été adressé à Paul Colonna d’Istria de s’être prêté au jeu des communistes. Sylvain Gregori ne porte pas accusation contre P. Colonna d’Istria, mais le présente comme une victime des communistes -eux accusés- qui phagocytent, noyautent, instrumentalisent, manipulent, mettent sous pression (dans le texte, conjugués autrement). À tel point qu’on finit même par éprouver quelque compassion pour ce valeureux militaire qui aurait été jeté dans l’arène politique face à des bolcheviques aguerris. Aussitôt après la guerre, en pleine guerre froide, P. Colonna d’Istria dut répondre à ses détracteurs. Plus tard encore, en 1974(8), lors d’un colloque, il s’était longuement expliqué sur ses relations avec les communistes et le Front national. Premier constat : Le réseau R2 de Scamaroni décimé, il ne reste plus que le Front National d’obédience communiste.

"Désormais, le FN, seul debout, a le champ libre. Sans rival à sa taille, il voit disparaître les obstacles nés d'une concurrence malsaine. À vrai dire, il œuvre patiemment, utilement. Au début, ses effectifs sont faibles (300 aux dires des communistes eux-mêmes), ses moyens des plus réduits, ses actions limitées à la propagande et à la subversion, autant dire nulles. Mais il a pour lui une longue expérience de la vie clandestine, de l'illégalité, du secret. Il se tient sur ses gardes, prompt à réagir et apte à déjouer les surveillances ou les recherches dont il est l'objet. C'est plus qu'il n'en faut pour que les voies de la réussite lui soient ouvertes. Son efficacité se fait évidente au fur et à mesure que se fortifient ses structures et qu'augmentent ses effectifs et ses moyens. Se affrontements occasionnels avec l'ennemi et la façon dont il se comporte en ces occasions en témoignent. Rien de plus naturel. Dès lors, que ceux qui brûlent du désir de se battre pour la libération de île, soient tentés de le rejoindre et de s'y intégrer. C'est l'honneur des patriotes qui, n'étant pas communistes, se rallient à lui, surmontant sans reniement, leurs arrière-pensées respectives et leur défiance réciproque. Aussi, quand sonne enfin l'heure du soulèvement, le FN présente-t-il un tout autre visage qu'à sa création. Il rassemble en son sein toutes les tendances. Il compte surtout de nombreux cadres de l'Armée en congé d'armistice. On ne tarde pas à s'en rendre compte dès les premiers affrontements avec l'ennemi, avant même l'arrivée de tout renfort extérieur, dans la vallée du Golo par exemple (colonel Valentini) ou encore sur la dorsale montagneuse, aux environs de Levie et de l'Ospedale (lieutenant Peretti, adjudant-chef Nicolai, commandant Pietri, etc.)."
À ceux qui lui reprochait sa pusillanimité face aux visées communistes, il oppose que :
" L'insurrection prouve, au contraire, que la Résistance, si teintée d'activisme qu'elle soit, ainsi qu'on se plait à le clamer, accepte sans discussion l'autorité du CFLN, auquel son premier acte est d'ailleurs de se rallier (cf. Proclamation du 9 septembre). Colonna d'Istria alias "Ce sari" [il parle de lui à la 3ème persone] en porte témoignage qui fut maintenu en Corse jusqu'à la fin décembre 1943, à la demande même de Luizet, le préfet de la Libération, pour contribuer à aplanir les difficultés majeures annoncées et qui ne se sont jamais produites d'ailleurs. Il est établi maintenant tout au contraire, que la libération de la Corse s'est effectuée de façon exemplaire et que ce département est de ceux où se dénombrent le moins d'exactions de toutes sortes commises sous le couvert de la libération et que, appelés à se battre sous l'uniforme, les patriotes corses ont été plus facilement que tous autres amalgamés à notre armée. Enfin, une fois passée l'heure des périls, chacun reprend tout naturellement sa liberté d'action. Le jeu des partis politiques et des clans retrouve la faveur des populations et le "Front National" , création de circonstances, bien qu'il ait servi de creuset à la Résistance, ne tarde pas à éclater et à disparaître. Du même coup, le parti communiste qui lui avait donné le jour (non sans mérite, mais non sans arrière-pensée) est ramené, sans équivoque, en Corse, à sa véritable et modeste dimension."
Eclairer sans mettre le feu.

Cette analyse des évènements de la libération de la Corse faite trois décennies après la guerre atteste d’un regard lucide et inchangé depuis la Libération: celui d’un politique averti et d’un homme loyal. Une loyauté payée en retour de celle des dirigeants de la Résistance insulaire. Ainsi se fit l’amalgame des hommes venus d’Alger et ceux de la Résistance corse qui ont tout subordonné à l’objectif premier et majeur : en finir avec l’Occupation de l’étranger.
L’histoire de la Résistance : ni légende dorée ni roman noir. En Corse comme ailleurs, pour chasser l’occupant, se sont rassemblés des hommes et des femmes appartenant à des courants de pensée très divers, voire antagoniques ; comme le disait Chaban-Delmas : « Tout nous divisait, sauf l’essentiel ». Alors, comment éclairer ces antagonismes sans mettre le feu à ce précieux héritage de la Résistance ? Le danger a été perçu par Antoine Albertini dans sa présentation qui se conclut par « …un hommage aux femmes et aux hommes -aux enfants parfois !- qui ont su braver l’adversité, se dresser dans la nuit complice pour saboter, harceler, combattre l’occupant et conquérir de haute lutte la liberté qu’ils nous ont laissée en héritage. » Eh oui, ce sont un peu les oubliés dans cette histoire de la Libération de Settimanale. Pour le prochain anniversaire, peut-être seront -ils plus présents ?

ANACR 2A et ANACR 2B

(1) Pierre Laborie. « Le chagrin et le venin » Ed. Bayard 2011. P. 250
(2) Ibid. P 303
(3) Préface de la BD « Tous bandits d’honneur », réédition Alain Piazzola.2013
(4) Jean-Louis Panicacci. »L’occupation italienne en Corse » Ed. Presses universitaires de Rennes. P.319
(5) Une punition sexuée dont hélas on trouve la trace partout dans le monde et qui remonte hélas à la nuit des temps.
(6) Hélène Chaubin. »La Corse à l’épreuve de la guerre 1939-1945. Ed. Vendémiaire. août 2012. P. 182
(7) Pierre Laborie. Op. citée. Pp. 175 et 176
(8) Colloque international. Paris 28-31 octobre 1974

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