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Archives : éditoriaux A la une de Corse-Matin : Ponte Novu plutôt que Berlin

18 mai 2019
Pour Corse-Matin le plus important à retenir dans l’actualité du 8 mai ce sont « Les patronymes corses… » – c’est son titre de la « Une ». Corse-Matin a choisi aussi pour son édition du 9 mai de porter à la une, en tribune, photo légendée à l’appui, l’anniversaire de la défaite des troupes de Pascal Paoli face aux troupes du roi de France Louis XV.

 

Dans son édition du 9 mai, Corse-Matin a choisi de porter à la une, en tribune, photo légendée à l’appui, l’anniversaire de la défaite des troupes de Pascal Paoli face aux troupes du roi de France Louis XV. La cérémonie pour l’anniversaire de la signature, à Berlin, de la capitulation de l’Allemagne nazie, ce même 8 mai, y figure dans la sous-tribune de gauche avec un renvoi à un article en page intérieure où elle occupe un 1/4 de page ; mais pour la défaite de Ponte-Novu le journal y consacre une pleine page.

Dit trivialement : « Il n’y pas photo » entre les deux évènements. Mais tout dépend de l’objectif dont est muni votre appareil photo. Pour le souvenir de l’issue heureuse (et douloureuse) de la fin d’un conflit mondial qui a embrasé le monde entier (60 millions de morts) et où se jouait le sort de l’humanité, c’est un objectif grand angle qui convient pour prendre de la hauteur afin de d’avoir une vue d’ensemble, panoramique de ce conflit planétaire. Mais au lieu de çà, Corse-Matin, fait de la macro-photo pour nous faire « voir du pays natal jusqu’à loucher » comme chantait Georges Brassens dans La ballade des gens qui sont nés quelque part. Et suivent, en page intérieure, de surprenantes critiques de la cérémonie organisée à Ajaccio pour l’anniversaire de la Victoire des Alliés. « Une cérémonie ritualisée à l’extrême » juge le journal. On aurait aimé savoir en quoi ? Peut-être un rite trop républicain au goût du journal ? En revanche, la cérémonie de Ponte Novu lui agrée ; en dépit de la mise en scène avec costumes d’époque, procession et bénédiction rituelle de l’ Église. Si une cérémonie est la forme solennelle accordée à un acte important de la vie sociale, l’appréciation peut varier selon l’importance qu’on accorde à tel ou tel acte. Corse-Matin a fait son choix : c’est Ponte-Novu avant Berlin1Ce fut le choix aussi de FR3 Via Stella. Mais Corse-Matin ne se contente pas de minimiser la commémoration du 8 mai. Il adresse de sévères critiques à la secrétaire message de la secrétaire d’ État auprès du ministre des Armées, Mme Darrieusecq.

Selon Corse-Matin, ce que la ministre aurait dû dire …

1/ Le message n’aurait pas fait mention de la bataille du Monte Cassino. Voire !
Seuls ont été évoqués les débarquements de Normandie et de Provence. Le message aurait pu citer bien sûr Cassino, mais aussi alors Le Belvedere, Le Garigliano, le débarquement à Naples, Bir Hakeim, les aviateurs de l’escadrille Normandie-Niemen … et tant d’autres théâtres d’opérations. Elle n’a pas cité Stalingrad (pertes militaires évaluées à près d’un million + 300.000 civils tués), Iwo Jima, Koursk, Guadalcanal, la prise de l’ile d’Elbe, et tant d’autres batailles. Mais rappelons que la lecture du message ne dure que dix minutes2La définition d’un message (source CNTRL) : « Communication d’une autorité, visant à l’essentiel tout en pouvant revêtir un caractère officiel ou une certaine solennité, destinée à une collectivité, à un public ». Citons-en quand même un extrait : « A tel endroit, la liberté portait l’uniforme français. A tel autre, celui des armées alliées. Ici, l’action des maquis était décisive. Là, l’action commune des soldats et des résistants emportait la décision. »

2/ Le message aurait oublié les torturés, les fusillés et les déportés. Voire !
Que dit le message de la secrétaire d’ État ?  » La France se souvient des déportés qui ont souffert de la barbarie et des victimes des camps de la mort. La Nation n’oublie pas tous ceux qui ont subi les conséquences du conflit : les prisonniers, les victimes civiles, les veuves et les orphelins. »

3/ Le message n’aurait pas fait mention des maquis de l’Alta Rocca et des combats de la Résistance. Voire
Mais comment prétendre que dans un message à la nation française, lu en moins de dix minutes, soient cités la Résistance et les combats de l’Alta Rocca (et aussi ceux de Barchetta, Teghjme, Pourquoi pas ?) Et pourquoi ne pas citer alors le plateau des Glières, le Vercors, le Mont Mouchet et tant d’autres hauts lieux de la Résistance où les morts se sont comptés par centaines ? Les cérémonies ne manquent pas en Corse pour célébrer la Résistance insulaire et ses figures emblématiques : Scamaroni, Nicoli, Bozzi, Griffi, Vincetti, Giusti et Mondoloni, D. Casanova.  Et pourtant combien de cérémonies du 9 septembre à Ajaccio, jour anniversaire de l’insurrection, combien d’hommages aux Résistants se déroulent sans la présence d’un journaliste de Corse-Matin ? sans qu’il en soit toujours fait état dans le journal ? … Quand ce n’est pas la confusion instillée par le journal entre le doute méthodique, nécessaire à l’élucidation des faits historiques, et la suspicion généralisée sur les faits de résistance ou les motivations des dirigeants de la Résistance en Corse. On se rappelle ce supplément Settimana de l’hebdomadaire, intitulé « Mythes et réalités de la libération de la Corse » ; comme si cette histoire n’était qu’un sac à vider de forfanteries, de gloires usurpées, de lâchetés à vider. La Résistance n’est pas la légende dorée d’une France et d’une Corse héroïque, – vision idéalisée de l’après-guerre -, mais pas non plus un livre noir qui en prend le contre-pied symétriquement (3). Pour qui cherche à comprendre ce que furent les années noire, les outrances d’aujourd’hui ne valent pas mieux que celle d’hier. Et quoiqu’il en soit, ramener la portée d’un message national pour saluer un évènement mondial à ces visions étriquées du journal, c’est – qu’on nous pardonne cet anachronisme déplacé à la veille des élections européennes – faire une querelle d’Allemand.

 Antoine Poletti

(2) Voir l’éditorial de l’ ANACR 2A « La Résistance, ni légende dorée ni roman noir » en réponse au dossier du supplément hebdomadaire Settimana du 2 octobre 2015 :  « Mythes et réalités de la Libération de la Corse ».

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