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Archives : éditoriaux La libération de la Corse. N’oublier personne.

10 octobre 2018
Avant de se rendre à Bastia le 4 octobre pour commémorer la libération de la ville et partant, celle de la Corse entière, c’est à Ajaccio, la veille, que Mme Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d’Etat auprès de Florence Parly, ministre des Armées, a commencé sa visite dans l’île.

 

D’abord par une cérémonie à la citadelle, près de la sinistre cellule dans laquelle Fred Scamaroni s’est suicidé. Puis, par un dépôt de gerbe au pied de la stèle qui est dédiée au général De Gaulle (1) sur la place où il prononça son fameux discours, le 8 octobre 1943. Dommage qu’elle n’ait pas saisi l’occasion de rendre un hommage spécifique à la Résistance en se rendant au monument de la Résistance à Ciniccia comme l’avait fait François Hollande en 2013.

Dans son discours à Ajaccio,elle a rendu hommage aux troupes françaises venues d’Alger : Bataillon de choc, Goumiers marocains ; à l’équipage du sous-marin Casabianca qui amena en Corse la mission Pearl Harbor et 70 tonnes d’armes et munitions. Elle a rendu hommage aussi aux martyrs de la mission Frederick emprisonnés dans cette même cellule que F. Scamaroni : Guy Verstraete et Charles Andrei. Rien, en revanche, sur la contribution -tardive et mesurée, c’est vrai- de l’armée italienne, armée d’occupation -c’est vrai aussi- jusqu’à la veille de l’insurrection ; il n’empêche qu’on ne pas taire qu’à elle seule elle a payé le plus lourd tribut de notre libération : au moins autant de soldats italiens morts que de Résistants et soldats de l’armée française ensemble (2). Elle aurait pu mentionner aussi ce commando américain d’une trentaine d’hommes dirigé par le capitaine Pitteri (3) et au S.O.E. , les services secrets anglais qui avec son responsable pour la Corse, Jacques de Guélis, avaient tant fait pour assurer la logistique des missions.

Mme Darrieussecq n’a pas manqué de rendre hommage à quelques martyrs parmi les plus connus, sans oublier les obscurs et les sans grades. Même « la militante communiste clandestine »  Danièle Casanova fut associée à cet hommage. Bien ! Elle rendit hommage à « ceux qui dans l’ombre ont préparé la victoire », ceux qui ont adressé à la France toute entière un message d’espoir ». Bien ! Mais pourquoi ne pas en attribuer le mérite au Front national (de lutte pour la libération et l’indépendance de la France) qui en Corse fut l’organisation de la Résistance qui rassembla la quasi-totalité des Résistants insulaires et fut l’artisan de l’insurrection victorieuse, en étroite collaboration avec le réseau Pearl Harbor du Général Giraud, jamais nommé lui aussi. Le témoignage de Paul Colonna d’Istria deux ans après les faits et celui du général de Gaulle dans une lettre à son cousin Henri Maillot ne laissent aucun doute sur le rôle majeur du Front national.

Lettre du Gl De Gaulle à Henri Maillot.
1er octobre 1943.
Le Front National a bien mérité de la patrie. quelques jours encore et l'Ile tout entière sera libérée de l'ennemi et de traîtres à son service. Ensuite, il faudra poursuivre dans la guerre, d'abord, dans la paix ultérieurement. C'est pour cet effort immense et fraternel que tous les patriotes doivent s'unir effectivement. La "France combattante" va rassembler les bons Français de Corse. Ceux du Front national demeurent l'exemple de l'union.

C. de Gaulle

 

Les preuves abondent du rôle majeur du Front national. Au lieu de ça, Mme Darrieussecq, fait de Fred Scamaroni celui qui a « féd[éré] les Résistances et rassembl[é] les volontés dans la perspective du combat commun. » Pourquoi attribuer à Scamaroni ces mérites qui reviennent au Front National et non au Réseau R2 hélas vite réprimé ? Il y a suffisamment de bonnes raisons pour honorer en Fred Scamaroni une grande figure de la Résistance insulaire, de dire son martyre et saluer son courage sans qu’il soit besoin d’en rajouter. Selon le compte-rendu qu’en fait le journal Corse-Matin (4), à Bastia, le Front national a été mentionné dans le discours de la secrétaire d’État. Peut-être un « rattrapage » après les critiques exprimées par des descendants de Résistants ?

Arthur Giovoni, un des responsables du Front national, dans une interview à FR3 Corse tirait cinquante après, en 1993, les leçons de cette victorieuse insurrection libératrice :  » La Résistance corse n’appartient ni à un homme ni à un parti, elle appartient à toute la Corse. […] Lorsqu’on aura débarrassé [l’histoire de] la Résistance en Corse d’un certain nombre de mythes et de légendes, et de distorsions, volontaires ou involontaires, lorsqu’on aura fait ça, il restera j’espère, pour l’histoire, que c’est une population qui s’est dressée contre l’ennemi. »

Vingt-cinq ans après, le propos sonne juste. Un rappel nécessaire parce que les distorsions de l’histoire ne sont pas près de cesser, tant la Résistance reste un vivier de symboles où les hommes et femmes politiques viennent puiser -c’est de bonne guerre- pour servir leurs desseins. Si son histoire est toujours aussi sensible, si sa mémoire reste un enjeu encore aujourd’hui, c’est dire – et c’est rassurant – que sa flamme n’est pas éteinte.

A nous de l’entretenir à l’heure où partout dans le monde, à nos portes, chez nous-mêmes, des discours et des pratiques ne sont pas sans résonance avec ceux de l’entre-deux-guerres.  Un air de déjà vu. L’universalisme est à nouveau en crise  et « la recherche stérile de valeurs propres, la peur de l’Autre et le repli sur soi » (5) s’exprime partout bruyamment. A défaut de réhabiliter les valeurs universalistes qui furent celles de la Résistance en France et ailleurs,  ces mêmes valeurs qui ont inspiré la déclaration des Droits de l’homme de 1948 adoptée par les Nations Unies, … à défaut, nous pourrions assister à une désespérante répétition du passé. Vigilance donc !

             ANACR 2A

(1) Cette stèle a été érigée à l’initiative de l’ANACR 2A
(2) 245 morts selon le Gl Gambiez « La libération de la Corse » p.299. 647 morts selon le Gl Magli commandant la VIIème armée italienne en Corse.
(3) « Le 19 [septembre], le major général Peake qui représente l’état-major allié auprès du général Henry Martin arrive à Ajaccio. Le même jour deux torpilleurs italiens débarquent un petit commando américain dirigé par la capitaine Pitteri. Il est dirigé vers la région de Cervione avec mission d’appuyer les patriotes qui font un travail de harcèlement sur les convois allemands entre Aléria et Bastia ». Source « Corse des années de guerre. 1939-1945″ Hélène Chaubin. Ed. Tirésias.2005.
Selon Corse-Matin du 13.octobre qui y consacre un dossier, des hommes du commando auraient été parachutés à Sagone et trois d’entre eux auraient été tués dans les combats de Barchetta.
(4) Corse Matin du 5.10.2018. Il ne nous a pas été possible de connaître le discours de Bastia.
(5) Appel d’écrivains européens contre la xénophobie et le nationalisme (8 novembre 1993)

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