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Archives : Ă©ditoriaux CommĂ©moration de l’anniversaire de l’insurrection

10 octobre 2016
Depuis la LibĂ©ration, la Corse commĂ©more l’anniversaire du 9 septembre, date de l’insurrection victorieuse de 1943. A Ajaccio, das les locaux de l’assemblĂ©e de Corse, c’est autour de l’exposition d’Isaline Choury qu’a Ă©tĂ© commĂ©morĂ© l’anniversaire. A 19 heures c’est au monument d la RĂ©sistance qu’a eu lieu la traditionnelle cĂ©rĂ©monie, en prĂ©sence des autoritĂ©s civiles et militaires.

 

Avant le traditionnel dĂ©pĂ´t de gerbes et les hymnes, CĂ©cile Priot a lu un poème (voir ci-dessous) et Antoine POLETTI de l’ ANACR 2A un discours.

Allocution d'Antoine POLETTI.

Sur la place De Gaulle, noire de monde, il y a 73 ans, le 8 octobre 1943, le gĂ©nĂ©ral Ă©tait venu d’Alger cĂ©lĂ©brer la victoire de l’insurrection dont nous commĂ©morons ce soir l’anniversaire de son commencement. Le gĂ©nĂ©ral avait fait le dĂ©placement pour saluer « … la Corse, premier morceau de France libĂ©ré », et pour rendre hommage Ă  tous les artisans de cette victoire, au premier rang desquels les patriotes corses Ă  qui revenait l’audacieuse initiative de l’insurrection.
Ce 9 septembre 1943, juchĂ© sur le toit d’une ambulance stationnĂ©e sur le cours NapolĂ©on, avec quelques-uns de ses compagnons d’armes, Maurice Choury, un des dirigeants de la RĂ©sistance, proclamait le ralliement de la Corse Ă  la France Libre. Au nom du ComitĂ© dĂ©partemental de LibĂ©ration, il engageait les Corses Ă  chasser l’ennemi du sol national, Ă  Ă©liminer le rĂ©gime de Vichy afin de rendre la parole au peuple, et restaurer ainsi la lĂ©galitĂ© rĂ©publicaine.

Les effets militaires de cette insurrection rĂ©ussie n’ont pas Ă©tĂ© nĂ©gligeables. Pour en apprĂ©cier la portĂ©e, qu’on songe aux pertes humaines, celles des troupes alliĂ©es et des population civiles, lĂ  oĂą la libĂ©ration des territoires a Ă©tĂ© consĂ©cutive Ă  un dĂ©barquement de vive force, sans l’aide de la RĂ©sistance, comme ce fut le cas par exemple en Sicile ou Ă  l’Ă®le d’Elbe. Et n’Ă©taient-ce les tortueuses manĹ“uvres des chefs d’Ă©tat-major italiens, en Corse et en Sardaigne, les troupes du Reich auraient subi des pertes encore plus lourdes ; ce qui d’ailleurs ne rend que plus mĂ©ritoire l’aide des militaires italiens – minoritaires hĂ©las- …l’aide qu’ils ont apportĂ©e aux insurgĂ©s et Ă  l’armĂ©e française durant les combats libĂ©rateurs, payant le plus lourd tribu du sang durant ces combats : Ă  eux seuls beaucoup plus que l’armĂ©e française et les patriotes rĂ©unis.
Autres effets militaires de la libĂ©ration prĂ©coce de l’Ă®le :
* La Corse offerte aux Anglo-AmĂ©ricains comme un porte-avion insubmersible -« Uss Corsica » comme ils l’avaient nommĂ©e – qui mettait l’Italie Ă  portĂ©e d’aile de leur aviation.
* Autre effet non nĂ©gligeable : l’engagement des jeunes Corses qui ont pu s’enrĂ´ler dans l’armĂ©e française pour poursuivre le combat hors de l’Ă®le : l’Ă©quivalent d’une division.

Mais ce serait minorer l’Ă©vènement que de s’en tenir aux seuls effets militaires de cette insurrection victorieuse. L’histoire des rĂ©sistances locales en France atteste de l’impact de la victoire corse sur le moral des maquis du continent.
Le ComitĂ© français de libĂ©ration national, le gouvernement provisoire qui siège Ă  Alger, s’en fait l’Ă©cho dans un communiquĂ© : « La France en a tressailli  »
Mendès-France se rappellera plus tard que « L’idĂ©e qu’un petit morceau de France Ă©tait libĂ©rĂ©, [lui]  causa une Ă©motion religieuse ».
Le général de Gaulle, écrira dans ses mémoires que « …la libération de la Corse […] [ a eu] parmi les Français et parmi les Alliés un profond retentissement. » [i]

La liesse qui s’est emparĂ©e des Corses en cet automne 1943 atteint son paroxysme le 30 novembre, jour anniversaire de la proclamation, en 1789 par l’AssemblĂ©e constituante, du rattachement volontaire de l’Ă®le Ă  la France. A Ajaccio, une salve de 21 coups de canon ouvre cette journĂ©e de fĂŞte  ponctuĂ©e par un Te Deum à la cathĂ©drale, un dĂ©filĂ© militaire et un grand rassemblement qui s’achève au monument aux morts par le traditionnel dĂ©pĂ´t de gerbes. Le jour a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© fĂ©riĂ© pour les insulaires. Partout, dans la ville pavoisĂ©e, les Ajacciens ont envahit la rue. Et ce mĂŞme jour un dĂ©tachement du 1er rĂ©giment des tirailleurs marocains a gravi les pentes du Monte Cintu pour y planter le pavillon tricolore. Tout un symbole !

On peu s’Ă©tonner aujourd’hui de tant de ferveur patriotique si on ne prend pas la mesure de ce qui Ă©tait en jeu pour les Corses durant la Seconde Guerre mondiale, à savoir : l’annexion de l’Ă®le par l’Italie fasciste, donc la perte de la nationalitĂ© française ; pas celle imposĂ©e par le despotisme en 1769 après la dĂ©faite des troupes de Pascal Paoli Ă  Ponte Novu, mais bien celle conquise en 1789 par notre participation Ă  la RĂ©volution dont nous fĂ»mes les co-auteurs ; Français, non pas en qualitĂ© de sujets de sa majestĂ© le Roi de France mais Français citoyens de la RĂ©publique. Ca change tout. Et « Quelles qu’aient pu ĂŞtre presque aussitĂ´t les dĂ©rives que l’on sait, la RĂ©volution fut une grande lumière jetĂ©e sur l’histoire universelle »[ii] écrit notre compatriote, Jacques Muglioni. [… ] La nation, Ă©crit Muglioni c’est « …le choix volontaire -ce fut celui de la Corse en 1789 -d’hommes par lequel l’individu relativise sa particularitĂ© pour se hisser Ă  un premier degrĂ© d’universalitĂ©. [iii] Ce qui fut alors proclamĂ© par la RĂ©volution, est devenu INOUBLIABLE, en ce sens que ce qui advient après est jugĂ© par avance Ă  l’aune des principes scellĂ©s par la DĂ©claration des « Droits de l’homme et du citoyen »; faudrait-il condamner la France quand elle-mĂŞme a bafouĂ© ces principes solennellement proclamĂ©s. Et c’est arrivĂ© maintes fois hĂ©las.
Mais Pascal Paoli ne s’y est pas trompĂ©, lui qui pourtant avait pâti des errements de la Convention. Depuis l’Angleterre il Ă©crivait Ă  Ferrandi, en 1802 : « Mon amour pour la libertĂ© a Ă©tĂ© constant : je l’ai fait connaĂ®tre exempt de tout intĂ©rĂŞt personnel. La patrie est dĂ©sormais libre, comme le reste de la France ; pourquoi n’en serais-je pas ravi ? De quelque main qu’elle nous soit donnĂ©e que celle-ci soit bĂ©nie ! Les Corses sont libres. « . [iv] … Et il Ă©crit Ă  l’abbĂ© Giovanetti, cette mĂŞme annĂ©e 1802 : « …dans le système de l’actuelle politique europĂ©enne nous n’aurions jamais pu jouir de ce bien ( libertĂ© et bonnes lois) en formant un Ă©tat indĂ©pendant. » [v]

CommĂ©morer en 1943, avec Ă©clat, le 30 novembre 1789, c’Ă©tait comme un pied de nez
* Ă  Goebbels qui vocifĂ©rait que « la RĂ©volution française [serait] rayĂ©e de l’histoire », [vi]
* Ă  Mussolini qui pĂ©rorait que « le national-socialisme en [Ă©tait] l’antithèse »,
* Ă  PĂ©tain qui se lamentait en 1939 que depuis 1789 la France avait « vĂ©cu 150 annĂ©es d’erreurs »
* Ă  Rosenberg, l’idĂ©ologue nazi qui en ce triste automne 1940 avait choisi le Palais Bourbon pour nous infliger une confĂ©rence intitulĂ©e « Règlement de comptes avec les idĂ©es de 1789 », et avec la RĂ©volution qu’il accusait – je cite : « d’avoir accumulĂ© dĂ©sastre sur dĂ©sastre »,[vii]
* Un pied de nez aussi aux irrĂ©dentistes corses qui Ă©crivaient dans leur journal, « A Muvra », « …les Corses sont les plus grandes victimes de l’esprit de 89 ! » parce que « L’assimilation et l’Ă©galitarisme rĂ©volutionnaire nous ont valu des maisons en ruine, des villages dĂ©serts, la malaria et les nombreuses guerres que l’Ĺ“il sanglant du jacobinisme a dĂ©chaĂ®nĂ© sur le monde. »[viii]

Pourquoi ce rappel historique ? Parce qu’on doit s’inquiĂ©ter de la rĂ©surgence de cette idĂ©ologie des anti-Lumières qui inspire Ă  nouveau des politiques aujourd’hui partout dans le monde, en Europe et en France. En Corse, cette idĂ©ologie s’affiche ouvertement dans de savants travaux universitaires – je cite : « La Corse doit sortir de l’universalisme jacobin. […]. En vertu de quoi il faudrait « …procĂ©der Ă  de nĂ©cessaires rĂ©ajustements en terme de citoyennetĂ©. Car toute affirmation identitaire consacre l’Ă©clatement de la citoyennetĂ© universaliste (française donc) -prĂ©sentĂ©e au mieux comme un vĹ“u pieux, au pire comme un mensonge […]. La citoyennetĂ© française, nous disent ces dĂ©tracteurs de la RĂ©volution, devrait s’effacer « au profit des liens primordiaux intensĂ©ment vĂ©cus et ressentis, nouĂ©s Ă  l’Ă©chelle du particulier : le sentiment religieux, l’appartenance ethnique, l’usage commun d’une langue ».[ix]  Le peuple corse est « une communautĂ© charnelle ayant une terre, une langue, une culture, son atavisme propre…[…] [x]

Propos inquiĂ©tants quand la recherche d’une saine identitĂ© forgĂ©e et renouvelĂ©e dans le dĂ©passement vers l’autre, dĂ©rive vers une quĂŞte irrĂ©elle et dangereuse dès lors qu’elle tourne Ă  l’obsession en invoquant Ă  tout propos et hors de propos sa culture, religion incluse. Si souvent invoquĂ©e cette culture qu’elle en devient suspecte.  » Les lubies de la supĂ©rioritĂ© raciale, Ă©crit l’essayiste tunisienne HĂ©lĂ© BĂ©ji, ont Ă©tĂ© dĂ©logĂ©es de leurs prĂ©tentions, mais toutes les cultures se revendiquent Ă  leur tour comme des entitĂ©s supĂ©rieures, et agitent le glaive de leur diffĂ©rence. »[xi] On sait oĂą a menĂ© cette doctrine qui accorde la primautĂ© Ă  l’inconscient et Ă  l’atavisme sur la raison, le culte des forces profondes et mystĂ©rieuses qui nous font goĂ»ter  » …le plaisir instinctif d’ĂŞtre dans le troupeau » comme disait Barrès, le chantre du nationalisme français. Cet instinct d’attroupement, l’actualitĂ© corse rĂ©cente nous a montrĂ© combien il Ă©tait lourd de dangers.

A l’enseigne du camp de Dachau, crĂ©Ă© dès 1933 pour y enfermer leurs opposants, les nazis avaient Ă©crit : « Tu n’es rien, le peuple est tout ». C’est cette mĂŞme subordination de l’individu  à sa communautĂ©, celle de son Dieu en l’occurrence, dont DAECH a fait doctrine pour enrĂ©gimenter ses tueurs.
« La notion d’identitĂ©, poursuit HĂ©lĂ© BEJI, peut ĂŞtre irrĂ©elle et dangereuse quand elle croit se rapprocher d’un idĂ©al originel qui serait son propre noyau de vĂ©ritĂ© […] [xii] : pour Hitler, une aryanitĂ© prĂ©-chrĂ©tienne rĂ©surgie des obscures forĂŞts germaniques ; pour Mussolini l’Imperium romain nĂ© dans les collines de Rome ; Dans notre pays, pour les ligues factieuses de l’entre-deux guerres, la France de Jeanne d’Arc, de Clovis, voire de VercingĂ©torix ; pour Daech, un Califat fantasmĂ© qui aurait rĂ©pandu les bienfaits de l’Islam depuis les rives de la MĂ©diterranĂ©e Ă  celles de l’Inde, et qui aurait vocation Ă  s’imposer au monde. Par le crime.

A ce culte des origines, HĂ©lĂ© BĂ©ji oppose qu’ « Aucune identitĂ© culturelle ne parviendra Ă  rĂ©cupĂ©rer la vĂ©ritable patrie de l’homme qui est politique, seul lien authentique qui m’unit Ă  mes semblables » [xiii] ; autrement dit les hommes sans distinction d’origine ou de prĂ©fĂ©rence spirituelle, unis par ce ciment politique que sont les Droits de l’homme et du citoyen, qui fit la nation française Ă  partir de ce qui n’Ă©tait jusque lĂ  qu’ « un agrĂ©gat in-constituĂ© de peuples dĂ©sunis. » comme disait Mirabeau.

Cette idĂ©ologie des Anti-Lumières a Ă©tĂ© vaincue en 1945 ; vaincue militairement mais il fallait ĂŞtre naĂŻf pour penser qu’on en avait fini avec elle. Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle avait prĂ©venu : notre civilisation « qui tend essentiellement Ă  la libertĂ© et au dĂ©veloppement de l’individu, est aux prises avec un mouvement qui ne reconnaĂ®t de droits qu’à sa collectivitĂ© raciale ou nationale [et j’ajoute religieuse, pour faire Ă©cho Ă  l’actualitĂ©]. […] Si complète que puisse ĂŞtre un jour la victoire des armĂ©es, poursuit le gĂ©nĂ©ral de Gaulle,[…] rien n’empĂŞchera la menace de renaĂ®tre plus redoutable que jamais, si le parti de la libĂ©ration […] ne parvient pas Ă  construire un ordre tel que la libertĂ©, la sĂ©curitĂ© et la dignitĂ© de chacun y soit exaltĂ©es et garanties, au point de paraĂ®tre [Ă  l’individu] plus dĂ©sirables que les avantages offerts par son effacement.  » [xiv]

Ces paroles ont Ă©tĂ© prononcĂ©es le 25 novembre 1941, il y a 75 ans, par le gĂ©nĂ©ral De Gaulle au Collège d’Oxford. Elles restent pour nous, aujourd’hui encore, un avertissement.

Vive la Corse ! Vive la république ! Vive la France !



[i]Charles De Gaulle « Mémoires » Ed .La Pléiade. Gallimard. PP 406, 407
[ii] Jacques Muglioni. « L’Ă©cole ou le loisir de penser ». Ed CNRD p. 186
[iii] Jacques Muglioni. ibid. p.45
[iv] Ange Rovere. « Mathieu Buttafoco ». Ed Alain Piazzola. p. 203
[v] Ibid. P 203
[vi] Georges Politzer. « Ecrits politiques » T. 1 « La Philosophie et les mythes » p. 353
[vii] Ibid . P. 352
[viii] Francis Arzalier. « Les perdants ». Ed. La découverte. 1990. P. 67
[ix] Dominique Verdoni. « La Corse au carrefour d’une mĂ©diterranĂ©itĂ© euro-arabe » Dans Histoire de l’Ă©cole en Corse » Ed Albiana. oct. 2003. Ouvrage collectif . page 548 , 549
[x] Denis Luciani. « La Corse votre hebdo du 31.01.2014 au 06.02.2014
[xi] HĂ©lĂ© Beji. « L’imosture culturelle ». P. 49
[xii] Ibid. P. 57
[xiii] Ibid. P. 154
[xiv]Paul-Marie de la Gorce. « De Gaulle ». Ed. Perrin. P. 673

Lecture d’un poème de Jean-Pierre ROSNAY, Alias BĂ©bĂ©,
par CĂ©cile PRIOT

FRANCE
Ils disaient tous ma France ou la France Ă©ternelle
Et chacun te prenait un peu de plume Ă  l'aile
Mais quand l'ennemi arriva
Les guérites étaient là
Mais plus les sentinelles

Ils disaient tous ma France ou la France Ă©ternelle
Moi je t'aimais et je ne disais rien
Je n'avais pas seize ans, France tu t'en souviens

Ils disaient tous ma France ou la France éternelle 
Je n'ai rien dit moi, j'étais trop enfant 
J'ai pris le fusil de la sentinelle 
Et puis c'est fini maintenant

France pardonne moi si je te le rappelle 
Je me sens si seul par moment


Jean Pierre Rosnay, alias Bébé

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