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Archives : éditoriaux De glissement en glissement

18 octobre 2016
« Le nombre sans cesse croissant d’étrangers résidant en France impose au Gouvernement… d’édicter certaines mesures que commande impétueusement le souci de la sécurité nationale, de l’économie générale du pays et de la protection de l’ordre public. Il convient d’indiquer, dès l’abord… que le présent décret… ne porte aucune atteinte aux règles traditionnelles de l’hospitalité française, à l’esprit de libéralisme et d’humanité qui est l’un des plus nobles aspects de notre génie national».

 

Ce texte, signé par le chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur, est adressé au Président de la République. Et date, non pas comme une lecture rapide pourrait le faire croire, de septembre 2016, mais du 2 mai… 1938 ; le chef du Gouvernement étant alors Edouard Daladier, le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut et le Président de la République Albert Lebrun. Il accompagne la présentation à la signature du Président d’un «Décret-loi», premier d’une série portant non seulement, à l’encontre de ce qui est affirmé, «atteinte aux règles traditionnelles de l’hospitalité française» mais qui aussi, durant les deux années qui vont suivre, vont profondément altérer la vie démocratique de notre pays, anticipant, facilitant sa destruction à l’été 1940 par l’Etat français pétainiste ; dont plusieurs des mesures liberticides et xénophobes – telle la loi du 22 juillet 1940 remettant en cause les naturalisations depuis 1927 – sont en directe filiation du décret de 1938, censé respecter «l’esprit de libéralisme et d’humanité de notre génie national».

Ainsi, en matière de libéralisme et d’humanité, ce décret-loi du 2 mai 1938 «Sur la police des étrangers», que précise un second du 4 mai, prévoit – dans son article 4 – que

«tout individu qui, par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger sera puni...»et,
dans son article 8, que
«le ministre de l'Intérieur pourra par mesure de police, en prenant un arrêté d'expulsion, enjoindre à tout étranger domicilié en France ou y voyageant de sortir immédiatement du territoire français et le faire reconduire à la frontière».

Six mois après la publication des décrets de mai précédent, un nouveau texte est soumis le 12 novembre 1938 à la signature du Président de la République :

«Les décrets des 2 et mai dernier... ont clairement marqué la discrimination que le gouvernement entend faire entre les individus moralement douteux, indignes de notre hospitalité, et la partie saine et laborieuse de la population étrangère. Ces textes... ont déjà eu les effets les plus utiles. Nous estimons qu'il serait opportun d'en faciliter encore l'application... Tout en précisant les droits dont jouissent les étrangers naturalisés, nous avons déterminé les modalités suivant lesquelles certains étrangers pourraient accéder de plein droit à la nationalité française, en raison soit de leur naissance en France, soit par le mariage avec un de nos nationaux. Il importe... d'enlever à cette accession son caractère trop «automatique »... Cette préoccupation nous a également amené à simplifier la procédure de déchéance de la nationalité... S'il fallait strictement réglementer les conditions d'acquisition de la nationalité française, il n'était pas moins indispensable d'assurer l'élimination rigoureuse des indésirables... il est de ces étrangers qui, en raison de leurs antécédents judiciaires ou de leur activité dangereuse pour la sécurité nationale, ne peuvent, sans péril pour l'ordre public, jouir de cette liberté encore trop grande que leur conserve l'assignation à résidence. Aussi est-il apparu indispensable de diriger cette catégorie d'étrangers vers des centres spéciaux où elle fera l'objet d'une surveillance permanente...».

En 1939 encore, le 18 novembre, la France étant en guerre depuis septembre, un nouveau décret précise dans son article 1er que

«lorsque l'état de siège a été proclamé, les individus dangereux pourra défense nationale ou pour la sécurité publique peuvent, sur décision du préfet, être éloignés par l'autorité militaire des lieux où ils rési­dent, et, en cas de nécessité, être astreints à résider dans un centre désigné par décision du ministre de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l'Intérieur».

A qui ces textes vont-ils s’appliquer ? Dans un premier temps la «cible» affichée sont les immigrés illégaux, clandestins ou sans papiers dirait-on aujourd’hui, nombreux en cette fin des années trente à avoir fui la misère, l’antisémitisme, les dictatures fascistes d’Europe centrale et orientale (auxquels viendront se joindre début 1939 plusieurs centaines de milliers d’Espagnols fuyant le franquisme). Mais, la notion d’«individus dan­gereux pour la sécurité et la Défense nationale» va être extensive, et s’appliquer succes­sivement aux mineurs polonais – légaux – du Nord ayant fait grève en octobre 1938, aux réfugiés espagnols, aux antifascistes allemands en 1939, puis aux communistes français au printemps 1940… Tous iront peupler des Centres d’internement administratif, dont le premier ouvert en février 1939 fut celui de Rieucros en Lozère. A l’été 1940, ces centres passeront sous le contrôle des Allemands et du régime pétainiste, dont la politique à l’égard des étrangers et des opposants accentue dramatiquement la législation répressive… déjà en place ; de glissements en glissements… L’Histoire impose la vigilance pour le présent ; le futur étant de plus toujours… incertain !

Louis CORTOT
Président de  l’ANACR
Compagnon de la Libération

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