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Archives : éditoriaux Art et vertu

7 mars 2016
La Résistance autant que l’occupant et ses collaborateurs firent de l’art et la littérature des armes de combat. Et il en fut ainsi, plus largement, de la culture et de la pensée. La ‘pensée nazie’, dont l’art et la littérature sont des expressions, « paraît à première vue s’apparenter à un oxymore, fait remarquer Johann Chapoutot *

 

« Pourtant, par-delà la barbarie et l’anti-intellectualisme, le nazisme s’est évertué à introduire une idéologie alternative en posant, sur les soubassement théoriques de la contre-révolution du XIXème siècle, les fondements d’une culture nouvelle. Et particulière, racialiste, sans visée universelle ni interrogation sur les fins. »
Non, ni la culture, ni « la création artistiques sont, par essence, émancipatrices et toujours du bon côté de la barricade ». ET ça vaut pour aujourd’hui encore. C’est cette mise en garde qu’adresse Jean-Marc Rouveyre, secrétaire de l’ANACR de Lozère aux candidats du Concours National de la Résistance et de la Déportation dont nous publions l’éditorial paru dans le bulletin n° 18 de l’association.

«Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes» écrivait Heinrich Heine. Sinistre et clairvoyante prédiction. 77 ans après sa mort, les nazis organisent l’autodafé du 10 mai 1933 à Berlin. Ce ne fut ni le premier ni le dernier.
Plus près de nous, les néo-archaïques fous de Dieu, de Kaboul à Mossoul en passant par Tombouctou et Palmyre, détruisent méthodiquement des trésors de la culture pré-islamique.

«Résister par l’art et la littérature». Tel est le sujet du CNRD 2016. Intéressant mais plus complexe qu’il n’y paraît. S’il est relativement facile de faire comprendre à des jeunes, par des exemples concrets, que l’art sous toutes ses formes a pu constituer une arme efficace contre l’idéologie nazie, on se mettrait presque hors-sujet en poussant plus loin et en suggérant qu’il n’est pas l’antidote radical au poison idéologique mortifère. Chez beaucoup d’intellectuels, traîne encore l’idée que la sensibilité et la création artistiques sont, par essence, émancipatrices et toujours du bon côté de la barricade. Gare aux à priori ; Dieudonné n’a pas moins d’humour que Charb, il en use différemment, et c’est le Droit français, règle commune forgée par notre histoire, qui arbitre en justice.

Hitler, dans une première vie un peu bohème, était un bon dessinateur et un aquarelliste non dépourvu de sens esthétique. Si l’on en croit les spécialistes, c’est un manque de travail plus que de talent qui lui a fermé par deux fois les portes de l’Académie des beaux-arts de Vienne. Goebbels était docteur en littérature et Mengele en anthropologie. On pourrait multiplier les exemples d’officiers SS, pétris de culture classique, esthètes la veille au soir et dirigeant une «sélection» le lendemain. Gardons-nous du stéréotype de la brute inculte au front bas, cou de taureau et profil néandertalien. Les rapports de la culture et de la barbarie sont plus subtils et pervers qu’on ne pourrait le croire. Autre exemple hexagonal : Céline et Brasillach sont parmi les plus brillantes plumes de notre littérature et n’en constituent pas moins une jolie paire de monstres. On pourra toujours objecter que les plus belles pages de ces deux auteurs élèvent tout de même notre esprit et que, comme l’argent, le beau n’a pas d’odeur. Mais l’artiste est aussi un homme et ce sont les hommes qui font société.

Dans ses «Mémoires de guerre», de Gaulle écrivait : «Les écrivains, en particulier, du fait de leur vocation de connaître et d’exprimer l’homme, s’étaient trouvés au premier chef sollicités par cette guerre où se heurtaient doctrines et passions (…) Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité.» Le Général refusa la grâce au rédacteur en chef de «Je suis partout» car il l’accusait, entre autre, de «trahison contre l’esprit». Il signifiait ainsi que la culture et le talent sont des conditions nécessaires mais non suffisantes pour transformer le primate pensant en humaniste. Qu’est-ce qui fait que dans une période particulière, face à l’épreuve qui nous révèle, on puisse être Moulin ou Bousquet, De Gaulle ou Pétain, Eluard ou Céline..? Question complexe que peinent à trancher les  sondeurs patentés de nos psychés.

L’humanisme est une longue patience, un travail assidu sur soi-même qui ne garantit pas le succès. Gardons à l’esprit, comme nous le conseille Régis Debray, «…qu’une civilisation est une reconquête de chaque jour sur le barbare, le barbare qui en chaque civilisé, ou qui se croit tel, ne dort que d’un oeil.»

Jean-Marc Rouveyre
Secrétaire ANACR Lozère  

* Philosophie magazine. Hors-série, « Les philosophes face au Nazisme ». P. 25

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