La Corse est libĂ©rĂ©e depuis le 4 octobre 1943. Le Parti communiste sort renforcĂ© de l’Ă©preuve de la guerre. Son influence s’est considĂ©rablement Ă©largie. Ca inquiète De Gaulle qui veut « reprendre la main ». Pour ce faire, il charge le nouveau prĂ©fet Luizet de modifier le rapport de forces en faveur des gaullistes de l’Ă®le. L’unitĂ© des divers courants de pensĂ©e de la RĂ©sistance rĂ©alisĂ©e au sein du Front National va se dĂ©sagrĂ©ger. DĂ©but 1944, Arthur Giovoni, un des responsables communistes du Front national en Corse, analyse de la situation devant l’AssemblĂ©e consultative provisoire d’Alger
Cette brochure se décompose en trois parties :
- LA LIBÉRATION DE LA CORSE ET SES PREMIERS ENSEIGNEMENTS. A. Giovoni y fait l’historique de la rĂ©sistance en Corse dont le parti communiste, avec le Front national, a Ă©tĂ© le principal artisan. Rappel opportun pour les communistes au moment oĂą se dessine l’avenir politique de la Corse. Voire celui de la France : la Corse, premier morceau de France libĂ©rĂ© a valeur de test national, un laboratoire. Lire : « Enjeux politiques Ă la libĂ©ration de la Corse » (Dominique Lanzalavi)
- LE CASABIANCA [et la mission Pearl Harbour ] A L’HONNEUR. A. Giovoni rend hommage Ă l’Ă©quipage du sous-marin mais il se livre aussi Ă un plaidoyer pour la non-restitution des armes qui ont Ă©tĂ© livrĂ©es aux RĂ©sistants durant l’occupation. Il la juge trop prĂ©coce.
- LE PROGRAMME DU FRONT NATIONAL EN CORSE : lutte contre l’envahisseur, liquidation du rĂ©gime de Vichy, Ă©puration, mobilisation des Corses pour libĂ©rer le pays, programme Ă©conomique et social et en urgence rĂ©gler le problème de l’approvisionnement en denrĂ©es de l’Ă®le.
LA LIBÉRATION DE LA CORSE ET SES PREMIERS ENSEIGNEMENTS
I/ Le Front National et la lutte contre l’occupation allemande
Au seuil du quatrième hiver qui pourrait exterminer une gĂ©nĂ©ration entière, une question — et une seule — doit prĂ©occuper chaque Français, chaque Française ; hâter la libĂ©ration de la France par l’insurrection nationale suivant le mot d’ordre du GĂ©nĂ©ral de GAULLE. Or, la Corse vient de donner un grand exemple et pour la lutte libĂ©ratrice et pour la pĂ©riode de rĂ©tablissement qui suivra. Le but de cet article est de poser quelques-uns des problèmes qui ont surgi au cours des Ă©vĂ©nements et dans les semaines qui suivirent.
II/ Le Front National en lutte contre l’occupation hitlĂ©ro-fasciste
La Corse n’a jamais acceptĂ© la capitulation de Juin 1940, parce qu’elle Ă©tait convaincue que la victoire de l’axe entraĂ®nerait inĂ©luctablement son annexion Ă l’Italie fasciste. [Lire : « L’opinion publique en Corse ». (A.-M Filippi Codaccioni)].Or, la Corse est profondĂ©ment française; elle est ardemment dĂ©mocratique; après six siècles de lutte contre la domination gĂ©noise, elle s’est librement rattachĂ©e Ă la France rĂ©volutionnaire. Aussi les sentiments anti-italiens, l’amour de la France et la vieille tradition de lutte des Corses pour la LibertĂ©, constituèrent la base solide sur laquelle allait se dĂ©velopper d’abord, la rĂ©sistance Ă l’oppression vichyssoise. Les difficultĂ©s furent grandes pour organiser l’action. La Corse est en effet un dĂ©partement agricole de toute petite propriĂ©tĂ© morcelĂ©e Ă l’excès; chacun possède un petit lopin de terre qui lui est cher. Il n’y a pas d’ouvriers agricoles. Il n’y a pas d’industries, donc très peu de masses ouvrières organisĂ©es; c’est pourquoi les organisations syndicales y sont faibles. Seuls les syndicats des cheminots, des dockers, et des marins-pĂŞcheurs ont quelque force. Il n’y a pas de syndicat de paysans-travailleurs.
Les Corses avaient donc peu le sens de la lutte organisĂ©e; ils avaient peu le sens de la discipline. L’individualisme des Corses dĂ» Ă cette situation Ă©conomique sera le plus gros obstacle Ă l’organisation de la lutte contre l’oppression, beaucoup plus que la police vichyssoise. C’est pourquoi en dĂ©pit d’efforts modestes quoique hĂ©roĂŻques dès 1940, les rĂ©sultats obtenus par notre parti en 1942 sont très insuffisants. Certes, on proteste, on crie, on rage contre les vichyssois et la commission italienne. On veut agir. Mais aucune vĂ©ritable organisation ne peut se bâtir et entraĂ®ner les gens au combat.
Et voilĂ la Corse sortant de sa torpeur !
Le 11 Novembre 1942, Hitler viole l’armistice qu’il avait lui-mĂŞme imposĂ© et occupe toute la France. L’Italie occupe la Corse. C’est le coup de fouet, le stimulant : cette fois se crĂ©ent de multiples organisations de rĂ©sistance [Lire « L’organisation de la RĂ©sistance » (Paul Colonna d’Istria)]; mais elles restent une mosaĂŻque, compartimentĂ©es, Ă©troites, sectaires et nuisant Ă la lutte plus qu’elles n’y aident. C’est qu’en Corse, comme dans tout le reste de la France, la dĂ©faite a provoquĂ© l’effondrement total des partis politiques et de tous les groupements. Seul le Parti communiste a survĂ©cu. Les communistes s’Ă©taient fait en Corse comme sur le continent, les propagandistes d’une politique d’union patriotique. Seuls, ils ont compris qu’une organisation unique de lutte — non plus de rĂ©sistance, car ce mot englobe mille formes — groupant dans son sein toutes les bonnes volontĂ©s, peut ĂŞtre au moment propice, l’instrument de libĂ©ration. Ses militants ont une connaissance assez prĂ©cise de la lutte illĂ©gale — puisque le Parti Communiste est illĂ©gal depuis 1939; ils ont le sens de l’organisation et l’esprit de discipline au service d’un idĂ©al. Dès le 11 Novembre les communistes en doublent d’ardeur ; ils parcourent l’Ă®le; ils sonnent le ralliement de tous ceux qui prĂ©fèrent la vie dans la lutte et par la lutte Ă la mort dans une dĂ©shonorante servitude. Et voilĂ qu’ils sont Ă©coutĂ©s, suivis.
C’est ainsi que naĂ®t le Front National de lutte. Son but : aider Ă la libĂ©ration du pays au moment du dĂ©barquement des troupes alliĂ©es. Un premier manifeste dĂ©finit ainsi ses buts :
Grouper dans une organisation unique tous les patriotes pour:
1° Chasser l’envahisseur ;
2° Liquider le régime de Vichy ;
3° Le remplacer par un gouvernement républicain et populaire librement choisi par le peuple.
Mais pour faire du F. N. une organisation de masse il faut d’abord lutter contre quelques camarades qui n’ont pas compris qu’il faut crĂ©er une organisation de masse et non une secte. Cette difficultĂ© vaincue, des organisations du Front National naissent ou se dĂ©veloppent rapidement dans toutes les agglomĂ©rations de l’Ă®le.
Il y a bientĂ´t un ou plusieurs groupes par village avec un chef de village; un ComitĂ© cantonal de trois membres, un ComitĂ© d’arrondissement et enfin un ComitĂ© dĂ©partemental. Dans chaque comitĂ© est un responsable militaire. Les responsables militaires sont choisis non en fonction de leur grade dans l’armĂ©e rĂ©gulière, mais en fonction du courage, de l’ascendant personnel, de la connaissance des lieux de leur Ă©nergie et de leur esprit de dĂ©cision.
Presse et radios clandestines
Elles ont Ă©tĂ© l’une des meilleures armes du Front National, pour rassembler et entraĂ®ner l’ensemble de la population saine. Les circulaires intĂ©rieures donnent des instructions pour : le recrutement, les liaisons, l’organisation de la solidaritĂ© (collecte de tickets d’alimentation, de vivres, de cigarettes); la lutte contre les rĂ©quisitions, les pillages, le travail forcĂ©, l’organisation et l’agitation. Le journal du Front National « Le Patriote » — tirĂ© Ă 5.000 exemplaires dans une grotte [A Porri en Castagniccia]— et de nombreux tracts pĂ©nètrent dans toutes les couches populaires et gagnent sa confiance. Ils lient les francs-tireurs et partisans qui tiennent le maquis, Ă l’ensemble de la population qui les entoure de sa sympathie agissante. C’est ainsi que dans cinq villages de la Casinca, on collecte 43.000 fr., ainsi que de la charcuterie, de la farine et du fromage. Toutes les portes s’ouvrent devant les patriotes traquĂ©s. On partage toujours avec eux la maigre ration de pain. Naturellement on Ă©coute les radios alliĂ©es. L’annonce par Radio-Moscou de la contre-offensive de Stalingrad, puis la grande victoire enflamment d’ardeur toute la Corse. Le poste clandestin du Front National de lutte, « Radio-France », a Ă©galement aidĂ© efficacement Ă dĂ©velopper la lutte par ses mots d’ordre prĂ©cis et ses analyses de la situation française et de la guerre.
Action ou attentisme
Au dĂ©but deux tendances se firent jour Ă la direction du Front National, l’une prĂ©conisait l’action immĂ©diate par tous les moyens et dans tous les domaines ; l’autre recommandait l’attentisme et voulait Ă©viter -toute rencontre avec l’ennemi sous prĂ©texte d’Ă©viter des reprĂ©sailles. Une position intermĂ©diaire est adoptĂ©e; c’est la position juste : elle conseille des actions limitĂ©es, des ripostes Ă©nergiques Ă tous les actes de violence, aux pillages, aux vois, aux brigandages. Les premières actions ne se font pas attendre : elles ont immĂ©diatement pour effet de dĂ©velopper la confiance, la haine contre l’ennemi et de resserrer les liens entre les patriotes.
C’est grâce Ă ces actions continues que se sont formĂ©s les groupes de combat du Front – National : c’est grâce Ă cette tactique que les Francs-tireurs et Partisans entraĂ®nĂ©s militairement dans la lutte et par la lutte, ont pu rĂ©ussir l’insurrection nationale des 8 et 14 Septembre, qui allait libĂ©rer la Corse et donner ainsi un bel exemple Ă toute la France.
Aide-toi, le ciel t’aidera
Mais le dĂ©veloppement de ces actions amène un important rĂ©sultat. Grâce Ă elles, en effet, on se prĂ©occupe de la Corse Ă l’extĂ©rieur! Une mission arrive d’Alger [Mission Pearl Harbour. Suivront les missions Sea Urchin et FrĂ©dĂ©rick] chargĂ©e de recueillir des renseignements militaires. Or, un second rĂ©sultat de l’attitude juste du ComitĂ© du Front National est le suivant : le Front National a maintenant des ramifications dans les plus petits hameaux de la Corse. C’est pourquoi sa mission militaire atteint son but en deux mois.
A son dĂ©part [de Corse], elle est remplacĂ©e par une mission technique chargĂ©e d’organiser le combat. Cette mission ayant constatĂ© que seul le Front National, organisation de lutte et de masse est capable d’apporter une aide efficace au corps de dĂ©barquement, elle lui fait envoyer des armes. Nous en rĂ©cupĂ©rons 110 tonnes, soit 90 p. 100 des expĂ©ditions. Le prestige du Front National est tel que les derniers Ă©lĂ©ments des organisations dĂ©capitĂ©es F.F.L. (Forces Françaises Libres), Franc-tireur, LibĂ©ration; rejoignent les rangs du Front National Ă la fin du mois de Juin. Dans les actions quotidiennes de 8 mois nos pertes ont Ă©tĂ© quoique douloureuses — relativement lĂ©gères : 200 personnes arrĂŞtĂ©es dont 22 tuĂ©es par les fascistes italiens; parmi elles 7 radios de liaison. Pas un seul des Corses arrĂŞtĂ©s et, quoique torturĂ©s, avant d’ĂŞtre fusillĂ©s, ne dĂ©voile rien de l’organisation. Parmi les morts de nombreux cadres : Jean NICOLI et AndrĂ© GIUSTI membres du ComitĂ© DĂ©partemental ; Dominique VINCETTI chargĂ© de la rĂ©ception et de la rĂ©partition des armes dans tout le dĂ©partement; Jules MONDOLONI organisateur du Front National dans la rĂ©gion de Petreto-Biochisano.
Ils ont Ă©tĂ© remplacĂ©s au fur et Ă mesure qu’ils sont tombĂ©s. Ainsi, la position juste du Front. National a montrĂ© que l’action armĂ©e de masse et immĂ©diate contre l’ennemi est le facteur essentiel de la libĂ©ration. (C’est grâce Ă elle que le Front National en Corse s’est si vite Ă©tendu, gagnant la confiance des masses populaires en frappant l’ennemi. C’est pour cela aussi qu’il a gagnĂ© la confiance de nos alliĂ©s et du haut-commandement français et a pu en recevoir des armes. Ainsi l’attentisme est bien — comme le dĂ©clarait le GĂ©nĂ©ral de GAULLE: « un crime contre la patrie ». C’est une vĂ©ritable trahison, d’autant plus qu’elle est plus masquĂ©e.
III/ L’Insurrection Nationale
Au début de Septembre 1943 le rapport des forces semble nettement défavorable aux patriotes. Elles sont ainsi composées :
* 80.000 Italiens, dont beaucoup sont dĂ©sorientĂ©s depuis la chute de Mussolini. Il n’en reste pas moins que les unitĂ©s militaires et les chemises noires sont une force importante.
* 11.000 Allemands avec 110 chars ; auxquelles s’ajoutent les mouchards de Vichy (la garde mobile est en majoritĂ© patriote).
En face d’eux, il n’y a que 11.700 patriotes armĂ©s. Mais ils ont la confiance absolue de la population.
La capitulation sans conditions de l’Italie le 8 Septembre est le signal de l’action gĂ©nĂ©rale. Les faits sont connus (1). Dans la nuit du 8 au 9 sans hĂ©sitation, le ComitĂ© DĂ©partemental du Front National lance l’ordre d’insurrection gĂ©nĂ©rale. I1 est suivi partout.
Dans cette bataille de Corse, il faut souligner l’audace de Bastia, oĂą les Francs-tireurs attaquent les Allemands. Le Commandant des F. T. (François Vittori), en menant le combat de Bastia empĂŞcha les Allemands d’envoyer des renforts Ă Ajaccio. Et assura ainsi le succès de l’insurrection dans le reste de l’Ă®le. Ce n’est qu’après 3 jours de lutte que les F. T. esquivant l’encerclement -se replient de Bastia, leur mission de diversion brillamment accomplie. (a)
La première compagnie du bataillon de choc (97 hommes) (b), dont l’arrivĂ©e est due Ă l’initiative du GĂ©nĂ©ral Giraud a pu ainsi arriver d’Alger le 11 Septembre Ă bord du sous-marin Casablanca (1) Le reste du bataillon a dĂ©barquĂ© le 12 Septembre (avec des pièces anti-char). VoilĂ les forces qui ont libĂ©rĂ© les 3/4 de l’Ă®le : 12.000 Francs-tireurs et Partisans et moins de 500 hommes de troupes rĂ©gulières venues d’Alger sur l’initiative du gĂ©nĂ©ral GIRAUD. (c) La libĂ©ration de la Corse a donc Ă©tĂ© l’Ĺ“uvre des Corses eux-mĂŞmes:
1) grâce à leur entrainement dans la lutte ;
2) leur direction unique par le Front National ;
3) leur armement partiel de l’extĂ©rieur ;
4) la dĂ©cision rapide d’insurrection et la discipline dans l’exĂ©cution.
En Corse libérée
En 24 jours de lutte la Corse est libĂ©rĂ©e! Le rĂ©gime de Vichy s’est effondrĂ© le 9 Septembre devant une manifestation populaire armĂ©e – groupant Ă Ajaccio environ 15.000 personnes
LE COMITE DEPARTEMENTAL DU FRONT NATIONAL DEVENU AINSI LE CONSEIL DE PREFECTURE PRIT LES MESURES SUIVANTES :
1) LA CORSE SE RALLIE AU COMITÉ FRANCAIS DE LA LIBERATION NATIONALE;
2) LES GROUPES DE COMBAT DU F:N., ET EUX SEULS, SONT CONSIDERES. COMME FORCES SUPPLETIVES DE POLICE.
3) LES ORGANISATIONS DE TRAITRES : S.0.L, P.P.F., L.V.F . groupe Collaboration, Légion Française des Combattants, sont dissoutes et leurs biens réquisitionnés.
4) LES MUNICIPALITES INDIGNES SONT DECHUES; ELLES SONT REMPLACEES PAR DES PATRIOTES EPROUVES, ELUS PAR L’ENSEMBLE DE `LA POPULATION (citoyens et citoyennes).
5) LES JOURNAUX SONT ASTREINTS A LA CENSURE PREFECTORALE ET A LA PUBLICATION DES COMMUNIQUES DE LA PREFECTURE ET DU COMITE DEPARTEMENTAL DU F. N. Ils peuvent être réquisitionnés par le C.D. du F.N.
6) LE TRAVAIL DOIT ETRE POURSUIVI NORMALEMENT. L’ACCAPAREMENT DES DENREES ET LA SPECULATION SONT QUALIFIES DE CRIMES CONTRE LA PATRIE ET PUNIS COMME TELS.
Toutes ces mesures sont prises par un premier arrêté préfectoral signé par le nouveau Conseil de Préfecture et par le Préfet de Vichy qui a capitulé. Le F. N. crée le Comité Unique de Répartition des denrées alimentaires (C.U.R.D.A.) composé de patriotes et destiné à répartir directement les denrées aux petits commerçants sans passer par les grossistes.
Les traîtres notoires au nombre de 70 environ sont arrêtés par les patriotes armés. Parmi eux le chef de la Gestapo à Ajaccio et le Commandant de gendarmerie. Pendant 5 jours le F.N. assume tous les pouvoirs civils et militaires.
En outre le Secours National voit remplacer toute sa direction et prend alors son véritable sens.
IV/ Pour que la Corse aide à la libération de la France
Les Ă©vĂ©nements de Corse ne sont pas seulement une nouvelle page qui s’ajoute Ă sa glorieuse et longue histoire de lutte pour la libertĂ©. Ils comportent de grands enseignements pour le peuple français, C’est-Ă -dire pour libĂ©rer le sol national en crĂ©ant une France Libre, dĂ©mocratique et indĂ©pendante (3).
Les Corses n’ont pas attendu
(4) Et d’abord, fixons un point d’histoire la Corse fut, avant tout, l’Ĺ“uvre de Corse eux-mĂŞmes. Si nous avions « attendu », si comme nous le conseillaient certains vellĂ©itaires, nous avions pratiquĂ© « l’hĂ©roĂŻque inertie » oĂą en serions-nous ? Il est fort probable que Vichy continuerait Ă sĂ©vir et que l’ennemi continuerait Ă souiller notre sol. A l’attentisme que de le prĂ©sident du ComitĂ© Français de LibĂ©ration Nationale a qualifiĂ© de crime, les Corses ont prĂ©fĂ©rĂ© l’action quotidienne et le combat libĂ©rateur•
Entre « mourir dans la servitude et vivre par le combat, les Corses ont choisi « La vie dans la lutte » et nous sommes sĂ»rs que toute la France a choisi comme eux. C’est parce que nous n’avons pas attendu que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle rendant Ă Ajaccio, le 9 Octobre, un hommage Ă©clatant aux patriotes de Corse, s’Ă©criait : « Voyant la chance tourner et l’envahisseur faiblir, les patriotes corses: unis dans le Front National, auraient pu attendre que la victoire des armes alliĂ©es rĂ©glât heureusement leur destin. Mais ils jugèrent que la libĂ©ration ne serait point digne de son propre nom si le sang de l’ennemi ne coulait -pas de leurs propres ,mains-… ». Et c’est cette action purement française [La contribution de quelques unitĂ©s de l’armĂ©e italienne n’est pas mentionnĂ©e] que l’Ă©crivain soviĂ©tique Ilya Ehrenbourg saluait de ces mots : « C’est la France qui libère la France ».
Les secrets de la victoire
Quels sont les secrets de la victoire ? L’union. En premier lieu, l’union de toutes les Ă©nergies et de toutes les bonnes volontĂ©s. Au prix de très lourds sacrifices, les patriotes corses ont Ă©difiĂ© ce Front national de lutte, aujourd’hui prestigieux, ce Front national qui a ses hĂ©ros et ses martyrs, ce Front national, organisation unique et magnifique instrument de libĂ©ration qui comptait Ă la veille du combat libĂ©rateur onze mille sept cents patriotes armĂ©s, sans distinction de clans, d’opinions ou de confessions.(5)
L’action quotidienne
Le secret de cette victoire ? Il est dans l’action quotidienne en vue d’entrainer une action gĂ©nĂ©rale, en vue de prĂ©parer « l’insurrection nationale insĂ©parable de la libĂ©ration de la Patrie ». Aux crimes, aux brigandages, aux vols, aux pillages, les Corses ont ripostĂ© avec Ă©nergie et dĂ©cision.
La confiance des masses
Le secret de cette victoire? Il est dans la confiance des masses populaires entraĂ®nĂ©es dans l’action quotidienne et Ă©clairĂ©es par la presse clandestine. Le Front national a gagnĂ© la confiance des masses qui l’entouraient de leur sympathie agissante et s’est souvenu du mot de Pascal PAOLI: « Les invincibles phalanges de Sparte Ă©taient fournies par les masses ».
Audace et discipline
Le secret de cette victoire ? L’audace. Il est dans l’audace et la rapiditĂ© d’exĂ©cution. Le 9 septembre, date du dĂ©but de l’insurrection victorieuse, le Front national donne l’ordre d’attaquer partout l’ennemi. L’audace de ces hommes impressionne le gĂ©nĂ©ral italien MAGLI qui lorsqu’il reçoit l’ultimatum suivant : « Avec nous, contre nous, ou neutre ? » rĂ©pond «Avec vous».
Devant ces bataillons sans fanfares, ces combattants sans uniforme, devant ces hommes qui ont la volontĂ© arrĂŞtĂ©e de vivre libres en combattant et non de mourir dans une servitude dĂ©shonorante, le commandement allemand dĂ©cide de se mettre sur la dĂ©fensive avec ses 10.500 hommes et ses 110 chars (d). Il menace de raser BASTIA et les Francs-Tireurs rĂ©pondent : « Les patriotes corses savent mourir». Il entame les pourparlers à l’Ospedale et les Partisans rĂ©pondent : «Vous avez le choix entre la capitulation et la mort».
Le secret de cette victoire ? Il est dans la conviction que les ennemis extĂ©rieurs et intĂ©rieurs ne font qu’un et qu’il faut les battre en mĂŞme temps, Car pendant que l’offensive est dĂ©clenchĂ©e contre l’envahisseur, le Front national attaque le rĂ©gime de Vichy.
Et maintenant, ne pas gâcher la victoire
Il ne faut pas gâcher cette victoire : la première victoire de la France sur son propre sol depuis 1940. Nous n’avons pas le droit de dĂ©cevoir l’espoir des patriotes corses. Aussi faut-il absolument donner satisfaction Ă leurs revendications lĂ©gitimes. En premier lieu, il faut ravitailler l’Ă®le. La situation alimentaire du dĂ©partement est grave. La situation vestimentaire n’est pas plus brillante. Il faut donner rapidement Ă ses enfants — espoir et avenir de la France — des mĂ©dicaments, du lait, du sucre, des vĂŞtements.
Il faut supprimer le marché noir en aidant le Comité unique de répartition des denrées alimentaires (C.U.R.D.A.) créé par les patriotes et destiné à supprimer les grossistes affameurs; en donnant aux Conseils municipaux tous les pouvoirs contre les spéculateurs.
Il faut que les municipalités puissent réquisitionner les logements des traîtres et des collaborateurs pour y loger les familles des patriotes sans abris.
Il faut continuer l’Ă©puration commencĂ©e par les patriotes.
Il faut donner pouvoir de décision aux municipalités qui sont constituées par des patriotes qui ont fait leurs preuves dans le combat.
Il faut pratiquer une politique hardie en faveur du peuple, du peuple corse qui, avec son sang, a montré à la France la voie de sa libération.
Une seule légalité : celle du salut de la Patrie
Or, voici qu’on nous parle de « lĂ©galitĂ© ». Quelle lĂ©galitĂ© ? Nous n’en connaissons qu’une :, Celle du salut de la Patrie et seulement celle-lĂ . Car au nom de la « lĂ©galitĂ© », les traĂ®tres reviennent en place. Au nom de la « lĂ©galité», les misĂ©rables qui ont vendu Ă l’ennemi nos patriotes et les ont fait lâchement assassiner, gardent encore les leviers de commande dans le dĂ©partement. Et c’est pour cela que le sabotage est Ă©norme. C’est pour cela que les anciens vichyssois affament la population. C’est pour cela qu’ils essaient de discrĂ©diter le ComitĂ© de la LibĂ©ration nationale, et cela nous ne le voulons pas.
A ceux qui nous parlent de lĂ©galitĂ© nous disons : Le premier acte conforme Ă la lĂ©galitĂ© rĂ©publicaine est celui du salut public ; par consĂ©quent, le premier acte conforme Ă la lĂ©galitĂ© rĂ©publicaine doit ĂŞtre l’arrestation des traĂ®tres, la saisie de leurs biens, leur jugement, leur châtiment immĂ©diat Mais en mĂŞme temps l’acte le plus lĂ©gal, le seul, ne peut ĂŞtre que de reconnaĂ®tre la souverainetĂ© du peuple et de lui, seul. Par exemple, des femmes siègent maintenant dans les Conseils Municipaux. Ces femmes ont Ă©tĂ© hĂ©roĂŻques. Elles se sont montrĂ©es vraiment patriotes alors que des hommes, ou se prĂ©tendant tels, lĂ©chaient les bottes sanglantes de la Gestapo et de l’OVRA. Qui donc oserait leur contester, aux femmes patriotes, le droit de gĂ©rer les affaires municipales alors que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle a solennellement promis que dans la France libĂ©rĂ©e les femmes françaises seraient Ă©lectrices et Ă©ligibles ? En un mot, pour nous, la lĂ©galitĂ©, la seule, est celle des hommes qui se sont battus, les armes Ă la main, pour la libĂ©ration de la terre natale, elle est celle forgĂ©e par le peuple et pour le peuple seul.
Il faut que cessent les lenteurs, les hésitations, les réticences.
Il y va de la vie du département. Il y va de la confiance de la France.
Il faut pratiquer une politique hardie en faveur du peuple corse qui a donné le grand exemple à toute la France.
Pour que la Corse aide à la libération de la France
Ce n’est qu’en pratiquant une politique courageuse et juste que l’on maintiendra l’enthousiasme des Corses, que l’on sauvegardera l’union scellĂ©e dans le sang. C’est ainsi et ainsi seulement que l’on pourra utiliser au maximum la combativitĂ© des patriotes de l’Ă®le.
Pour cela il faut :
Mobiliser les Corses en Corse, d’abord Ă cause du manque de navires ; et surtout pour les laisser dans l’atmosphère d’hĂ©roĂŻsme et de combat qui en fera des soldats merveilleux de la libĂ©ration. Il faut leur laisser les chefs qu’ils se sont donnĂ©s librement parce qu’ils les ont vus au feu, ces chefs dont il suffit de complĂ©ter l’Ă©ducation militaire pour rĂ©aliser cette unitĂ© morale patriotique de l’armĂ©e sans laquelle il n’est pas de victoire possible.
Le patriotisme du Corse ne se limite pas aux rivages de l’Ă®le. Tous les Corses ont des parents qui gĂ©missent en France et en Allemagne sous la botte nazie. Que l’on se souvienne de cela et la Corse, premier lambeau de terre française libĂ©rĂ©e, pourra continuer Ă apporter une contribution considĂ©rable Ă la libĂ©ration totale de la -patrie.
Le grand Parti de Gabriel PERI
Telle est la ligne gĂ©nĂ©rale du Front National en Corse. Telle est la ligne qu’aide Ă appliquer en Corse notre Parti communiste français et nos vaillantes Jeunesses communistes (6). Unir tous les patriotes dans le grand Front National pour tirer tous les fruits de la victoire en vue d’aider la France, tel est notre programme. VoilĂ pourquoi, notre Parti et nos Jeunesses travaillent Ă bâtir une organisation solide, réélisant toutes ses directions de sections, en choisissant ses dirigeants sur la lĂ©galitĂ© et dans la lutte contre l’ennemi.
C’est pour cela aussi que notre parti et notre jeunesse entendent Ă©duquer toujours plus nos adhĂ©rents dans notre belle doctrine marxiste-lĂ©niniste, dans l’esprit de magnifiques combattants dirigĂ©s par le MarĂ©chal STALINE et qui donnent l’exemple au monde entier. Notre Parti, en Corse des hĂ©ros magnifiques : VINCETTI, GRIFFI, GIUSTI, MONDOLONI, NICOLI dĂ©corĂ©s Ă titre posthume par le gĂ©nĂ©ral GIRAUD, commandant en chef.
Nos Jeunesses aussi ont donné de magnifiques héros, jeunes garçons et jeunes filles bien dignes de notre Danielle CASANOVA assassinée en Haute-Silésie par les brutes hitlériennes.
Notre Parti enfin, veut être digne de celui qui fut le fondateur des Jeunesses communistes de France en 1920, de celui qui a été depuis le début membre du Comité Central de notre grand Parti communiste, qui fut son porte-parole écouté dans tout ce qui concernait la politique de grandeur de la France : notre Gabriel PERI, tombé en héros de légende, faisant trembler ses bourreaux, digne petit-fils du Grand Corse et patriote comme lui, que fut le capitaine de vaisseau PERI.
Recrutement, organisation, Ă©ducation, pour et dans l’action ! En vue des batailles futures ! Forte des expĂ©riences passĂ©es. Fière de notre grand ComitĂ© Central qui nous a conduit Ă la victoire la rĂ©gion Corse du Parti Communiste Français s’engage chaque jour plus dans la grande action de masse patriotique qui hâtera a la libĂ©ration nationale insĂ©parable de l’insurrection nationale. »
LE CASABIANCA Ă€ L’HONNEUR
Il suffit d’avoir vu les yeux brillant de joie du patriote de Corse recevant « sa » mitraillette, pour savoir quel bonheur ces armes versent au cĹ“ur des hommes en lutte.
Je mesure l’importance de ce dĂ©bat. C’est parce que j’ai conscience de l’impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de fournir rapidement des armes, beaucoup d’armes aux patriotes de France, que j’interviens. Je dĂ©sire rappeler brièvement comment s’est opĂ©rĂ© l’armement de la Corse, parce que je crois qu’on en peut tirer d’utiles enseignements.
On nous dit qu’il est difficile d’armer les patriotes de France. Je rĂ©ponds que la prĂ©sence de près de cent mille ennemis sur le territoire de l’Ile n’a pas empĂŞchĂ© la livraison, le transport et la rĂ©partition de cent dix tonnes d’armes livrĂ©es en peu de temps par nos alliĂ©s britanniques. Sur ces armes, un dixième seulement est tombĂ© aux mains de l’envahisseur.
On nous dit qu’il est difficile d’aborder les cĂ´tes de France. Je rĂ©ponds : le sous-marin « Casabianca » a dĂ©barquĂ© quarante tonnes d’armes sur diffĂ©rents points de la cĂ´te de Corse.
Je saisis cette occasion pour rendre hommage Ă cette magnifique unitĂ© de notre Marine nationale, Ă ce sous-marin qui porte le nom de l’officier de marine corse qui, voyant son bâtiment pris Ă l’abordage par les Barbaresques, a prĂ©fĂ©rĂ© le faire sauter que de se rendre. Je rends hommage Ă ce bâtiment qui a quittĂ© Toulon au moment du sabordage de la flotte, Ă son valeureux Ă©quipage et Ă son chef le commandant  L’Herminier qui vient de subir l’amputation des deux jambes et a reçu, des mains du GĂ©nĂ©ral de Gaulle, le ruban de Commandeur de la LĂ©gion d’Honneur pour services rendus Ă la Patrie.
Ce que le « Casa» a fait en Corse grâce Ă l’hĂ©roĂŻsme de son Ă©quipage et des patriotes de l’Ile, il est certain qu’on peut le faire en France, si on le veut. La cĂ´te est gardĂ©e, certes ; elle l’Ă©tait aussi en Corse et, dans la nuit du 4 septembre, j’ai embarquĂ© sur le «Casa», pour Alger, Ă 1.200 mètres d’une batterie ennemie. Mais plus faciles et plus sĂ»res peut-ĂŞtre sont les livraisons d’armes par voie aĂ©rienne. Si nous avons pu dĂ©couvrir et transmettre pour le seul dĂ©partement de la Corse, au relief tourmentĂ©, 64 terrains de parachutage, il n’est pas douteux qu’on peut en trouver des centaines et des centaines en France. Je signale dans ce domaine le tĂ©moignage d’un capitaine britannique qui m’a affirmĂ© que l’expĂ©rience de la Corse avait grandement facilitĂ© les opĂ©rations de parachutage dans les Balkans et en France. Que l’on recueille prĂ©cieusement tous les rapports fournis par les pilotes de la R.A.F., que l’on recueille les observations fournies par les patriotes. et l’on verra que les opĂ©rations aĂ©riennes peuvent ĂŞtre hâtĂ©es et amplifiĂ©es, si l’on vent.

Certes, la rĂ©ception, le transport et la rĂ©partition de ces armes ont nĂ©cessitĂ© du courage, de l’audace, de la tĂ©nacitĂ©. Mais ces qualitĂ©s ne sont-elles pas prĂ©cisĂ©ment celles du peuple de France ? Il suffit d’avoir vu les yeux brillant de joie du patriote de Corse recevant «sa» mitraillette, pour savoir quel bonheur ces armes versent au cĹ“ur des hommes en lutte. Mais voici que, depuis la libĂ©ration de la Corse, il n’est question que de la restitution des armes, que l’on dĂ©clare destinĂ©es aux Patriotes de France. Je crois fermement – et je m’en suis dĂ©jĂ expliquĂ© devant la Commission de la DĂ©fense nationale — que les patriotes de Corse ont raison de ne pas rendre leurs armes.
Les premières raisons sont d’ordre psychologique :
-  La presse et la radio officielles ne cessent de dĂ©tailler les gigantesques fabrications de guerre des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Nous avons repris et dĂ©veloppĂ© ce thème devant nos camarades de Corse. Qui pourra croire aujourd’hui et faire croire aux Corses que les AlliĂ©s ont besoin de quelques mitrailleuses et grenades pour armer les patriotes de France ?
-  Les armes de chasse confisquĂ©es ou volĂ©es par les Italiens n’ont pas encore Ă©tĂ© restituĂ©es aux Patriotes ;
- Mais il y a des raisons beaucoup plus sĂ©rieuses encore. Si les antipatriotes notoires ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s, il n’en est pas moins vrai que certains d’entre eux sont encore en libertĂ© et ont mĂŞme gagnĂ© le maquis.
- Notre collègue Pourtalet dĂ©nonçait avec raison la prĂ©sence en Corse d’anciennes « chemises noires » assassins de nos camarades, ce qui constitue une provocation permanente ;
- Les Allemands ont sĂ»rement laissĂ© en Corse des agents: radios, saboteurs, espions. Sans porter ici d’autres prĂ©cisions, qu’il me suffise de dire qu’on a dĂ©couvert et arrĂŞtĂ© un radio travaillant pour le compte de l’Allemagne. Qu’il me suffise de dire que, le 22 dĂ©cembre, a Ă©tĂ© parachutĂ© près du village de Palneca un poste Ă©metteur. Cela n’indique-t-il pas clairement qu’il y a en Corse une organisation clandestine au service des nazis ? Contre ces saboteurs et ces espions, contre d’Ă©ventuels parachutages d’hommes, la meilleure dĂ©fense n’est-elle pas le paysan armĂ© ? N’existe-t-il pas en Grande-Bretagne la Home-Guard jusque dans les plus petits hameaux et dont les hommes possèdent en permanence les armes Ă domicile ,
-  un retour offensif des Allemands est-il exclu ? Nul ne peut le dire, et certains indices peuvent très sĂ©rieusement permettre de le craindre. Ainsi, j’Ă©tais Ă Bastia vers le 20 dĂ©cembre Deux sous-marins allemands ont fait surface dans la nuit et canonnĂ© la cĂ´te. Croyez-vous qu’ils n’ont pas, au mĂŞme moment, dĂ©barquĂ© des agents dans un autre endroit ?
-  Enfin et surtout, la Corse est un bastion de première ligne. Or, la prise de Leros et de Samos est venue nous rappeler brutalement ce que personne de vous n’a oubliĂ© : la conquĂŞte de la Crète par les HitlĂ©riens. La Crète est beaucoup plus loin de la Grèce que ne l’est la Corse de Provence ou d’Italie. L’Etat-major britannique a reconnu que la Crète a pu ĂŞtre prise parce que les CrĂ©tois avaient Ă©tĂ© dĂ©sarmĂ©s dès l’arrivĂ©e des troupes alliĂ©es. Il a manquĂ© ainsi aux troupes anglaises l’appoint des magnifiques combattants crĂ©tois qui, rĂ©fugiĂ©s dans leurs montagnes, en ont toujours fait des centres inexpugnables.
Les Corses ne veulent pas que se renouvelle cette tragique erreur. Ils veulent conserver Ă jamais française l’Ile de BeautĂ©. C’est pourquoi ils veulent garder leurs armes durement payĂ©es de leur sang. Mais si j’insiste sur ce point, c’est parce que je crois que la raison de l’acharnement Ă faire rendre leurs armes aux Corses est une raison d’ordre politique. Il semble nettement que l’on ait peur du peuple. Que peut-on craindre d’une population qui a fait aussi magnifiquement la preuve de son patriotisme ? Le gouvernement d’Alger a-t-il moins de confiance dans la population corse que le Gouvernement britannique, prĂ©sidĂ© par M. Churchill, n’en a dans les ouvriers anglais armĂ©s de la Home-Guard ? N’est-ce pas la mĂŞme raison qui empĂŞche la livraison massive d’armes en France ? N’a-t-on pas peur, dans certaines sphères, que la France ne se libère trop complètement ? Ne sait-on pas que l’on doit faire confiance au peuple de France en lutte contre l’occupant ?
Est-ce que la libĂ©ration militaire et politique de la Corse n’a pas provoquĂ© chez certains des inquiĂ©tudes ? Dans ce cas, qu’on le dise, sinon que l’on hâte; selon le mot du GĂ©nĂ©ral de Gaulle, l’insurrection nationale, insĂ©parable de la libĂ©ration nationale ».
PROGRAMME DU FRONT NATIONAL EN CORSE
(adhérent à la France Combattante). (adopté au Congrès des 14 et 15 Novembre 1943 en Ajaccio)
EXTRAITS ESSENTIELS (8)
Le programme initial du Front National, Ă©laborĂ© sous le rĂ©gime de Vichy pendant l’occupation Ă©trangère portait :
1° Lutte contre l’envahisseur.
2° Liquidation du régime de Vichy, afin de permettre au peuple de France de se donner librement le gouvernement de son choix.
Aujourd’hui la première partie du programme est rĂ©alisĂ©e au moins en ce qui concerne la Corse.
La seconde partie est Ă peine Ă©bauchĂ©e. Certes, le rĂ©gime de Vichy s’est Ă©croulĂ©, mais il reste beaucoup Ă faire. Le programme ci-après du Front National (adhĂ©rent Ă la France Combattante) indique ce qui reste Ă faire :
- Mobilisation totale de toutes les forces de la Corse pour la libĂ©ration de la France continentale. Mobiliser les patriotes en Corse en tenant compte de leur formation pendant la lutte. Reconnaissance de la date d’entrĂ©e au F.N. comme date d’entrĂ©e sous les drapeaux. Pensions et rĂ©compenses comme aux militaires de l’armĂ©e rĂ©gulière.
- AmĂ©lioration du ravitaillement et lutte contre le marchĂ© noir. RĂ©partition Ă©quitable du ravitaillement. Suppression des grossistes et remplacement par un organisme unique de collectage et de rĂ©partition. Saisie immĂ©diate des biens de tout individu internĂ© et de tous les traĂ®tres (immeubles, terres, fonds) pour les mettre au service de la Nation. CrĂ©ation d’un impĂ´t extraordinaire sur les bĂ©nĂ©fices de guerre et illicites. Internement dans un camp de concentration en Corse de tout trafiquant du marchĂ© noir pris en flagrant dĂ©lit.
- [Ce chapitre n’est pas mentionnĂ© dans la brochure ]
- Épuration. — Arrestation immĂ©diate de tous les antipatriotes actifs appartenant Ă l’une des formations suivantes : P.P.F., S.O.L., L.V.F., Groupe Collaboration. — Privation de leurs droits civiques. — Criblage, examen de tous les cas et châtiment proportionnĂ© aux fautes commises. RĂ©intĂ©gration immĂ©diate de tous les fonctionnaires frappĂ©s par Vichy. Dans le remplacement des fonctionnaires antipatriotes rĂ©voquĂ©s tenir compte de la valeur professionnelle et de l’activitĂ© patriotique des postulants. Mise Ă la disposition de la Commission dĂ©partementale d’Épuration de tous les moyens pratiques nĂ©cessaires Ă la rĂ©alisation de son travail.
- Prisonniers politiques. — Intervention Ă©nergique pour leur rapatriement d’Italie ou d’ailleurs sans nouveau dĂ©lai.
- Dommages de guerre. -CrĂ©ation d’une Commission dĂ©partementale pour leur fixation.
- Italiens. — Châtiment exemplaire des Italiens (0.V.R.A. Carabiniers) qui se. sont rendus coupables de crimes ou dĂ©lits de droit commun Ă l’encontre des patriotes, conformĂ©ment aux clauses de l’armistice. Restitution des biens rĂ©quisitionnĂ©s : mulets, voitures, postes de T.S.F., armes de chasse, etc., etc. CrĂ©ation d’une Commission dĂ©partementale pour examen des cas de tous les Italiens naturalisĂ©s ou non. Expulsion de tous ceux qui ont collaborĂ© avec les troupes d’occupation.
- RĂ©vision des traitements, salaires, pensions et retraites. Application d’un premier relèvement de 25%. Échelle mobile.
- Plan de reconstruction économique. — Rétablissement rapide des réseaux de transports, et des destructions ; relogement des sinistrés_ dans les logements et immeubles des collaborateurs. Nettoyage rapide des champs de tous explosifs, mines, etc.
a) Réparation des dommages de guerre ; en premier lieu par la fourniture gratuite de semences, engrais, arbustes, outils, chaussures, vêtements, etc.
b) AmĂ©lioration des systèmes routiers et ferroviaires et dĂ©veloppement rapide d’une moyenne industrie annexe (rĂ©paration et montage mĂ©canique et Ă©lectrique). AmĂ©lioration des ports. Mise en action d’un plan d’adduction d’eau, d’irrigation, d’Ă©lectrification; mise en valeur des terres incultes, assainissement des terrains insalubres, etc.
Notes de l’auteur:
(1) Voir « Liberté » (Alger des 23 et 30 Septembre 1943.
(2) Nom d’un officier de marine corse qui, son bâtiment pris par l’ennemi Ă l’abordage, s’est fait sauter plutĂ´t que de se rendre.
(3) Toute la partie qui suit reproduit partiellement l’Intervention du camarade GIOVONI Ă l’assemblĂ©e consultative, le 20 Novembre 1943.
(4) Toute la partie qui suit reproduit partiellement l’Intervention du camarade GIOVONI Ă l’assemblĂ©e consultative, le 20 Novembre 1943.
(5) Le Congrès de la France Combattante en Alger les 27-28 Novembre a solennellement reconnu le Front National en Corse comme la seule organisation unifiant les patriotes.
(6) A noter que le Parti Communiste s’est renforcĂ© dans l’illĂ©galitĂ© et a doublĂ© ses effectifs pendant la lutte armĂ©e.
(7) Discours prononcĂ© par le camarade Giovoni 8 l’AssemblĂ©e Consultative le 8 Janvier 1944.
(8) Par suite des difficultĂ©s de liaison avec la Corse quelques lĂ©gères modifications de forme n’ont pas encore Ă©tĂ© reçues. — La RĂ©daction.
Notes de l’Ă©diteur du site ANACR 2A :
(a) A. Giovoni ne fait pas mention des affrontements entre militaires italiens et allemands et plus gĂ©nĂ©ralement de la contribution des troupes italiennes Ă la libĂ©ration de l’Ă®le.
Sur la libération de Bastia  on lira : « La libération de Bastia »
(b) On sait aujourd’hui qu’ils Ă©taient 109 hommes du bataillon de choc.
(c) Au total, dans la phase finale de la bataille pour chasser l’ennemi allemand, les RĂ©sistants pourront compter sur quelques 6.000 hommes de troupe français (Bataillon de choc et goumiers), des unitĂ©s italiennes ralliĂ©es et quelques Anglo-amĂ©ricains.
(d) On sait aujourd’hui qu’aux 5.000 soldats allemands prĂ©sents dans l’Ă®le durant l’Ă©tĂ© 1943, quelques 20.000 autres venant de Sardaigne ont transitĂ© par la Corse pour rejoindre l’Italie continentale.
(e) Il n’y a pas de point III. Il n’es pas mentionnĂ© dans la brochure