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1942-1943. Occupation, Résistance, LibérationDossiers La Résistance des femmes en Corse

16 décembre 2019

Avant d’aborder le sujet proprement dit, à savoir ce que fut la Résistance des femmes en Corse, il faut s’entendre sur le mot Résistance. Pour sûr, si on ne tient pour résistantes que les femmes qui ont porté une arme ou fait le coup de feu, on ne trouvera que peu de résistantes en France et aucune en Corse connue à ce jour. La photo de cette jeune fille corse avec une arme à la main, ça fait cliché mais ça ne dit pas la vraie Résistance des femmes en Corse, une Résistance pas moins efficace que celle des hommes et pas moins honorable.

Qu’ entend-on par Résistance durant la Seconde guerre mondiale ?

Il n’est pas question d’apporter une réponse bien tranchée, à plus forte raison de tenter une définition, pour appréhender un phénomène complexe faisant l’objet de multiples interprétations depuis la fin de la guerre. Ce sujet nourrit de nombreux débats, thèses, colloques et parfois des polémiques.  Contentons-nous d’essayer d’esquisser les contours et de donner un contenu à ce qu’on nomme Résistance afin de discerner la place qu’y ont pris les femmes. Une Résistance féminine qui a eu du mal à être identifiée et à émerger à cause d’une vision  de la Résistance limitée à la seule sphère de la lutte armée, excluant de fait la Résistance civile, celle précisément où prend relief celle des femmes. Ce qui a fait dire, à juste raison, à Lucie Aubrac que c’est grâce aux femmes que « la Résistance a pu gagner en extension et en profondeur. »

Signe des temps, positif : en 2009, pour le centième anniversaire de sa naissance, Danièle Casanova a reçu un hommage national au Sénat. En 2015, Germaine Tillon et Geneviève de Gaulle-Anthonioz sont entrées au Panthéon. Et bientôt ce sera au tour de Simone Weil ; même si dans cet hommage la figure de la résistante se confondra avec l’image de la de victime juive du nazisme et celle de la femme politique qui mena un dur combat pour le droit à l’avortement.

Quelle évolution ! Il y a eu seulement 6 femmes sur les 1038 Compagnons de la Libération. Pour l’Ordre de la Libération, voulu par le Général De Gaulle, c’était la Résistance militaire, et celle des Forces Françaises Libres particulièrement, qui prévalait. Et ceci explique cela. Une plus juste évaluation des effectifs féminins résulte du recensement des titulaires de la carte du Combattants Volontaires de la Résistance (CVR) attribuée après guerre par un organisme officiel à ceux et celles qui en faisaient la demande ; …. une plus juste évaluation mais ces  chiffres restent discutables quand même. (Voir dans l’encadré),

En effet, ce statut CVR et les révisions successives des critères d’attribution de la carte (5 lois adoptées entre 1945 et 1992) ont été un enjeu politique mettant aux prises les associations d’ A.C – principalement gaullistes et communistes – qui siégeaient dans les commissions locales chargées de  donner leur avis pour l’attribution de cette carte, chacune des associations essayant de grossir ses propres effectifs au détriment des autres.

Au fil des ans, on passera d’un statut d ‘A.C. C.V.R. placé initialement dans le sillage des A.C.  de 14/18 – donc purement militaire – , à un statut qui fait place aussi à la Résistance en tant que phénomène social et politique de masse.  A une vision militaire et élitiste, privilégiant la Résistance extérieure des réseaux  et des F.F.L. s’opposent les courants politiques, pour qui la Résistance fût aussi un processus social, civil et politique qui donne du résistant, et surtout de la résistante, une image moins héroïsante mais bien réelle – disons la Résistance  « à hauteur d’hommes »….  à « hauteur de femmes » pour l’occurrence.

Sans avoir des contours et un contenu aussi nets que la Résistance militaire, plus facile à appréhender, pour autant, la Résistance civile fût une réalité qui ne peut être minorée ou ignorée, tant il est vrai que la Résistance militaire  n’a été possible et n’a pu produire tous ses effets que grâce à la résistance civile qui l’a entourée d’une aire de complicité de la population. « …la Résistance fut un processus social, elle n’a pu exister, vivre et se développer que dans la dynamique des liens tissés dans et avec la société française. » (Dictionnaire historique de la Résistance). Et fait remarquable en Corse, cet amalgame « Résistance-réseau-militaire » et « Résistance-mouvement – civil  » s’est réalisé au sein d’une même organisation, le « Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France », qui après l’échec de la mission gaulliste Sea Urchin de Fred Scamaroni  a servi de structure d’accueil de la plupart des courants de pensée, à l’exception notable de la Résistance organisée sous les ordres du commandant Pietri  en Alta Rocca qui a toujours refusé l’hégémonie du F.N. parce que d’obédience communiste…. Et ce malgré la participation au plus niveau de la direction du F.N. de l’envoyé militaire de Giraud, Paul Colonna d’Istria et de Henri Maillot, cousin du général De Gaulle.

Au terme de ce long préambule, on comprend mieux la nécessaire réévaluation de la Résistance civile et par conséquent -parce qu’elle lui est corrélée-  une réévaluation de la place qu’y ont pris les femmes. C’est d’autant plus nécessaire en Corse où les armes et la chose militaire exercent traditionnellement une certaine fascination.

Quelle fût donc la Résistance des femmes ? Quelle a été l’importance de leur participation , quantitativement et qualitativement?  Et dans quelle proportion par rapport aux hommes ?

Par nature, puisque la Résistance était clandestine, on ne tenait pas de registres des effectifs, pas plus qu’on rédigeait de procès-verbal de réunions ou de compte rendu d’opérations de résistance. Moins on produisait d’écrits, moins on s’exposait à l’ennemi. Mais ce sera un handicap pour écrire l’histoire de la Résistance plus tard. Alors, de quelles sources disposons-nous en Corse pour tenter de répondre à cette question ?  Principalement du recensement des titulaires de la carte C.V.R., des témoignages et des quelques documents et rapports émanant des responsables de la Résistance et des rapports de gendarmerie.

Combien étaient-elles ces femmes C.V.R., dans quelle proportion avec les hommes ?
Réponse :  7 % de cartes C.V.R. femmes en Corse. Moyenne nationale 10 % (Cf. l’étude d’Hélène Chaubin et celle d’Angèle Catellaggi (Voir infra)
Même avec la vision d’une Résistance élargie à la société civile, ça paraît peu eu égard aux témoignages recueillis après-guerre. Mais il faut insister sur les limites de ce recensement des C.V.R. parce que, outre le titre honorifique que conférait la carte, elle ne donnait, dans l’immédiat après guerre un réel avantage matériel (pour la retraite) que pour les femmes ayant un statut professionnel reconnu qui de ce fait étaient les plus motivées pour la demander.

Parmi celles qui auraient pu y prétendre beaucoup n’ont jamais demandé cette carte de C.V.R. La mentalité de l’époque inclinait à penser que cette reconnaissance était imméritée. L’historien Olivier Wieviorka, observant les statistiques nationales, fait remarquer que si les femmes ne constituent, au plan national, que 10 % des titulaires de la carte des C.V.R., elles représentent 14 à 15 % du total des déportés, de France pour fait de Résistance. Il conclut donc que l’effectif résultant du recensement  des femmes C.V.R. aurait dû être plus important. (O. Wieviorka. « Histoire de la Résistance. Ed. Perrin 2013. Pp. 429 et svt.)

N.B. :  Pour la Corse, un tel rapprochement des déportées femmes résistantes par rapport aux hommes n’est pas pertinent : une seule femme, Mme Lorenzi, a été déportée en Autriche + cinq autres, condamnées par le Tribunal militaire italien à la déportation en Italie, pour plus de 450 hommes déportés. La répression italienne n’a pas frappé aussi brutalement que la répression allemande ; c’est vrai particulièrement pour les femmes, on le verra avec le cas de Louise Simonpietri.

Pour bien évaluer la contribution des femmes à la Résistance il faut prendre en considération aussi la condition des femmes avant-guerre, tant en ce qui concerne les droits économiques et sociaux que les droits  politiques : elles étaient trop sous-politisées avant guerre pour qu’on ait pu espérer d’elles un plus grand engagement  dans la Résistance. Olivier Wieviorka affirme même que les entrées en résistances des femmes « dépassèrent largement, en proportion, les engagements politiques souscrits durant l’entre-deux-guerres. » […] Il conclut donc à …un « sur-engagement » féminin parce que écrit-il « Le contexte social, politique et culturel rendait de toute évidence leur engagement plus ardu, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il fût mineur, compte tenu des obstacles qui se dressaient pour qu’elles rejoignent l’armée des ombres. » […] Surmonter les épreuves qui culturellement prévenaient l’engagement [cela] supposait des personnalités bien trempées« .

La condition des femmes avant-guerre, un frein à leur engagement

Incontestablement, c’était plus facile  pour les femmes qui avaient un métier et pour celles qui avaient fait des études, qui étaient donc dans une stratégie d’émancipation. C’est vrai pour Madeleine Ettori, la compagne d’André Giusti  qui avait travaillé à Paris, pour Madeleine Pinelli, Antoinette Carlotti, et Marie Stéfanini, Rose Ferracci (toutes institutrices), Renée Pagès, Emma Choury, Jéromine Benielli, Laurence Chavigny, sa sœur. Autre exemples : même si elles n’ont pas résisté en Corse, citons pour illustrer cette corrélation entre niveau d’études-travail avec l’engagement, le cas bien connu de Maria De Peretti (médecin) et Danièle Casanova (Dentiste), toutes deux exerçant à Paris.

Mais ces cas individuels de femmes professionnellement « émancipées » ne doivent pas cacher la réalité statistique des conditions socioprofessionnelles qui sont un frein pour l’engagement des femmes en Corses. Ça entretien une mentalité dont le journal « La jeune corse » donne un aperçu. Le 25 mai 1941 il titre sur « Le culte du foyer, de la mère, ange gardien de la famille inscrit au fronton des  demeures de l’île ». (Cité par H. Chaubin) Ce confinement de la femme dans la sphère domestique cadre parfaitement avec le rôle assigné à la femme par le régime de Vichy. Mais on verra que c’est aussi « par et autour » de la femme que s’est articulée la quotidienneté de la Résistance. De nécessité, elles on fait vertu.

Les femmes étaient en situation d’infériorité par rapport aux hommes parce qu’elles avaient un moindre taux d’activité et un taux d’alphabétisation élevé. En Corse plus particulièrement. Selon Hélène Chaubin, (« Femmes dans la Résistance méditerranéenne, l’exemple de la Corse et de l’Hérault »)
Le  taux d’activité
(activité déclarée et recensée)
*La part des femmes dans la population active en Corse est de 24 % pour une moyenne nationale de 34 %.
* Par rapport au continent, le taux d’activité des femmes en 1936 est de 13,6 % en Corse. (moitié moins que la moyenne nationale des femmes).
* Par rapport aux hommes dont le taux d’activité est de 44% en Corse, celui des femmes est 3 fois plus faible.
Le taux d’analphabétisation
en 1936 (personnes de plus de 10 ans.
*18 % (1/5) pour les femmes en Corse (moyenne nationale : 4,4 % = 1/20)
*11,6 % (1/10) pour les hommes en Corse (moyenne nationale : 3,5 % = 1/30)

Ces constatations faites, il ne faudrait toutefois pas conclure que la Résistance a été surtout le fait de femmes instruites ou/et ayant eu un métier reconnu. La conscience, la lucidité et le jugement politique n’ont pas été – le facteur déterminant de l’engagement Résistant. Combien de femmes illettrées  – ou peu s’en faut –  , combien de femmes ne sachant parler que la langue corse ont donné l’hospitalité à un Résistant en danger, apporté de la nourriture ou un message au maquis, transporté des tracts, fait le guet, organisé une manifestation pour protester contre la diminution de la ration.

La Résistance de celles qui veillent sur le pas de la porte.

* Santa di Notte, qui a vu arriver à sa bergerie, au petit matin, Toussaint Griffi et Laurent Preziosi, de la mission Pearl Harbour, qui venaient d’être mis à terre par le sous marin Casabianca dans l’a crique de Topiti, une côte surveillée par des milliers de costiéri italiens. Le moment de la surprise passée, Santa di Notte leur offre le spuntinu et les fait mener par son fils à Revinda où ils rencontreront l’abbé Mattei. Ainsi à commencé l’aventure de la première mission en Corse occupée. Elle aurait très bien pu s’arrêter au seuil de la maison de Santa di Notte qui fût donc le premier maillon de la longue chaîne de solidarité qui fit le succès de la mission Pearl Harbour. Sur cette chaîne, une autre femme : Marie Versini de Marignana (« Première mission en Corse occupée ». Laurent Preziosi et Toussaint Griffi)

* Luisa Simonpietri, arrêtée quand la mission Frédérick est tombée. Elle qui accueillait à Tivolaggio (Vitricella) le radio Guy Verstraete a été arrêtée. Son hôte Verstraete et Charles Simon Andrei de la même mission furent condamnés à mort et exécutés. Les autres ont été condamnés à de lourdes peine de prison et déportés. Luisa qui n’avouera rien fût la seule que Tribunal militaire italien ne condamna pas du fait de son grand âge et du fait qu’elle ne savait parler que le corse rendant difficile la tâche du tribunal. [Cf Terry Hodgkinson].

* Pas une érudite non plus Mme Léandri qui habite le dernier relai avant la grotte qui sert de refuge  aux résistants à  Poggio de San Gavinu d’Ampugnanu  (La Porta -Castagniccia ).   » L’ agent de liaison y trouve toujours le couvert, une chemise propre et un sourire réconfortant » rapporte Battì Fusella. Mme Leandri est seule au logis avec sa belle-fille. Son mari et son fils sont avec les hommes de garde autour du Poste de Commande de la Résistance. Le 21 août 1943, le village est encerclé. Elle tient tête aux Italiens et ne parlera pas. »

* Pas une érudite Pauline Pietri, cette vieille dame de Tavera qui hébergea Archange Raimondi durant plusieurs semaines dans sa maison, au nez et à la barbe des militaires Italiens présents dans le village.

* Pas sûr qu’elles aient eu la chance de fréquenter l’école primaire ces femmes du hameau de Piscia, sur la commune de Figari, dont Albert Ferracci a raconté comment, au retour de la réception d’un parachutage sur le massif de Cagna, chargés d’armes et de munitions, recrus de fatigue, ….  comment en deux temps et trois mouvements elles leur ont servi à une dizaine d’hommes un spuntinu qui leur parut un pranzu. Le réconfort moral en plus.

« Les temps étaient durs et les maisons vides, raconte Albert Ferracci. Et pourtant le miracle se produisit les femmes du village commencèrent à se rassembler. Elles complotaient à voix basse et puis se dispersèrent. Au bout d’une demi-heure nous fûmes invités à pénétrer dans une pièce assez vaste, éclairée par des lampes à pétrole. Nous n’en croyions pas nos yeux ! Sur deux longues tables il y avait des pains, des demi-pains, des morceaux de fromage… Oh ! les tables ne croulaient pas sous le poids des victuailles, mais quelle surprise !
D’où sortaient ces pains ? Je pensais aux pains du Seigneur évoqués par les écritures : ‘croissez et multipliez’. Miracle des femmes, miracle de la foi qui soulèvent les montagnes. Lorsqu’on pense à ces femmes qui « s’enlevaient le pain de la bouche », lorsqu’on pense à toutes celles qui accomplirent ces gestes aussi nobles qu’anonymes sans en attendre aucune reconnaissance, on se dit qu’on a intérêt à être modeste ».
Bel hommage de la Résistance militaire à la Résistance civile

C’était ça « La résistance de celles qui veillent sur le pas de la porte«  dont parle l’historien Laurent Douzou.

Beaucoup de ces femmes résistantes, au sens où on l’entend aujourd’hui n’ont jamais fait leur demande pour obtenir la carte de C.V.R.  C’est pour ça que les statistiques tirées de l’étude des cartes de C.V.R. des femmes qu’en ont faites Hélène Chaubin et Angèle Catellaggi ont le mérite d’exister mais sont à utiliser avec précautions. Pas question d’en tirer un portrait-type de la femme résistante corse. A titre indicatif, les voici quand même livrées par H. Chaubin :
* Age. parmi les femmes titulaires de la carte de C.V.R. 61% ont entre 20 et 40 ans.
* Les 3/4 des femmes actives n’ont pas d’enfant et 9 % ont un seul enfant.
* 3/4 des femmes engagées font toute référence à un mari ou un autre Résistant du giron familial. Très rares sont celles qui ont agi en dehors ou à l’insu de leur époux.
* 2/3 des femmes C.V.R. se sont réclamées du F.N.
* Plus de la moitié habitent Bastia ou Ajaccio. Sartène en compte un quart à elle seule.

Quelques-unes de ces belles figures féminines de la Résistance insulaire n’ont pas toutes un visage, pas même un nom. Elles avaient peu ou pas fréquenté l’école. Leur Résistance ? peut être l’ont-elle racontée le soir à la veillée ? Les rares témoignages recueillis l’ont été tardivement. La Résistance ne recrutait  pas sur diplôme.  Et tant mieux pour celles qui en avaient.
Comme Madeleine Pinelli, originaire de Tavera, que cite aussi Antoinette Carlotti. Elle est Médaillée de la Résistance, Croix de guerre avec étoile de bronze.
Comme Antoinette Carlotti, institutrice, Croix de guerre, Médaille de la Résistance. (1) qui est une des dirigeantes du Comité populaire des femmes, une organisation crée par la Front National qui organisa à Bastia les manifestations contre le rationnement , les 22 et 23 mars 1943, qui mit des milliers de personnes dans la rue (2.000 le premier jour, 8.000 selon Léo Micheli le lendemain). Dans un récit qu’elle a fait cet évènement marquant de la Résistance insulaire, Antoinette Carlotti écrit que  » Les femmes, en Corse aussi, ont été très nombreuses à lutter, il y en a eu dans toutes les régions de l’île, jouant un rôle, petit ou grand, mais terriblement efficace ; il fallait refouler la douleur, reprendre ou recommencer, continuer, agir, maintenir la confiance, exalter les énergies. Chacune a apporté dans cet effort inlassable, ses qualités, ses moyens, sa foi ardente et généreuse. On ne peut les citer toutes, je m’en excuse. Je donne simplement les noms de celles que j’ai le plus approchées : Laurence Chavigny, Jéromine Benielli, Louise Lucchetti, Berthe Vittori, Angèle Pietri, Renée Pages, Marcelle Lorenzi, Madeleine Pinelli ; des camarades aujourd’hui disparues : Marguerite et Louise Marini, Marianne Bocognano, Rita Mosca ; mais je garde de toutes, inconnues ou connues, le souvenir de leur courage et de leur haute conscience patriotique. »
Comme Louise Marini qui a 26 ans en 1943 mais déjà aguerrie à la lutte antifasciste par son engagement politique au PCF avant guerre au service des réfugiés espagnols et italiens. Elle est membre active du Comité populaire des femmes, coupe les lignes téléphoniques, transporte des tracts, des messages, héberge des Résistants. Elle est arrêtée, torturée par les fascistes dans un local au-dessus du Café des gourmets, à Bastia. Elle ne parle pas. « Si non, toute la Résistance à Bastia aurait été décapitée. » écrit Battì Fusella. « Et pourtant, poursuit Battì Fusella, elle n’a jamais réclamé ni les décorations ni la gloire. C’était son éthique. »

Et après la guerre, quelle reconnaissance ? Droits formels et droits réels. Et les mentalités aussi.

Après l’occasion manquée de l’après Première Guerre mondiale (14-18), la contribution des femmes à la Résistance allait-elle cette fois, au sortir de la guerre 39-45, permettre la parité avec les hommes dans la société française ?  Incontestablement, un palier fût franchi, tant en ce qui concerne les droits sociaux que les droits politiques. Dans le préambule, la Constitution adoptée le 27 octobre 1946 proclame « comme particulièrement nécessaire  à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. »

S’agissant du droit à la parité politique, le droit des femmes de voter et d’être éligibles, le droit le plus emblématique, est enfin acquis. Les femmes peuvent l’exercer dès les élections municipales  de fin avril – début mai 1945. Un an auparavant, l’Assemblée Consultative Provisoire (A.C.P.) réunie à Alger, et présidée par le Général de Gaulle, avait accordé ce droit aux femmes. Mais ce ne fut pas sans discussion. Les radicaux qui y faisaient obstacle avant la guerre, ne pouvant plus maintenant s’y opposer frontalement, ils vont mener un combat d’arrière-garde. L’A.C.P. se réunit le 29 mars 1944. La majorité emmenée par le catholique Robert Prigent et le communiste Fernand Grenier (majorité dont fait partie Arthur Giovoni) est pour le droit de vote des femmes. Les radicaux, parmi lesquels les représentants corses, Henri Maillot et Paul Giacobbi, ont voté contre au prétexte que, la France étant toujours en guerre et que les listes électorales ne pourraient pas être établies correctement. Et surtout que les hommes mobilisés et les prisonniers de guerre ne pouvant pas voter, la parité du corps électoral serait rompue en faveur des femmes dont le vote est supposé sous influence de l’Eglise, donc réactionnaire. Déjà, dans le Conseil National de la Résistance, les radicaux  avaient argué de ce vote sous influence cléricale pour refuser aux femmes le droit de voter et d’être éligible. Il ne figure donc pas au programme du Conseil National de la Résistance parce qu’il faut l’unanimité pour qu’une décision soit prise.

Pour la première fois, les 29 avril et 13 mai 1945, les femmes votent pour élire leurs conseillers municipaux et son éligibles. Mais on ne peut pas dire que les partis, tous sans exception, fassent un effort pour pousser à les faire élire. A Bastia, pour une liste de 34 candidats, une seule femme Louise Lucchesi figure sur la liste d’union qui a  la caution du F.N.. Une seule aussi sur la liste adverse radicale socialiste : Pauline Emmanuelli. C’est mieux à Ajaccio où la liste de rassemblement cautionnée par le  F.N. présente 5 femmes sur une liste de 30. Parmi les femmes élues en Corse : Hélène Campinchi (fille du député Landry, épouse de feu  le ministre César Campinchi), élue à Sari d’Orcino, Marie-Claire Scamaroni (la sœur de Fred), élue à Bonifacio, et sa mère élue à Levie. Deux ans plus tard, elles seront moins nombreuses encore. Au plan national, 3 à 4 % des femmes sont élues dans les Conseils municipaux.  Aux élections cantonales qui suivent, en septembre 1945, pas une seule femme élue en Corse (39 élues seulement au plan national / 4.000 cantons = 1%). Je n’ai relevé  qu’une seule femme qui était candidate : Mme De Casalta dans le canton de Cervione.

Aux élections du 21 octobre 1945, pour élire l’Assemblée constituante, aucune femme n’est présentée en Corse. (33 femmes élues en France pour un total de 586 députés). Au fil des scrutins qui suivent la Libération, les femmes sont de moins en moins nombreuses à briguer des mandats. A partir de 1951,la proportion des femmes ayant des responsabilités politiques baisse. A l’Assemblée nationale par exemple :  de 5,4 % en 1946, elles ne sont plus que 3,6 % en 1956 et presque 1 % en 1968.

Le chemin qui mène à la parité est long et parcouru d’embuches. Et les régressions  possibles. Principale difficulté : créer les conditions matérielles pour qu’un droit consacré par la loi ou la constitution puisse effectivement être exercé. Et ce n’est pas tout. Peut être le plus difficile encore, il faut vaincre des mentalités rétrogrades venues du fonds des âges comme celle exprimée par certains journaux de l’époque (Cités par Jacques Varin dans le « Journal de la Résistance ». 2ème trimestre 2017). Dans le journal « Elle » paru pendant les municipales du 30 avril 1946, on peut lire :

« Si tous les programmes politiques vous paraissent obscurs, si vous confondez MURF et MRP, UDSR et URD, faites confiance à votre mari… » Plus sophistiqué, dans le journal « La Croix » du 29 avril 1945 on peut lire sous la signature de Pierre L’Hermite (alias le prêtre et écrivain Edmond Loutil) : « La femme va voter… mais il reste ceci : c’est que cette femme est un être à part; pas logique […]. Parfois ange, parfois démon. Alors, jetez cet être sensible et passionné dans la fièvre des élections et dans tout le chaos de la situation présente…. qui peut prévoir ce qui va sortir des urnes  ? […] Et, s’inquiète Pierre l’Hermite, l’élément féminin représente 62% du collège électoral
« Je conserve, tout de même, un ferme espoir que de cette arrivée de la femmes sur le terrain électoral il résultera une nation meilleure, à la condition que toutes les chrétiennes votent , et avec discipline. […] …. C’est le saut dans l’inconnu.
Que Dieu protège la France. »

Cesnre de propos prêtent à sourire aujourd’hui mais ils ne faut pas mésestimer leur effet sur l’opinion.  Après la guerre, il faudra attendre les années 70 pour qu’enfin ce que fût la Résistance civile – celle des femmes notamment- occupe sa juste place dans l’histoire et la mémoire. A la Libération, elles pouvaient s’approprier, comme les hommes, ces paroles de « La complainte du partisan ».

« Le vent souffle sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l’ombre. »

Elles sont (trop) longtemps restées dans l’ombre de « L’ Armée de l’ombre ».

Antoine POLETTI

Sources bibliographiques :
Dictionnaire historique de la Résistance. Ed Robert Laffont. 2006. PP 29-38 et 884-888
Olivier Wieviorka. « Histoire de la Résistance. 1940-1945 ». Ed.Perrin. 2013. PP 429-440.
Hélène Chaubin. « Femmes dans la Résistance. Deux exemples régionaux, Corse et Languedoc. Revue Clio. En ligne le 22.07.2017.
Sylvain Gregori. « Résistances et identités ». Etudes Corses N° 75, année 2004. PP 145 et suivantes.

Le rôle de la femme dans la Résistance et l’interrogation du cas corse. Les cartes C.V.R.

Nous devons replacer le statut de la femme dans le contexte de l’époque. En 1943,  la femme était généralement soumise à l’autorité de son mari ou de son père en Corse comme ailleurs. Dans le cadre de la Résistance, leur rôle était considéré comme « secondaire » car, hors exception, rarement en rapport avec des actions de feu. En conséquence, faute d’écrits ou de preuves il était difficile de confirmer le degré de leur engagement. Oeuvrant principalement dans l’ombre, dans le domaine logistique (courrier, ravitaillement…) mais également dans celui du renseignement, c’est bien des années plus tard que l’on prendra conscience de l’importance de leur rôle.
Concernant leur reconnaissance par l’État, on peut supposer que certaines n’ont pas jugé utile à l’époque de demander la carte volontaire de la résistance dès la guerre finie. Peut-être estimaient-elles que leurs actes ne valaient pas une reconnaissance. Toujours dans le contexte de l’époque, peut-être aussi que la femme ne pouvait pas prétendre à quelque reconnaissance que ce soit sans l’accord de l’autorité masculine. Les années sont passées et certaines se sont manifestées comprenant l’enjeu de cette reconnaissance (pension d’invalidité, rente de retraite, aides financières…).
Le listing corse permet d’affirmer que les demandes ont été faites à compter des années 50, elles concordent avec celles des hommes sauf pour certaines qui sont tardives (année 1980) qui marquent sans doute les années d’émancipation de la femme. 54 cartes ont été attribuées après 1978 pour le département de la Corse-du­-Sud. Les mentalités changeantes ont permis certainement ce besoin de reconnaissance : les femmes qui ont eu une vie professionnelle arrivent en âge de retraite, parfois elles connaissent le veuvage aussi… La femme montre qu’elle a servi son pays (donc qu’elle a été utile) et participé à sa libération. D’ailleurs on notera que le nombre de femmes engagées dans la suite des combats est notable.
Pourquoi si peu d’écrits sur les femmes résistantes ? Les témoignages étaient plus rares que ceux des hommes et les éléments primaires étaient quasi-inexistants. Il n’y a pas eu les prises de conscience à la fin de la guerre et la femme devait être plus occupée à faire remonter la natalité d’après guerre (babyboom) qu’à prétendre à des droits auxquels elle ne devait même pas penser pouvoir accéder. La femme de nos jours connaît la parité, le droit de vote, la liberté de choix…après de longues années de liberté à acquérir. Cela leur semblait inimaginable à l’époque.

Les mentalités ont évolué et il faut souligner de la force de nos mères, de nos grands- mères, de nos arrières grands mère pour avoir eu le courage de se soulever contre l’oppression. Chaque acte est utile… l’aide des femmes est précieuse. Parfois les attributions de C.V.R. pour certaines femmes n’ont pas pu avoir lieu faute de papiers ou témoignages attestant de leur engagement. La grande majorité a pu apporter des preuves et se sont vu attribuer la C.V.R.

Nombre* de demandes d’attribution d’une carte de C.V.R en Corse-du-Sud.

Demandes carte C.V.R.
Total
Demandes femmes
(% du total demandé)
Demandes femmes acceptées
2769 249 (9,2 %) 165

Les femmes titulaires de la carte de C.V.R. représentent 6 % du total.

Dates d’attribution des cartes de C.V.R. aux femmes

Avant 1960 entre 1961 et 1977 A partir de 1978
Cartes attribuées 77 26 64

Remarques :
1) 6 attributions ne sont pas datées.
2) 1/3 des demandes ont été faites plus de 30 ans après la fin de la guerre.
3) En 1943, Parmi les titulaires de la carte CVR, la plus âgée avait 60 ans et la plus jeune 15 ans.

Angelica Catellaggi

 

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