En attendant mieux, le présent document se veut être une esquisse historique qui retrace la vie, très éphémère, du 173ème Bataillon autonome de la Corse (173ème BAC). L’unique formation militaire créée dans l’île par la Convention d’armistice du 22 juin 1940. Son aîné, le 173ème RI dont il reçoit officiellement le drapeau1Il y a lieu de noter que le 173ème BAC avait été autorisé à conserver, par dérogation, le drapeau du 173ème RI au lieu et place du fanion réglementaire (carré de 50 cm de coté) pour les bataillons formant corps, l’insigne et les traditions, avait glorieusement tracé sa « longue route » en 1914-18 et plus tard en mai et juin 1940, obtenant cinq citations à l’ordre de l’Armée et la fourragère aux couleurs de la Médaille militaire. Le 173ème BAC, au contraire, a été contraint de subir une existence faite d’épreuves et de sacrifices, dont lui-même et toute l’île se seraient bien passés. Fort heureusement, la haine de la servitude que laissait entrevoir Mussolini2En réaction aux prétentions d’annexion de la Corse par l’Italie fasciste, l’on se souvient du « Serment de Bastia » prononcé le 4 décembre 1938 pour affirmer avec force l’attachement de l’île à la France : « Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français. », celui qui se déclarait « l’Homme de la Providence », et les héroïques traditions héritées du 173ème, le grandirent au moment même où l’occupant italien de la Corse allait le désarmer.
Depuis longtemps, le « besoin d’en connaitre » sur l’histoire de ce bataillon avait été maintes fois évoqué au sein du monde combattant local. Par bonheur, les recherches de M. Paul Stuart, secrétaire général de l’amicale régimentaire du 173ème et du 373ème RI – présidée par le commandant (h) François Antonetti à Borgo en Haute-Corse – ont permis de découvrir un document relatant la vie du bataillon, de sa création jusqu’à sa dissolution. Il s’agit là du précieux témoignage, à la fois narratif et descriptif, du commandant Vincent Cauvin, ayant servi à l’état-major du 173ème BAC de décembre 1940 à décembre 1942.
C’est ainsi qu’à partir de ce texte3Le vieil adage selon lequel « les paroles s’envolent, les écrits restent » prend ici toute sa signification, face aux causeries, conférences et expositions qui s’évanouissent au fil du temps, laissant peu de traces exploitables par les historiens– publié dans le numéro 18 de « L’écho de la roulante », le journal de l’amicale des anciens du 173ème RI, en date du 1er semestre 1963 – complété par des connaissances postérieures aux évènements évoqués, il m’a semblé opportun d’établir l’amorce de l’historique du 173ème Bataillon autonome de la Corse. D’abord au profit de l’amicale régimentaire évoquée plus haut, ensuite pour satisfaire celles et ceux qui attachent un grand intérêt à l’histoire militaire contemporaine de l’île. Ces derniers pourront en prendre connaissance, à travers une publication ultérieure, dans le journal trimestriel « Combattants Corses »4Journal édité depuis 63 ans, par la Fédération régionale des anciens combattants de 1939-45, d’Indochine, d’Algérie et des Opex, dont le siège social est situé à la Maison du Combattant, 1Bd Sampiero, 20 000 Ajaccio dont la vocation est de mettre en lumière la mémoire combattante insulaire. Incontestablement, le récit du commandant Cauvin, repris ci-dessous dans toute son intégralité, s’inscrit parfaitement dans ce cadre. Je l’ai simplement « augmenté »5Terme utilisé par les idéologues militaires ces dernières années : soldat « augmenté », engin blindé « augmenté », dans le cas présent il s’agit du texte original enrichipar des sous-titres, des illustrations, des annotations explicatives portées en bleu foncé. A l’inverse, les annotations relevant du texte initial de l’auteur demeurent mentionnées en noir.
Création du 173ème Bataillon autonome de la Corse
« Le 173ème Bataillon autonome de la Corse a été formé6Les dates exactes de sa création et de sa dissolution n’ont pas encore été trouvées ; le Service Historique de la Défense mentionne seulement : « Créé en août 1940, dissous après novembre 1942, pas d’archives ». Après l’humiliante défaite et la signature de l’armistice du 22 juin 1940, la France n’est autorisée à conserver qu’une armée de « transition » (dite « armée de l’armistice » ou « armée de Vichy ») de 100 000 hommes environ en métropole, et plus de 200 000 en Afrique du Nord et en Afrique noire. Selon les décisions de la Commission d’armistice, les unités stationnées en France métropolitaine n’auront pas le droit de conserver des chars, des armes antichars et antiaériennes. Pour l’artillerie, les canons d’un calibre supérieur à 75 mm seront interdits. Les 24 régiments d’infanterie autorisés en métropole devront se contenter d’armes individuelles, et d’un total de 132 mitrailleuses et 136 mortiers. Chaque régiment sera doté de 5 voitures de liaison, 6 motocyclettes et 140 bicyclettes. Les réserves de munitions seront limitées à 1 000 coups par pièce. Le nombre d’automitrailleuses est fixé à 64. Curieusement, il n’est pas prévu de véhicules pour le Bataillon autonome de la Corse ! Pour le choix des régiments à conserver, l’Etat-major français décide de retenir les numéros des unités qui ont eu un glorieux passé pendant la Grande Guerre : tous les régiments à fourragère rouge, et plusieurs autres à fourragère jaune, seront maintenus. En Corse c’est tout naturellement le 173ème RI, dissous le 30 juillet 1940, qui sera recréé sous la forme d’un bataillon autonome (formant corps) ayant pour appellation « 173ème Bataillon autonome de la Corse ». Actuellement, les archives administratives de cette formation sont introuvables et le journal des marches et opérations a disparu. au moment de la création de l’Armée de l’Armistice du 22 juin1940. L’Armée d’Armistice ne devait comprendre que des militaires de carrière, au nombre de 90 000. Cependant, en attendant que ces militaires de carrière puissent être recrutés, les effectifs furent maintenus à 90 000 en conservant dans les unités un certain nombre de militaires qui appartenaient aux derniers contingents incorporés. C’est pour cela que, pendant la fin de l’année 1940 et une partie de l’année 1941, le 173° BAC comprit un nombre de militaires appelés qui alla en décroissant ».
Composition du bataillon
« Le 173ème BAC fut formé avec tous les militaires se trouvant en Corse après l’armistice et la démobilisation massive qui suivit. Aussi, bien qu’étant une unité d’infanterie, le 173ème BAC comprit des militaires venant d’armes diverses. Les cadres de carrière provenant d’autres armes furent rapidement renvoyés sur des unités appartenant à leur arme d’origine, mais les militaires appelés furent maintenus au 173ème BAC. Ces militaires avaient des origines diverses :
– certains provenaient des unités chargées de la défense de la Corse qui avaient été maintenues dans l’île pendant la campagne 1939-40 ;
– quelques-uns se trouvaient en permission en Corse ;
– d’autres enfin étaient rescapés d’unités ayant plus ou moins combattu sur le continent et se retrouvaient en Corse sans trop savoir pourquoi.
Le PC du bataillon était fixé à Bastia. Initialement, il était prévu que ce bataillon comprendrait quatre compagnies réparties à Bastia, Corte, Ajaccio et Bonifacio, plus une section de commandement et un peloton à Bastia. Mais très rapidement, la Commission d’armistice italienne imposa le regroupement de tout le bataillon à Bastia »
Subordination et encadrement du bataillon
« Dès le début, le 173ème BAC fut commandé par le chef de bataillon Moretti, un ancien du 173ème RI, qui en conserva le commandement jusqu’à son départ à la retraite, fin 1941 ou début 1942. Il fut alors remplacé par le chef de bataillon Guillaud7La prise de commandement eu lieu le 2 janvier 1942.. Au-dessus du chef de bataillon commandant le 173ème BAC, se trouvait le général commandant la Subdivision militaire de la Corse. Les titulaires de ce commandement furent, pendant l’existence du 173ème BAC :
– d’abord le général Delmas, puis le général Deligne
– enfin le général Humbert, qui prit le commandement à peu près au moment du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, au mois de novembre 1942.
Le général Deligne, qui venait juste de passer le commandement au général Humbert, réussit à quitter la Corse en avion, à la barbe des troupes italiennes qui venaient de débarquer, et à rejoindre les armées alliées en Afrique du Nord. Les tableaux d’effectifs du 173ème BAC prévoyaient en encadrement très important en officiers et sous-officiers. Il était notamment prévu 9 capitaines, à savoir :
– 4 commandants de compagnies, 1 commandant de la Section de commandement du bataillon,
– 1 commandant du peloton de mortiers, 1 capitaine adjoint au chef de bataillon
– 2 capitaines à la disposition du chef de bataillon.
En outre, il y avait un médecin capitaine. Le nombre des lieutenants, sous-lieutenants et sous-officiers était proportionné à celui des capitaines. Il est probable que cet encadrement ne fut jamais complètement réalisé. Il y eut aussi, jusqu’à la libération des militaires appelés, une trentaine d’aspirants appartenant au contingent. De plus, les fonctions administratives étaient tenues par des officiers démilitarisés8Anciens officiers d’active rendus à la vie civile par fin de contrat, mise à la retraite ou suite à la loi de dégagement de cadres, et repris comme personnels civils dans des formations militaires., habillés en civil et baptisés « adjoints administratifs », les fonctions de major9C’est-à-dire chef des services administratifs du bataillon. par un chef de bataillon, les fonctions de trésorier et d’officier du matériel par deux lieutenants. Les employés de ces services étaient également des sous-officiers démilitarisés, appelés « agents administratifs ». Par ailleurs, dès que tous les effectifs en militaires de carrière eurent été complétés, même les simples soldats furent entrainés à commander un groupe de combat ».
Armement et implantation du bataillon
« Du moment de sa formation jusqu’au mois de novembre 1942, le 173ème BAC mena la vie de garnison, perfectionnant l’instruction de son personnel, afin de pouvoir éventuellement reprendre le combat et utiliser les quelques armes qu’il détenait, c’est-à-dire, outre l’armement individuel, 6 mortiers pour le bataillon, 4 mitrailleuses et 9 fusils mitrailleurs par compagnie. En plus de cet armement officiel, quelques armes supplémentaires étaient cachées dans divers locaux. Elles échappèrent toujours aux recherches de la Commission d’armistice italienne qui venait assez fréquemment contrôler les effectifs et l’armement du bataillon. L’Etat-major du bataillon, la section de commandement10Dès l’occupation par les Allemands de la zone libre sur le continent, un complot avait été monté par quelques officiers et sous-officiers du 173ème BAC. « Il s’agissait d’embarquer sur un navire à la destination de la France, de s’emparer de la passerelle au cours de la traversée et de forcer le commandant à faire route vers Alger. Des indiscrétions ont fait échouer le plan, et l’action militaire a tourné à la dissolution du bataillon ». C’est en ces termes que l’adjudant Paul Nicolaï du 173ème BAC – qui terminera sa carrière militaire en mars 1963 comme chef de bataillon d’infanterie – relate ce projet qui ne manque pas de grandeur mais qui, hélas, n’aboutira pas, le peloton de mortiers, et la 2ème compagnie étaient stationnés à la caserne Marbeuf, les 1ère, 3ème et 4ème compagnies à la caserne Saint-Joseph11De surcroit, un détachement de sapeurs était dirigé sur Tattone afin d’y aménager un camp alpin, tandis qu’un autre détachement rejoignait la citadelle Miollis à Ajaccio, le peloton de mortiers, et la 2ème compagnie étaient stationnés à la caserne Marbeuf, les 1ère, 3ème et 4ème compagnies à la caserne Saint-Joseph12De surcroit, un détachement de sapeurs était dirigé sur Tattone afin d’y aménager un camp alpin, tandis qu’un autre détachement rejoignait la citadelle Miollis à Ajaccio.
Le bataillon face à l’arrivée des Italiens en Corse
« C’est avec une grande joie que le 173ème BAC apprit le débarquement allié du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord. On espérait bien que ce débarquement ne tarderait pas s’étendre à la Corse. Les ordres qu’avait le bataillon à l’époque étaient de s’opposer à tout débarquement, qu’il fut germano-italien ou allié. Mais tout le bataillon était bien décidé à ne livrer qu’un « baroud d’honneur » en cas de débarquement allié, et à se battre jusqu’à la limite de ses faibles moyens dans le cas d’un débarquement italien ou allemand.
Le 11 novembre 1942, la flotte italienne apparut au large de Bastia et s’approcha de la cote, tandis que des avions italiens commençaient à survoler la ville de Bastia. Par radio, on savait au 173ème BAC, qu’à ce moment, les troupes allemandes et italiennes étaient en train d’occuper toute la France. Les mitrailleuses et les mortiers du bataillon furent mis en batterie, face à la mer, aux abords des deux casernes. Mais qu’auraient pu faire 16 mitrailleuses et 6 mortiers contre les cuirassés italiens armés de canons de 380 ? Il fut décidé d’attendre que les troupes italiennes commencent à débarquer pour tirer sur elles. Il est probable que, si le feu avait été ouvert, la flotte italienne aurait écrasé la ville de Bastia sous ses obus.
Parvenus à une certaine distance de la cote, les navires italiens se mirent à croiser au large, en se tenant hors de portée des tirs d’infanterie. Au bout de deux ou trois heures, l’ordre arriva de Vichy, par radio, de ne pas s’opposer au débarquement des troupes italiennes. Avec beaucoup d’amertume, mitrailleuses et mortiers furent ramenés dans les casernements. Les Italiens débarquèrent dans la soirée et bivouaquèrent sur la place Saint-Nicolas13Qui avait été débaptisée et qui s’appelait « Place Maréchal Pétain » sous le régime de Vichy. et aux abords de la ville. Les premières troupes qui occupèrent Bastia furent des « Bersaglieri ». Quelques jours plus tard, lorsqu’il fut certain qu’aucun combat n’était plus à craindre, ils furent remplacés par des « Chemises noires ». En même temps, on apprenait que d’autres débarquements avaient eu lieu en divers points de la cote corse, notamment à Ajaccio. En fait, on disait que les Italiens avaient débarqué un corps d’armée de 100 000 hommes avec canons, blindés et aviation, alors que les troupes françaises comprenaient en tout le 173ème Bataillon autonome de la Corse, à l’effectif d’environ 500 hommes et le 4ème Escadron de la Garde à l’effectif d’environ 100 hommes14Une décision ministérielle du 31 janvier 1941 transformait les « légions de garde républicaine mobile » en « régiments et escadrons de la Garde »..Pendant que les italiens débarquaient sur les quais de Bastia, les drapeaux du 173ème RI et du 373ème RI quittaient en cachette la Salle d’honneur de la caserne Marbeuf et étaient dissimulés dans la banlieue de Bastia, probablement dans un couvent de moines15Le dimanche 4 mai 1941, sur la place Pétain (ex Place Saint-Nicolas) à Bastia, le 173ème BAC s’était vu confier la garde du glorieux drapeau du 173ème RI. On retiendra de l’allocution du général Delmas, qui avait connu le régiment en mai et juin 1940 dans l’Aisne : « Levez vos yeux vers ce drapeau glorieux qu’on vient de vous présenter, de confier à votre garde, et, devant le Monument élevé aux Morts de la Grande Guerre, faites dans vos cœurs le serment de servir, à l’ombre de ses plis, avec honneur et fidélité, à l’exemple de vos Anciens ». Dès l’arrivée des italiens, l’emblème est emmené par l’agent militaire Chiaramonti qui, cachant les soies et le fer de lance dans une valise, le remet aux Frères jésuites de la Résidence dont le Supérieur est le Père Impérinetti. Ce dernier confie d’abord le drapeau au Père Marion, ancien aumônier du 173ème RI qui le cache dans son sommier, puis, à l’arrivée des italiens le dissimule dans une oubliette du grenier de l’église. Le 25 mars 1944, au cours d’une grande prise d’armes, place St Nicolas à Bastia (qui avait retrouvé son nom traditionnel), le Père Marion remet le drapeau au général Henri Martin qui vient de libérer la Corse. Deux jours plus tard, le 27 mars, le drapeau est confié à la garde du colonel Genlis, commandant la Subdivision militaire de la Corse. Le 30 mars 1944, le chef de bataillon Biancamaria, ancien commandant du 2ème Bataillon du 173ème pendant la campagne de mai et juin 1940, le reverse au Service historique de l’Armée à Vincennes. (Source : amicale des anciens du 173ème RI), d’où ils ressortirent au moment du débarquement français en Corse ».
L’impossible cohabitation du 173ème bataillon avec les troupes italiennes d’occupation
« Il était prévu que les troupes françaises et italiennes devaient vivre, côte à côte, à Bastia. Mais il fut évident, dès le début, que cette situation ne pouvait pas durer et que, tôt ou tard, les Italiens voudraient désarmer les troupes françaises. Aussi, par crainte d’un tel désarmement, les unités qui se trouvaient à la caserne Marbeuf rejoignaient la caserne Saint-Joseph, d’où il aurait été éventuellement plus facile de gagner la montagne. Seuls les services administratifs restèrent à la caserne Marbeuf. Puis, quelques jours plus tard, le général commandant la Subdivision militaire de la Corse et le chef de bataillon commandant le 173ème BAC décidèrent que le bataillon irait s’installer dans la région de Piedicroce. Seule la 1ère compagnie resterait à Bastia, à la garde du général. Donc l’état-major du bataillon, la section de commandement et le peloton de mortiers s’installèrent au village de Piedicroce, les 2ème, 3ème et 4ème compagnies aux villages de Morosaglia, Stazzona et La Porta. Quelques jours encore s’écoulèrent ainsi. Le chef de bataillon Guillaud faisait, chaque jour, la tournée des quatre villages pour visiter ses unités. Il faisait cette tournée à pied ou à cheval car, en ce temps là, même un bataillon formant corps ne disposait pas d’un véhicule automobile ».
Le 173ème bataillon sauve son honneur en ne se laissant pas désarmer
« Puis une nuit, probablement la nuit du 26 au 27 novembre 1942, un coup de téléphone d’une employée anonyme16Je regrette d’autant plus l’anonymat de cette employée que c’est moi-même qui ai reçu sa communication téléphonique. des PTT d’un village de la montagne corse, avertissait l’Etat-major du 173ème BAC que de fortes unités italiennes comprenant des blindés, étaient en marche vers la région de Piedicroce17A Bastia, le 28 novembre au matin, les italiens encerclent les bâtiments militaires de Saint-Joseph et Marbeuf pour s’en emparer. Le caporal Exiga qui s’en aperçoit donne l’alerte. Mais le capitaine Micheletti, commandant la 1ère compagnie, avait déjà exécuté les ordres du général Humbert en faisant détruire tous les matériels : armes lourdes et légères, optique, habillement, couchage et campement. Seuls des pistolets automatiques avaient été cachés en lieu sûr (Source : amicale des anciens du 173ème RI).. Le commandant Guillaud réussissait alors à entrer en communication téléphonique avec le général Humbert, qui était resté à Bastia, puis il donnait des instructions aux unités du bataillon. Ces instructions étaient les suivantes :
– les militaires corses (qui formaient à peu près les 2/3 des effectif du bataillon) pouvaient partir immédiatement, en emportant tout ce qu’ils voulaient : chevaux, mulets, armes, munition, vivres, etc… ;
– le matériel non emporté et utilisable par les civils, notamment les couvertures et les vivres, serait distribué à la population civile ;
– le matériel restant, notamment les armes et le matériel d’optique serait détruit ;
– les militaires qui ne partiraient pas se rassembleraient sur la place du village, à Piedicroce, sous les ordres du chef de bataillon, dans les autres villages, sous les ordres des commandants de compagnies, et attendraient les évènements.
Immédiatement, la plupart des militaires corses et quelques continentaux gagnèrent la montagne, en évitant les routes par où pourraient arriver les Italiens, et rentrèrent dans leurs villages. La population civile, réveillée, prit possession des couvertures, des vivres et de quelques autres objets. Puis les militaires qui n’étaient pas partis passèrent le reste de la nuit à à démolir les armes et le matériel qui restaient. Tous les chevaux et muets avaient été emmenés par les militaires partis ».
Les représailles des Italiens et la dissolution du 173ème
« A l’aube, les Italiens, précédés d’autos-mitrailleuses, arrivèrent sur les places des villages. Ils n’y trouvèrent que quelques militaires français, à coté de tas de débris d’armes et de matériels. A Piedicroce notamment, où 7 autos-mitrailleuses s’avancèrent sur la place, il ne restait que 3 officiers, 3 sous-officiers et 1 homme de troupe. Dans les autres villages, les effectifs restants étaient un peu plus élevés. Devant cet état de choses, la fureur des Italiens fut immense. Les militaires du 173ème BAC furent emmenés au village de Vescovato et, en quelque sorte, internés, sous la garde de deux sections de mitrailleuses, en batterie sur la route aux deux sorties du village. La 1ère compagnie, qui était restée à Bastia, fut également ramenée à Vescovato. Cette compagnie avait gardé un effectif plus fort que les autres, car à Bastia les militaires corses avaient beaucoup plus de difficultés pour partir, la caserne Saint-Joseph ayant été immédiatement encerclée par les Italiens.
Le général Humbert fut consigné chez lui, à Bastia, par les Italiens.. Les Italiens voulaient emmener les militaires du 173ème BAC prisonniers en Italie parce qu’ils avaient détruit leur armement et leur matériel. Cependant, la Commission française d’armistice à Turin, finit par obtenir que ces militaires soient libérés. Le général Humbert put se rendre, un jour, à Vescovato. Ce qui restait du 173ème BAC se rassembla en carré, sans armes, pour lui rendre les honneurs. Le général lui adressa une allocution vibrante, dont le sens se retrouvera, quelques jours plus tard, dans son ordre général n° 2. Dans les premiers jours de décembre 1942, les militaires du 173ème BAC quittaient Vescovato et rentraient à Bastia où ils étaient démobilisés. C’était la fin du 173ème Bataillon autonome de la Corse18Le 4 décembre 1942, le chef de bataillon Guillaud transmet l’ordre du jour du général Humbert, daté du 2 décembre 1942, rendant hommage à l’éphémère 173ème Bataillon autonome de la Corse qui allait être dissous. Une grande partie des Corses démobilisés rejoindra, plus ou moins activement, la clandestinité et les patriotes. Certains revêtiront l’uniforme du 173ème lors du soulèvement pour la libération de l’île où ils avaient joué un rôle déterminant. Entre autres, les adjudants Paul Nicolaï et Pierre Colombani décorés de la croix de guerre avec palme pour leurs actions dans la clandestinité, puis lors des combats libérateurs de septembre et début octobre 1943..
Le général Humbert adressa alors son Ordre général n°2. Cet ordre fut imprimé et distribué à chaque militaire, accompagné d’une transmission du chef de bataillon Guillaud. La distribution ayant été faite largement, la population civile de Bastia et même les Italiens, purent en avoir des exemplaires19Voir en annexe l’Ordre du jour du général Humbert et sa transmission aux hommes du 173ème BAC par le Chef de bataillon Guillaud lors de la dissolution de l’unité.[/mfn]. Les Italiens exigèrent que tous les militaires continentaux, bien que démobilisés, quittent la Corse. La plupart partirent dès que les communications avec le continent furent rétablies19Personnellement, j’aurais voulu rester à Bastia, je laissais donc partir deux bateaux sans m’embarquer. Je fus alors avisé indirectement par les italiens que, si je ne prenais pas le troisième bateau pour la France, ils m’embarqueraient pour l’Italie. Je n’insistai pas, le 3 janvier 1943 je quittais Bastia avec ma famille, à bord de la « Ville d’Ajaccio ». Le 4 au matin je débarquais à Nice. Ce troisième bateau fut le dernier à faire la liaison Corse-continent. Le quatrième, le « Général Bonaparte », fut coulé par les Alliés. Ensuite il n’y eut plus de liaison maritime jusqu’à la Libération.. Pendant quelques temps, tous ceux qui le purent restèrent en contact avec le commandant Guillaud. Mais ce chef admirable devait mourir dans la Résistance. Il fut arrêté et fusillé par les allemands à Lyon, en août 194420Le 4 août 1944 au matin, le commandant Claude Guillaud, chef d’état-major du réseau Gallia – un des principaux réseaux de renseignement du BCRA gaulliste de Londres opérant dans la région Lyonnaise – est arrêté et exécuté sommairement le 20 août 1944 au fort de St Genis-Laval,10 km au sud-ouest de Lyon. Ainsi, disparaissait héroïquement celui à qui la Corse peut être reconnaissante d’avoir sauvé l’honneur du 173° BAC, et celui de l’Armée française, après l’invasion de la Zone libre en novembre 1942.».
Conclusion
Cette esquisse historique, même si elle ne répond pas à toutes les interrogations, vient combler un vide. Un peu technique car elle porte sur la composition du bataillon, elle se veut surtout commémorative puisqu’elle rappelle les actions menées et les sacrifices consentis par les Anciens qui y ont servi entre 1940 et 1942. Tout comme elle contribue, aussi, à cultiver le sentiment patriotique de ceux qui, aujourd’hui, continuent à pérenniser la mémoire du 173ème RI et par voie de conséquence celle du 173ème BAC, son bataillon dérivé.
L’imaginaire collectif insulaire n’a retenu que l’arrivée « pacifique » des forces d’occupation italiennes après le 11 novembre 1942. Occultant le fait que les directives du gouvernement de Vichy ordonnaient aux maigres troupes présentes sur l’île de ne pas s’y opposer. En ce mois de novembre 2022, quatre-vingts ans se sont écoulés depuis ces douloureux évènements. Puisse, ce rappel historique sur le 173ème BAC, éclairer les lecteurs sur une période méconnue de notre histoire, et saluer avec respect la réaction de ce bataillon qui, sous l’autorité de ses chefs, a d’abord sauvé son drapeau, puis a préféré se dissoudre lui-même plutôt que de se faire désarmer par l’occupant venu d’Italie. Signant de ce fait un acte concret de résistance, peut-être unique d’un bataillon français, contre les velléités italiennes en quête de gloire. Nous ne pouvons rester indifférents face à cette page dramatique d’un passé pas si lointain. C’est pourquoi il convient de s’en souvenir, et de retenir que si le 173ème BAC a été défait, sans combattre par suite de directives politiques, il a néanmoins évité l’humiliation et son honneur est resté sauf.
Enfin, il y a lieu de « rendre à César ce qui est à César…. », en concluant par un hommage posthume appuyé, adressé au commandant Vincent Cauvin qui, grâce à son témoignage d’hier repris aujourd’hui, a permis au 173ème Bataillon autonome de la Corse de ne pas sombrer définitivement dans l’oubli.
Fait à Ajaccio le 26 novembre 2022
Amicale des anciens du 173ème et 373ème R.I.
Raoul Pioli
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