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Actualités La nouvelle doxa corsiste-identitaire

16 octobre 2023
Libération de la Corse.BD Vendetta. Choury, Giovoni, Gire. E La Corse libérée. BD Vendetta
La Corse libérée. BD Vendetta. Choury, Giovoni, Gire.

Vendredi 20 septembre, FR3 Via Stella a diffusé un documentaire réalisé par Félicia Massoni : « 1943 : la Corse libre ! ». Travail réussi. Rien qu’on ne sache déjà mais c’était un rappel utile – et bien fait. Toutefois, l’intérêt du documentaire résidait aussi dans le regard porté sur les évènements par les personnes interviewées, historiennes ou non. Comment ce regard a-t-il évolué depuis la Libération ? Que révèle-t-il de l’évolution de la société au fil des décennies ? Et à n’en pas douter, ce 80ème anniversaire est un tournant : pour la première fois depuis la Libération, il n’y a plus de grands acteurs pour commémorer un anniversaire décennal – le dernier, Léo Micheli, est mort en 2022.
Faire l’histoire des commémorations, voilà un sujet d’histoire qui serait riche d’enseignements, la Résistance au miroir de la société. Pour la période présente, dans ce documentaire, on relèvera la prégnance de la doxa corsiste-identitaire qui a marqué ce 80ème anniversaire. Révélateurs sont :

1 / Les propos de Mr Sylvain Gregori sur le sens de l’engagement des résistants : en substance, c’est ce qu’il a écrit sur un panneau du musée de Bastia : « Les références à l’histoire de la Corse supplantent les allusions1Soulignés par nous à l’histoire de la France » ou encore « La petite patrie prend le pas sur la grande ». Autrement dit, la grande et la petite patrie qu’on croyait confondues par les Corses dans la même considération – Corses et Français, dans une relation dialectique donc – étaient, pour Sylvain Grégori, dans une relation hiérarchique. Et l’attachement des résistants à la Corse aurait supplanté celui qui les liait à la France. On croyait jusque-là que les qualificatifs physiques « grande » et « petite », appropriés pour lire une carte de géographie, n’impliquaient aucune hiérarchie d’estime pour l’une et l’autre patrie. Or, selon l’historien, pour les résistants insulaires, si l’histoire de la Corse était une référence celle de la France n’était qu’allusion2Référence [À la Corse]. Eléments que l’on a choisis ou déterminés au préalable comme cadre pour situer et résoudre un problème. Allusion. [À la France]. Faire allusion à qqn ou qqc. Evoquer indirectement quelqu’un ou quelque chose ; faire mention de …. Source CNTRL sur Wikipédia. Donc, à la Corse, un cadre paradigmatique, à la France, une allusion.; Corse d’abord, donc un engagement principalement « corsiste-identitaire », la France en position subalterne.

Le Patriote. octobre 1943
Le Patriote. octobre 1943.
« Nous mourrons en Corse français »

2/ Les propos de Marie-Jeanne Nicoli, petite-fille de Jean Nicoli selon lesquels les dirigeants de la Résistance n’auraient pas voulu sauver son grand-père parce qu’il était « corsiste », un précurseur ouvrant la voie au nationalisme auquel elle semble adhérer aujourd’hui. Ces propos diffamatoires contre la Résistance auraient mérité un commentaire, mieux : un contradicteur. On trouve sur le site web de l’ANACR 2A la biographie de Jean Nicoli quelques témoignages dont celui aussi d’Albert Ferracci)  qui démentent les propos de Mme Nicoli.
Quant au motif de cette non-intervention de la Résistance, il s’inscrit dans l’air du temps. Corsiste Jean Nicoli? Comme l’étaient tous les résistants qui invoquaient Napoléon, Sambucucciu, Sampiero et Paoli. C’est Nicoli en effet qui écrit les paroles du chant A Sampiera3Musique de Tony Ogliastroni : « Siate Corsi è Francesi »; c’est Nicoli qui la veille d’être exécuté adresse une lettre à ses compagnons emprisonnés : « Nous mourrons en Corse français et le procureur du roi [d’Italie] l’entendra de ses oreilles » (Voir l’illustration. Le Patriote). Et ainsi fut fait : il meurt en criant : « Vive la France » selon le témoignage de Sias4L’occupazione italiana della Corsica. Fabrizio Carloni. Et Mursia, 2016. Page 117. Maurice Choury dans Tous bandits d’honneur fait la même citation que Carloni (sans citer la source) mais amputée de « Vive la France »un responsable du SIM (contre-espionnage italien) vraisemblablement présent lors de l’exécution de Nicoli.
Jean Nicoli a écrit de belles lettres avant sa mort qui témoignent de son attachement fort à la Corse et au Parti Communiste mais pourquoi l’amputer de cet attachement à la France qui était consubstantiel à celui de la Corse ? comme il l’était pour tous les résistants. Pourquoi faire de son renoncement (supposé) à la France le prix de son attachement à la Corse.

Autre « scoop » de ce documentaire : Nicoli sacrifié par le Front National afin de concurrencer l’aura de Scamaroni mort héroïquement en mars 1943 ? C’est ce qu’affirme l’historienne Mme Diane Grillere. Elle s’étonne que la Résistance n’ait pas pu le faire évader durant les deux mois de sa détention. Et pourquoi pas aussi Emile Reboli sept mois en Corse avant sa déportation et sa mort en Italie, Guy Verstraete trois mois avant d’être fusillé. Songerait-on à accuser la Résistance de n’avoir pas fait évader Jean Zay, ancien ministre du Front Populaire qui a passé quatre ans en prison avant son assassinat par la Milice. Et tant d’autres abandonnés à leur sort pour d’obscures raisons ? Notre compatriote, le grand philosophe Jacques Muglioni aurait rangé cette historienne parmi « les extralucides, les experts du soupçon, qui ramènent tout aux causes cachées, aux mobiles inavoués, […] les champions satisfaits d’une fausse histoire »5L’école ou le loisir de penser. Jacques Muglioni. Ed. CNDP, 1993. Page 183.

Remarque : si on s’en remet à ces deux explications conjuguées, de Diane Grillere et Marie-Jeanne Nicoli, on peut conclure que les dirigeants du Front National, cyniques, auraient, en sacrifiant Jean Nicoli, fait d’une pierre deux coups : ils en ont fait un martyr du FN et se sont débarrassé d’un dangereux porteur du germe nationaliste corse qui aurait plus tard empoisonné la mémoire de la Résistance insulaire qu’ils voulaient cocardière. L ‘arrestation de Jean Moulin à Caluires et son martyre avait en son temps alimenté les chroniques judicaires et médiatiques … et les polémiques au sein de la Résistance. Espérons qu’on aura vite fait litière de ces accusations. Pour l’heure, dans ce maelstrom médiatique qui a porté cette année la commémoration 80ème anniversaire de la Libération, on a vu le courant de pensée identitaire nationaliste corse imprimer sa marque, à proportion de son influence électorale et dans les médias locaux.

Antoine Poletti

VERBATIM

Marie-Jeanne NICOLI : « Qu’il [Jean Nicoli] soit assassiné le 30 août alors que toute exécution sera arrêtée le 3 septembre, ça pose question. Comment se fait-il qu’on n’ait pas réussi à le faire s’évader ? Il y a eu aussi des études communistes qui disaient qu’il y a eu un compromis avec le colonel Cagnoni mais de quel compromis s’agit-il ? Est-ce qu’au fond, vu sa personnalité atypique de corsiste-communiste, est-ce que finalement il n’était pas plus utile comme martyr que de le voir continuer à exercer sa pensée révolutionnaire à la Libération. »

Diane GRILLERE : « A la différence de Scamaroni, finalement ça a duré une journée [entre son arrestation et son suicide]. […] On aurait pu essayer de le faire évader. Les Italiens l’ont gardé deux mois. L’OVRA était dans le même tempo que la Gestapo. Ça reste quand même assez surprenant. On l’impression qu’il a été sacrifié pour, lui aussi, devenir un martyr de la Résistance corse … mais du côté du Front national. »

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