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Actualités Petru Rocca, antisémite mais pas seulement.

1 avril 2025

Le 19 mars 2023, l’association Palatina avait convié ses adhérents devant la cellule de la citadelle d’Ajaccio où Fred Scamaroni, le chef du réseau gaulliste R2 Corse, s’est suicidé pour ne pas céder à la torture de ses tortionnaires italiens. Deux ans plus tard, oublié Scamaroni, c’est Petru Rocca, l’irrédentiste autonomiste collaborateur qui est à l’honneur. Un complet revirement. L’édition de Corse-Matin, datée du 17 mars, relate la tenue à Bastia d’une conférence de l’association Palatina intitulée « Vers un nationalisme de droite ». Dans l’auditoire du conférencier, Nicolas Battini de Mossa Palatina, son parti, on relevait la présence de Filippo di Carlo du mouvement Forza Nova ainsi que François Filoni et Ariane Quarena du Rassemblement National.

Mossa Palatina. L’aggiornamento

Le retour des anciens.Nicolas Battini, le jeune militant nationaliste, d’abord engagé dans la voie violente, s’est mis plus tard au service de Femu a Corsica et plus particulièrement au côté Jean-Félix Acquaviva, le député siméoniste dont il était devenu l’attaché parlementaire … jusqu’à sa dissidence pour créer son propre parti, Mossa Palatina. Il reproche beaucoup de choses à ses anciens amis mais pour l’essentiel, selon lui, de porter l’empreinte soixante-huitarde qui aurait altéré tout le mouvement nationaliste. Ils sont trop à gauche à son goût1Pour mémoire : fin des années soixante, les deux courants de pensée les plus influents de l’autonomisme en Corse étaient rassemblés dans un « Front Régionaliste Corse ». Mais au tournant des années 60-70, c’est la rupture. Le front ne résista pas à l’épreuve des faits ; en cause, des questions de stratégies – électorales entre autres – et plus fondamentalement une incompatibilité idéologique. Dans un ouvrage qui a fait date, « Main basse sur une île », s’inscrit dans un courant autogestionnaire socialiste. Il conservera l’appellation « Front Régionaliste Corse ». L’autre courant autonomiste dirigé par les frères Siméoni, Edmond et Max, récusent ce choix idéologique qui les inscriraient dans un débat franco-français gauche-droite. Pour eux : pas la droite, pas la gauche, la Corse – nous dirions plutôt pas assez radicalement à droite. Il veut provoquer  Un sursaut corse 2Le sursaut corse. L’Identité plutôt que l’indépendance. Nicolas Battini. Ed. L’Artilleur. Nicolas Battini avec son parti, Mossa Palatina, a continué son aggiornamento pour se rapprocher de l’extrême droite nationaliste française. Lors des dernières élections présidentielles il a soutenu le parti « Reconquête » d’Eric Zemmour.

« L’identité [occidentale] plutôt que l’indépendance [vaine] »

Surprenant ? pas tant que ça. Nicolas Battini prend de la hauteur et élargi sa focale pour faire ce constat lucide : la société corse n’est pas un isolat. La responsabilité de sa dénaturation incombe à sa conversion aux idées du grand chambardement qui a suivi l’année soixante-huit qui perdure aujourd’hui. Avec sa particularité insulaire, le nationalisme corse en charrierait tous les miasmes : égalitarisme, émancipation, tiers-mondisme, déchristianisation, valeurs familiales délaissées ; bref, toutes ces idées de gauche dont souffrirait la société corse. Et pas seulement elle. C’est en fait le monde occidental et ses valeurs qui seraient menacés dans leurs fondements. Dès lors, la sauvegarde de l’identité corse est vaine si elle ne s’inscrit pas dans un mouvement plus large ; stérile, voire vaniteuse si elle ne jette pas des ponts avec ceux, ailleurs qu’en Corse défendent les mêmes valeurs identitaires. Mais quelle identité au juste ? Corse, Française, Européenne ? Pour Nicolas Battini, c’est tout un et il y a urgence ; il faut une école de pensée du nationalisme corse « opposée à l’islamisation de l’Europe et au wokisme ». Au prix du renoncement à l’indépendantisme corse ? Pourquoi pas. Et puisqu’il faut choisir, alors « l’identité [occidentale] plutôt que l’indépendance [vaine]» -c’est le sous-titre du livre.

Une certaine parenté avec le maréchalisme.
Pétain. La révolution nationale
La révolution nationale. Travail, Famille, Patrie, à la place de Liberté, Egalité, Fraternité.

La logique de cet aggiornamento ne pouvait que le rapprocher de l’extrême droite – serait-elle française, pourquoi pas ? Et Mossa Palatina a franchi le pas lors des élections présidentielles de 2022 ; Nicolas Battini était à l’unisson avec Eric Zemmour dans une même rhétorique barrésienne et maurrassienne de l’enracinement qui passe par la reconquête de nos valeurs et pourquoi pas par la réhabilitation d’hommes condamnés par l’histoire. Pour Zemmour, cette « Reconquête » -c’est le nom de son parti- passe par la réhabilitation de Pétain. Ça lui a valu un procès parce qu’il avait soutenu que Pétain avait sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il n’y pas de quoi rebuter Nicolas Battini. On ne peut manquer en effet de relever chez lui une certaine parenté idéologique avec le maréchalisme. Pour Pétain : « Travail, Famille, Patrie » ; « La défense de l’identité, c’est aussi la défense de valeurs traditionnelles de la famille, de la ruralité, d’une certaine vision de la famille [sous l’autorité du pater familias], du lien, aussi, aux réalités biologiques, à la question de la théorie du genre qui se pose ou de l’écriture inclusive« 3Interview réalisée le 19 mars 2023 par FR3 Via Stella. Site web consulté le 1 avril 2025.

Petru Rocca sans l’antisémitisme. Et tout le reste ?
Rumenzula
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Pour Battini, les hommes à réhabiliter sont Santu Casanova et Petru Rocca. Le premier a pris la nationalité italienne et y est mort en 1936. l’autre, Petru Rocca, a eu à répondre devant la justice de son irrédentisme et de sa collaboration avec l’occupant fasciste ; 15 ans de réclusion et d’indignité nationale pour Petru Rocca. N’empêche, Nicolas Battini veut s’inscrire dans la filiation du nationalisme de Petru Rocca qui ouvre dit-il sur « un éventail idéologique plus dense ». De Petru Rocca, Nicolas Battini en revendique l’héritage, à l’exception de l’antisémitisme dit-il. A Muvra de Petru Rocca était d’un antisémitisme forcené4A Muvra confondait dans un même haine les Juifs et la Révolution française qui les avait émancipé. « Les conflits actuels européens provoqués par l’internationale jacobine permettent d’affirmer que les fêtes ajacciennes [l’inauguration de la statue de Napoléon au Casone], ont constitué un prélude à la grande offensive hébraïque ourdie à Moscou et à Londres. » mais pas seulement. La hiérarchisation des races était constitutive aussi  du corpus idéologique du national-socialisme. C’était un journal d’extrême droite avec tout le bagage idéologique approprié : il était raciste5Dans A Muvra n° 664 du 1er juin 1938, on peut lire : « Les Français commencent aussi à ouvrir les yeux et, espérons-le, s’apercevront-ils bientôt que l’équilibre européen et mondial ne peut être qu’un équilibre à base raciste, xénophobe, antirépublicain, anti-laïc6. Dans A Muvra du 10 octobre 1933. N° 502. Un article intitulé « Religion et autonomie » L’auteur de l’article reproche à la France révolutionnaire d’avoir arraché la Corse à la religion chrétienne : persécution religieuse, couvents en ruine. Il regrette le temps où la Corse était génoise. « Laissez la Corse se gouverner elle-même ; respectez la religion de nos anciens, restituez tous les établissements et tous les biens que vous avez volés à l’Église et à la Corse, n’imposez pas par force de fausses idées, et fausses doctrines sorties de cerveaux malades ; en peu de mots, laissez les Corses libres sur leurs terres, et la religion chrétienne retrouvera sa vigueur des temps anciens et tous les clochers sonneront l’Alleluia« .

La Glissade de la Muvra.

Du début des années vingt, quand Petru Rocca faisait cause commune avec l’Ajaccien François Coty7 A Muvra fait l’éloge de François Coty (Joseph Spoturno), le parfumeur originaire d’Ajaccio, homme politique (il fut membre du Faisceau, maire d’Ajaccio, sénateur), propriétaires de journaux de droite et d’extrême droite, antisémite (Il a mené campagne contre le Juif Einstein qui s’était réfugié en France). Il a financé, entre autres, la marche sur Rome, l’Action Française. François Coty a versé mensuellement, pendant un temps, 2000 francs dans la caisse du journal A Muvra (AN, série 12737) ». A Muvra l’avoue dans son N° 99 du 15 avril 1922, jusqu’à l’interdiction de parution du journal en septembre 1939, A Muvra n’a cessé de distiller sa vive aversion pour les idées de la Révolution de 1789 et celle de 1848 instituant le suffrage universel[mfp]Dans A Muvra du 9 décembre 1938. N° 526. « Nous sommes loin de la pompeuse phraséologie de 1848 et de la triade « Liberté, Egalité, Fraternité » ; qui se rappelle encore les belles promesses que nous faisaient les démo-libéraux, les Francs-maçons et les hébreux, en vertu des principes de 1789, au nom d’une révolution et d’un idéal qui ne seront jamais les nôtres».[/mfn]

A la fin des années 30, dans sa glissade, A Muvra se fait propagandiste de Mein Kampf8Dans A Muvra du 20 octobre 1938, N° 675, après les accords de Munich, on peut lire : « Au congrès de Nuremberg, Hitler a renouvelé ses déclarations adressées à la France. Peu de Corses ont lu Mein Kampf dans lequel Hitler expose ses projets. Ces courts extraits, même reproduits dans leur traduction française, du livre de Hitler, suffiront pour faire connaître à nos lecteurs le programme de collaboration européenne du chancelier du Reich allemand ». Inévitablement, A  Muvra en arrive à applaudir quand l’Allemagne a annexé l’Autriche et les Sudètes : « U sangue ha ritruvatu u sangue, u fratellu ha abbracciatu u fratellu » (Le sang a retrouvé le sang, le frère a embrassé le frère, c’était en1938. Moins d’un an plus tard, le 1er septembre 1939, Hitler envahissait la Pologne.  Alors, Petru Rocca carillonnait : « U toccu di a pace, fra poche ore, ha da chiuccà a i campanile di a vecchia Europa ». (Le carillon de la paix, dans quelques heures, va sonner aux clochers de la vieille Europe). La pax germanica. On connait la suite.

A.P.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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