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Pages d'histoire La fusillade de la Brasserie nouvelle

29 novembre 2019

Le témoignage de Pierre Orsoni

(Voir Génération des Amis N°2) Voir aussi les interviews des témoins et acteurs en vidéo

(…) Le 17 juin, rencontre à Ajaccio, le matin à Ajaccio, avec André Giusti et l’après-midi avec Jean Nicoli qui me demande de trouver une carte de la Corse et une voiture pour nous rendre dans le Sartenais le 18 juin. Antoine Guerrini qui sait que je dois revoir jean Nicoli, me donne un message du commandant Pietri qui est au maquis avec son groupe dans le secteur de Chiova d’Asino (Alta Rocca)
A 19 heures, comme convenu, je suis à La Brasserie Nouvelle, à Ajaccio. André Carli est à son poste derrière le comptoir. Peu de temps après, arrive André Giusti et me fait part de ses craintes, eu égard aux multiples arrestations dont nos camarades sont victimes ; entre autres, Pierre Griffi, le radio venu d’Alger, surpris en plein travail à la villa Conter-Mariani à la périphérie d’Ajaccio.
Quelques pas sur le cours Napoléon et nous entrons au Café Guglielmi pour permettre à André d’inscrire sur son carnet message et mot de passe. C’est en quittant le café que Martin Borgomano, le propriétaire, assis à la terrasse, nous prévient discrètement que deux agents de l’OVRA (la police secrète italienne) sont entrés à La Brasserie Nouvelle située à proximité.
Craignant que Jean Nicoli ne nous ait précédé à La Brasserie Nouvelle, nous décidons de le rejoindre pour l’aider à se dégager s’il était en difficulté. Chemin faisant, Pierrot Stefanaggi se joint à nous et effectivement, des agents italiens en civil font les cent pas tandis que Jules Mondoloni converse avec André Carli. Nous échangeons quelques mots en corse et les Italiens font semblant de ne pas s’intéresser à nous. Le passage d’un avion au ras des toits est mis à profit pour quitter La Brasserie Nouvelle. Tandis que nous regardons l’avion qui passe au dessus de nous, les deux sbires nous épient. Conscients du danger qui nous menace, nous essayons de prendre congé d’André Carli, mais un troisième agent secret qui se trouve derrière nous et qui semble être le chef, nous demande de retourner dans la brasserie.
André Giusti m’avait fait part à différentes reprises de sa détermination à ne jamais se laisser arrêter par les Italiens et cependant il nous fait signe de la tête d’accéder à l’invitation. Il est vrai que nous sommes en possession de fausses cartes d’identité et sans doute pense-t-il que nous pourrons les abuser et reprendre notre liberté d’action.

 

Alignés devant le comptoir, nous présentons nos cartes au contrôle exigé par un impératif : « Documenti ». Mais ni convaincus, ni satisfaits par leur vérification, les Italiens nous font assoir à gauche de la porte d’entrée, en face du comptoir qui se trouve à droite de l’entrée. Étant tous armés, notre décision est prise…André nous a invités à nous tenir prêts.

Les minutes passent. La tension monte et cependant nous restons calmes. On entend le bruit d’un camion qui s’arrête. Peu après, cinq agents de l’OVRA se dirigent vers nous en disant : « Nous allons vous fouiller ». Ils n’ont pas le temps de terminer leur phrase que nous sommes debout, tirant sur eux. Jules Mondoloni, revolver au poing, sort précipitamment en même temps que les Italiens qui reculent jusqu’à la rue, mais dehors, d’autres ennemis sont postés et le blessent mortellement. Deux jours après, Jules Mondoloni meurt à l’hôpital sans avoir livré aucun détail de l’organisation.
De l’extérieur, les agents de l’OVRA continuent à tirer dans notre direction mais sans nous atteindre car ils ne nous voient pas. Par la suite, on relèvera sur les murs des dizaines d’impacts de balles. Pensant peut-être que nous étions décidés à nous rendre en considérant que notre situation était désespérée, les Italiens rentrent de nouveau dans le café et la fusillade reprend.
Tandis qu’André Carli fait feu du comptoir derrière lequel il s’abrite, André Giusti veut profiter de la reculade des agents de l’OVRA pour s’enfuir. Mais criblé de balles il tombe sur la chaussée et meurt sur le coup. Néné Franchi, propriétaire de La Brasserie Nouvelle et Pierrot Stefanaggi parviennent à s’échapper sans trop de mal. C’est alors qu’André Carli court vers le balcon qui surplombe une cour intérieure 1C’est Rosette Faggianelli de la famille, propriétaire du bar, qui indique une issue par l’arrière de l’établissement. Il saute et enjambe ensuite un petit mur qui sépare la cour de la rue des Charrons, située entre le cours Napoléon et la rue Fesch. Instinctivement je le suis et c’est ainsi que nous parvenons à nous échapper (…). Plusieurs dizaines d’Ajacciens furent arrêtés et emprisonnés à la caserne Battesti. Le lendemain, Ajaccio fut décrété en état de siège pour huit jours (…).

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