Il aura fallu attendre quelques sept décennies pour exhumer et identifier les restes de Giorgetti Jean-Baptiste, ce jeune Résistant corse, enrôlé par le B.C.R.A., parachuté en France et fusillé au nord de Toulouse par les Allemands en juillet 1944.

Jean-Baptiste André GIORGETTI  naît le 20 février 1918 à Venaco en Haute-Corse. Son père, qui est gendarme, l’inscrit dès l’âge de 13 ans aux « Enfants de troupe ». C’est ainsi qu’il est admis en 1931 à l’Ecole militaire préparatoire de Saint Hyppolite du Fort (Gard), puis à celle de Tulle (Corrèze) en 1934 et enfin à celle d’Autun (Saône et Loire) en 1935. Durant sa scolarité en milieu militaire, l’adolescent acquiert une solide formation physique morale et intellectuelle, alliée à un sens de l’honneur qui est toujours une valeur clef dans les armées. Le 20 février 1936, à la date anniversaire de ses18 ans, il s’engage pour une durée de cinq ans au titre de l’infanterie et choisit les chasseurs alpins. Il est alors affecté au 75° Bataillon Alpin de Forteresse (BAF) à Sospel (au nord des Alpes-Maritimes). Très rapidement il sera nommé caporal le 20 juillet 1936, caporal-chef le 1er juillet 1937 et sergent le 10 octobre 1938.

Le 1er septembre 1939, la France décrète la mobilisation générale et, le 3 septembre, déclare la guerre à l’Allemagne. Le 53° Bataillon de chasseurs alpins (BCA), où sert le sergent GIORGETTI, est alors envoyé en Alsace. Sept mois plus tard, en avril 1940, l’Allemagne occupe la Norvège avec pour objectif la prise du port de Narvik, opérationnel l’hiver pour permettre l’exportation du minerai de fer dont les Allemands ont besoin. En représailles, l’Angleterre et la France mettent sur pied un corps expéditionnaire. Le 53° BCA en fait partie. Jean-Baptiste GIORGETTI embarque à Brest le 12 avril 1940 puis, du 19 au 30 avril participe aux combats pour la prise du port de Namsos en Norvège. Les chasseurs alpins débarquent dans le port, déserté par  les habitants depuis que les bombardements ont réduit la ville en un amas de cendres. Ils s’installent dans les bois environnants jusqu’au 1er mai, date à laquelle le bataillon reçoit l’ordre de se replier en Ecosse avant de rejoindre la France.

Le 29 mai 1940, le sergent GIORGETTI arrive au Havre et son unité est immédiatement engagée contre les allemands, dans la Somme et le pays de Caux. Entre le 5 et le 12 juin, les chasseurs du 53° Bataillon se battent avec acharnement. Ils ne peuvent rien contre l’ennemi appuyé par une forte aviation et des blindés très mobiles. Le bataillon se sacrifie en bord de mer, à Veules-les-Roses (Seine Maritime), pour permettre au reste de la demi-brigade de poursuivre son repli. Les chasseurs résistent jusqu’à épuisement des munitions et, encerclés, les derniers survivants sont faits prisonniersJean-Baptiste GIORGETTI est capturé le 19 juin et  interné au camp de Choisel près de Châteaubriant dans la Loire Atlantique.

Il est ensuite transféré en Allemagne, au stalag n° 5V B N 829 près de Villingen, dans le Bade-Wurtemberg. La captivité ne convient pas du tout à l’énergique sous-officier âgé de 23 ans. Le 16 août 1941, il s’évade, traverse une partie de l’Allemagne, entre en Suisse, puis rejoint la France pour se présenter au dépôt des chasseurs alpins d’Annecy (74) afin de continuer son service. Affecté au 24° Bataillon de chasseurs alpins, il va alors servir  dans l’armée d’armistice à Villefranche-sur-Mer (06).

Le 1er mars 1943, il demande à être démobilisé et déclare se retirer dans son village natal de Venaco en Corse, où il s’implique activement dans la résistance insulaire, aux cotés d’Henri MAILLOT, au sein du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France en 1942-43 dirigé par Artur GIOVONNI[1].  Le 9 septembre de la même année, la Corse se soulève contre l’occupant italien et allemand. Jean-Baptiste GIORGETTI reprend du service et, le 15 septembre 1943, se rend à Alger pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Son désir de l’action immédiate le conduit à se porter «volontaire pour effectuer une mission en France occupée». Sélectionné le 27 septembre par le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), les services secrets du général de GAULLE, il est envoyé en stage de formation d’instructeur de sabotage et de parachutiste à Londres, du 30 novembre 1943 au 29 mars 1944.

Dans la nuit du 10 avril 1944, il est parachuté -avec le grade de sous-lieutenant[2], sous le nom d’emprunt de Jean MAIGRET – dans le sud-ouest du Cantal pour rejoindre la résistance toulousaine au sein du « groupe franc VIRA ». Sous les pseudonymes de Jean CAILLOT puis de Jean CHARRETTE, il organise et participe à diverses actions clandestines dont la destruction de la poudrerie de Toulouse. Dans la soirée du 1er juin, à la suite d’une trahison, GIORGETTI et  ses camarades sont surpris par la Gestapo et ses auxiliaires, lors d’une réunion clandestine au « bar de la Poste» à Toulouse. Avant d’être maîtrisé, GIORGETTI se défend avec détermination, est gravement blessé et hospitalisé à l’hôpital Purpan de Toulouse. Incarcéré ensuite à la prison Saint-Michel, il est sauvagement torturé avant d’être fusillé par les allemands.

Administrativement, il est d’abord «porté disparu» sans autre précision. Plus tard, en 1950 seulement, c’est officiellement qu’il sera déclaré «Mort pour la France le 15 juillet 1944». Cependant, c’était sans compter sur l’inlassable travail d’identification du « Groupe de recherches des fusillés du bois de la Reulle, Gragnague-Castelmaurou » (Haute-Garonne, près de Toulouse) présidé par M. Georges MURATET.  En 2017, ce dernier, après une laborieuse exploitation des archives de la Résistance locale et nationale, réussit à retrouver les conditions, la date et le lieu exacts de l’exécution de l’intéressé : Jean-Baptiste GIORGETTI a été fusillé le 27 juin 1944, dans le bois de Reulle près de Castelmaurou (environ 20 km au nord-est de Toulouse), par des éléments de la sinistre division SS Das Reich, stationnée autour de Toulouse et requise par la Gestapo.

27 juillet 1944, le jour où Giorgetti et ses camarades ont été fusillés

Georges Muratet, président du Groupe de recherches des fusillés du bois de la Reulle à Castelmauroa a fait le récit  de  cette journée du 27 juin 1944 quand Giorgetti et ses camarades ont été fusillés
"Ce mardi-là, les soldats SS ont réquisitionné le bar-tabac route d'Albi à Castelmaurou. Vers 10 heures du matin, un fourgon passe dans le bourg et se dirige vers le bois de la Reulle. Il est suivi d'une traction noire. Un paysan qui travaille dans son champ aperçoit alors des civils descendre du fourgon, entourés de soldats en armes. Les deux véhicules repartent en direction de Toulouse. Plus tard dans la matinée, un fourgon cellulaire est aperçu devant le café de Castelmaurou avec des civils à l'intérieur. Les témoins ont vu ensuite ce camion prendre la direction du bois de la Reulle. Le paysan, toujours dans son champ, aperçoit de nouveau une dizaine de civils descendre du camion allemand. Quelques minutes plus tard, il entend une fusillade puis une vingtaine de coups de feu isolés. Quinze hommes viennent d'être fusillés..."

Par ailleurs, le même groupe de recherches constate que l’audacieux résistant avait un fils. Ce dernier apprend, seulement à l’âge de 72 ans, le parcours héroïque d’un père, «Mort pour la France» alors que lui-même n’était pas encore né. En effet, pendant son séjour à Londres, Jean-Baptiste GIORGETTI  fait la connaissance de Maryse de ANDREÏS (1922-1954), jeune femme engagée volontaire dans les Forces Françaises Libres du général de GAULLE. De cette liaison, avec probablement échange de promesses, va naître en janvier 1945 à Marseille, un enfant prénommé Jean Marie. Sa jeune mère, malade et affaiblie, tiendra expressément -selon ses dernières volontés, peu avant son décès à l’âge de 32 ans en 1954- à ce qu’il soit élevé par ses grands parents paternels en Corse. C’est ainsi que le jeune adolescent âgé de 9 ans, devient un enfant du village de Venaco dès 1954. Beaucoup plus tard, en septembre 2017, toujours dans le cadre des recherches évoquées plus haut, c’est avec une très grande émotion que Jean Marie GIORGETTI, qui avait déjà et officiellement pris le nom de son père en 1995, découvre, juridiquement  par le biais des tests ADN, sa véritable filiation naturelle.

Le parcours exemplaire de Jean-Baptiste André GIORGETTI, révélé au grand jour 73 ans après sa disparition, est celui d’un héroïque combattant qui, forçant l’admiration, doit rester une référence et un modèle pour la jeunesse. Après une vie bien courte, mais particulièrement intense sous l’uniforme, au service  exclusif des armes de la France, cet officier du grade de sous-lieutenant, ancien enfant de troupe, à la fois combattant lors des campagnes de Norvège et de France en 1940, prisonnier de guerre évadé, résistant en Corse, reprend du service en septembre 1943 à Alger puis à Londres avant d’être parachuté en France occupée. Trahi lâchement, capturé par la  Gestapo, il est torturé et exécuté sans avoir parlé, comme l’atteste la citation posthume à l’ordre du corps d’armée, qui lui a été attribuée en 1946. Animé par des convictions inébranlables, par un amour de l’action et du risque alliés à un patriotisme intransigeant, il tombe pour son pays à l’âge de 26 ans, en pur héros de la Résistance française.

   Raoul PIOLI, le 14 octobre 2017.

 

[1] Le gaulliste Henri MAILLOT (par ailleurs cousin du général de GAULLE) et le communiste Arthur GIOVONNI seront tous les deux faits Compagnons de la Libération par décret en date du 16 août 1944.

[2] Les agents secrets du BCRA ont une hiérarchie qui n’a rien à voir avec celle de l’armée régulière. Jean Baptiste GIORGETTI était un agent P2, chargé de mission de 3° classe, c’est-à-dire officier assimilé au grade de sous-lieutenant.