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Pages d'histoire Sociologie de la Résistance

29 novembre 2019

Entretien avec Bernard Vincensini réalisé par Marcel Santoni

La Résistance phénomène de masse ou élitiste ?

La Résistance en Corse fut-elle élitiste ou fut-elle de masse ? Quelle est la spécificité du peuple de l’ombre ? Ce qui induit d’autres questions : qui a été résistant ? Les réponses mettent en jeu les conceptions diverses que les résistants eux-mêmes avaient de leur action et le rôle qu’ils leur assignaient dans le combat.
Les uns tendent à réserver à une élite les mérites de la résistance. A cette démarche élitiste, d’autres opposent la notion de Résistance, phénomène de masse. En fait, pour comprendre la Résistance, une conception satisfaisante doit prendre en compte la double dimension du temps et de l’espace.
La Résistance a été d’abord l’action menée volontairement par une avant-garde militante mais elle n’a pu tenir, se consolider, s’élargir que parce qu’elle n’était pas en rupture avec le milieu populaire dans lequel elle inscrivait son combat. Sans ceux qui ont aidé et protégé les militants, appuyé leur action, subi parfois les plus sanglantes représailles, sans une nébuleuse de sympathisants formant une sorte de couronne complice et protectrice, la Résistance n’aurait jamais été ce qu’elle fut, jamais réalisé ce qu’elle a fait. Ce réseau confus de complicité plus ou moins solidaire rend plus malaisé toute tentative de dénombrer les Résistants (11.000 patriotes du Front National à la veille de la Libération), démarche d’autant plus aléatoire que la mythologie politique interfère. La seule indication chiffrée globale dont nous disposons est celle donnée par les offices départementaux des anciens combattants.

La diversité des Résistants

Le fait est établi. Il y a en Corse un peuple de l’ombre, un peuple résistant. Ce peuple résistant a-t-il une spécificité sociologique tant par l’âge, le sexe et le milieu socioprofessionnel ? Là encore, faute d’études d’ensemble nous en sommes réduits à des approximations.

  • Selon l’âge
    On peut porter sa jeunesse au crédit de la Résistance en Corse. Combien sont-ils les moins de 30 ans ? Près de la ½ sans doute si on s’en rapporte aux différents témoignages écrits ou oraux. Organisés dans le Front Patriotique des Jeunes, qui revendique plus de 2000 adhérents, ou directement dans le Front National. La jeunesse corse a joué un rôle déterminant dans le combat de la Libération.
  • Selon le sexe
    Si on s’en tient aux données partielles fournies par les cartes C.V.R., les femmes sont réduites à la portion congrue. Mais la réalité est tout autre. On ne soulignera jamais assez la part qui revient « Marie de Corse aux cent visages », à ces femmes, ces compagnes, ces mères qui non seulement assurent l’intendance, mais qui ont été plus souvent qu’on ne le croit de véritables militantes. Au printemps 1943, elles sont si nombreuses en Corse qu’il faut songer à leur donner une organisation propre : ainsi on prit naissance les comités populaires de femmes.
  • Selon les classes sociales
    La Résistance en Corse est-elle inter-classiste ? Si en ce qui concerne la France continentale les réponses sont claires (Je pense à la phrase de De Gaulle : « La France a été trahie par ses élites dirigeantes et par ses privilégiés » ou à celle de Mauriac : « Seule dans sa masse, la classe ouvrière a été fidèle à la France profanée »), la réponse, en ce qui concerne la Corse doit être nuancée ; d’une part en raison de la composition sociale de l’île et d’autre part en raison de ce fait majeur qu’on ne cessera de répéter : la crainte d’être séparée de la grande patrie poussera finalement la grande majorité des Corses dans la voie du soutien plus ou moins complice à la Résistance. Toutes les couches sociales sont relativement bien représentées dans la Résistance insulaire.
  • Selon les forces politiques organisées
    Il n’en est pas de même en ce qui concerne les forces politiques organisées d’où émergent, à la veille de la guerre, deux clans principaux : celui du conservateur François Pietri et celui du radical Adolphe Landry. L’attentisme de Landry et les aventures collaborationnistes de Pietri vont faire éclater leurs clans respectifs. Nombre de leurs membres dont le sénateur Paul Giacobbi, rejoignent la Résistance. La plupart des autres organisations politiques se liquéfient dans une débandade pitoyable. Ceux de leurs militants qui s’engageront dans la Résistance -Front national ou réseaux- le font à titre individuel. Seule en tant que formation politique, la « Région corse du P.C.F. » affirme son existence par la diffusion clandestine de ses journaux : « Terre corse » et l’ « Avant-garde », puis en consacrant toutes ses forces à la création et au développement du Front National.

Ange-Marie FILIPPI-CODACCIONI

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