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Pages d'histoire Résistance au Niolu

29 novembre 2019

Un exemple local de Résistance

L’esprit de Résistance, une tradition.

Tout au long de son histoire, la région du Niolu a été une terre de tradition libertaire. 1503 et 1774 sont des dates qui ont marqué la mémoire collective du canton. La première a vu la destruction de la pieve (maisons brûlées, habitants chassés et déportés) par les troupes génoises de Nicolò Doria afin de punir les Niolins de leur ralliement aux seigneurs de la Cinarca, en guerre contre la Sérénissime. La seconde se réfère au tragique épisode des pendus du couvent St François de Calacuccia, et ce, à la suite de la révolte des insurgés locaux contre les autorités royales françaises, au lendemain de la défaite de Ponte Novu(1769).

Le dernier conflit mondial n’a point dérogé à la règle, puisque, dans la foulée de l’occupation italienne de novembre 1942, un réseau de résistance se mit en place. Cependant, dès avant cette date, certaines velléités résistantes – peu nombreuses – virent le jour avec l’écoute de Radio Londres. Pourtant, c’est au chef-lieu de canton – Calacuccia – que se produit, en octobre 1941, l’événement qui, en soi, constitue un appel implicite à la résistance locale. En effet, le conseil municipal de la commune, élu en 1935, est dissout par les autorités de Vichy et remplacé par une délégation spéciale de 3 membres. Quarante ans après l’événement, le fils du premier adjoint de l’époque me confia : « Le conseil municipal a été dissout pour gaullisme ». En fait, seule commune « radicale » (centre-gauche) du canton (les quatre autres étaient d’obédience gaviniste – droite classique, voire centre-droit), Calacuccia faisait les frais du remplacement des conseils municipaux de gauche par des institutions au service de Vichy.

A partir du 11 novembre 1942, la Résistance organisée et active.

Le 11 novembre 1942, malgré l’interdiction des autorités vichystes locales, en présence des gendarmes, une délégation de 10 personnes se rend au monument aux morts de 14-18 pour y déposer une gerbe. Le geste de cette délégation (conduite par Lenziani Raymond, sous-officier de la marine nationale) peut-être considéré comme le premier acte de résistance à Vichy, au su et au vu de tous.

Fin 1942, Lenziani Raymond est contacté par son oncle par alliance, Grisoni Antoine-Baptiste (membre du réseau Combat de Corte) afin de procéder à l’organisation d’un réseau structuré de résistance, et ce, suite à l’invasion de l’île par les Italiens. En acceptant, Lenziani devient le responsable organisation du Front national pour le canton du Niolu, occupé par environ 200 soldats et quelques chemises noires italiens. De février à septembre 1943, il aura pour mission de coordonner l’action des résistants locaux, secondé, à partir d’avril 1943, par le capitaine Joseph Alfonsi (mission Pearl Harbour de Paulin Colonna d’Istria), responsable militaire. Trois terrains de parachutages seront établis, entre avril et septembre 1943 (Condor, Aigle, Perroquet). Ces terrains serviront à la récupération d’armes et de vivres (2 mortiers et 75 mitraillettes parachutés sur Perroquet).

Au Niolu et ailleurs

L’action clandestine, concernant les deux responsables, ne sera pas circonscrite au seul canton (liaison avec les terrains de parachutages), car Alfonsi aussi bien que Lenziani se verront confier des missions extra-muros, notamment une – Lenziani – ayant permis de sauver le sous-marin Casabianca. Au lendemain de l’insurrection du 9 septembre 1943, il échoit à Lenziani Raymond, en tant que délégué cantonal, d’installer les différentes délégations spéciales, en remplacement des municipalités niolines fidèles à Vichy. Le 12 septembre 1943, Alfonsi et Lenziani, devant se rendre à Bastia pour une mission de relai avec les responsables du Front national, sont arrêtés à Casatorra par les Allemands, fouillés et mis au poteau d’exécution, séance tenante. Au moment du commandement de feu, profitant d’une échauffourée entre soldats allemands et italiens, ils s’enfuient et rejoignent Bastia afin de terminer leur mission. Au lendemain de cet événement, Lenziani, en tant que commandant d’unité (conjointement à Jean Luciani) participe aux combats de Ponte Novu/Barchetta, et ce, à la tête de 88 hommes (au total, responsables compris, 202 hommes prirent position à Ponte Novu/Barchetta).

Résistance et Collaboration

On ne saurait évoquer la Résistance sans son contrepoint, à savoir la Collaboration. Quelle fut-elle au Niolu ? Les témoignages oraux recueillis par nos soins, de même que les archives du responsable cantonal de l’organisation sont explicites sur ce point : le phénomène de sympathie, voire d’accointance avec l’occupant et/ou le régime de Vichy fut une réalité, au même titre que la délation, ce fameux « cancer des âmes » dont parlait Henri Amouroux dans sa monumentale Histoire des Français sous l’Occupation.

Dans la mémoire de certains témoins de l’époque, l’évocation de « l’axe Rome-Berlin » à propos de deux communes du canton (Casamaccioli et Lozzi), en dit long sur les velléités collaborationnistes existantes. Le chef-lieu – Calacuccia – ne fut pas en reste, comme en témoignent les dénonciations et arrestations dont furent victimes l’ex-secrétaire de mairie, Geronimi Étienne, Joseph, Mathieu (dénoncé par son propre cousin germain, en février 1943) et Lenziani Raymond (au printemps 1943), lequel, lors de sa première arrestation (il y en eut deux), lança, à l’adresse de l’officier italien : « quarante hommes pour un seul, vous êtes courageux Messieurs ! ». De même, on ne saurait passer sous silence la dénonciation (par un officier corse, originaire de Lozzi et favorable à Vichy) qui entraîna l’encerclement du terrain de parachutage Aigle (sur le massif de Penna Rossa, au-dessus du village de Corscia) et son déménagement précipité pour un autre endroit, à savoir le massif de Pasciu , en face de Calacuccia, à 1600 mètres d’altitude (à cette occasion, le message reçu par le responsable cantonal fut celui-ci : « l’oiseau parlant remplace l’oiseau de proie »Perroquet se substituant à Aigle).

Combien étaient les soldats de l’ombre ?

Quantitativement, quel fut le véritable contingent des « soldats de l’ombre » au Niolu ? Difficile de l’affirmer, sachant qu’à la Libération, comme ce fut le cas dans l’Île et sur le continent, la mathématique et l’Histoire ne firent pas bon ménage. Cependant, sur la base des documents d’époque que nous avons en notre possession, on peut raisonnablement dresser un état des lieux. En 1943, dans l’arrondissement de Corte (dont dépendait le Niolu), on comptabilisait 4454 fiches de patriotes, civils et militaires. Rapporté à la population de 1939 (quoique surévaluée), ce chiffre équivaudrait à une moyenne de 278 résistants par canton et 41 par commune. Cependant, la moyenne – mathématique – ne peut-être la réalité – de terrain. Au Niolu, d’après les données rassemblées par Lenziani Raymond après la libération de la Corse, les participants à des actions sur le terrain (récupération et transport d’armes) étaient les suivants :
– 14 hommes sur le terrain de parachutage Aigle (tous originaires de Corscia) ;
– 4 hommes sur le terrain de parachutage Perroquet (tous originaires de Calacuccia) ;
– 2 hommes pour le transport d’armes (2 mortiers et 75 mitraillettes).
En incluant, les deux responsables cantonaux et les responsables locaux (10), le total est de 32 individus véritablement impliqués dans l’action clandestine. Rapporté à la population cantonale de l’époque (5157 habitants au recensement de 1936), cela correspond à 0,62 % de l’ensemble… On pourrait, au regard de la livraison d’armes (75 mitraillettes) augmenter ce nombre et évoquer une  moyenne plausible de 53 résistants (1,02 % de la population cantonale et 1,18 % de l’arrondissement). Face à la garnison italienne (entre 180 et 200 hommes), le rapport était de 1 à 3 en faveur de l’occupant, ce qui illustre, a fortiori, le caractère difficile et périlleux de l’action clandestine (à l’échelle de la Corse d’ailleurs, puisque, ne l’oublions pas, la densité d’occupation – 95000 soldats pour 202000 habitants – équivalait à la présence de 13 000 000 de soldats allemands pour tout le pays). Quant aux 202 hommes présents (exception faite des responsables cantonaux et locaux) lors des combats de septembre 1943 à Ponte Novu/Barchetta, ils sont le produit de la « levée en masse » d’un contingent cantonal, formé d’individus -jeunes pour la plupart -, « happés » en quelque sorte par la conjoncture insurrectionnelle.

L’après-guerre. Enjeux politiques et enjeux de mémoire, un chantier historique à ouvrir.

Au lendemain de la libération de la Corse, le Niolu, une fois les institutions républicaines provisoirement rétablies, va retrouver son jeu politique traditionnel, c’est-à-dire celui de la restructuration clanique et du repositionnement des familles, le tout sur fond de conjoncture insulaire et nationale (poussée des forces de gauche et recul de la droite).  L’étude des années d’après libération de la Corse et d’après Seconde Guerre mondiale (octobre 1943-printemps-automne 1945) constitue une excellente focale pour comprendre et mesurer l’impact de la Résistance, à la fois dans les consciences – collectives et individuelles – et les stratégies des acteurs politiques et sociaux.

Il y a là tout un chantier historique à ouvrir et des rappels fréquents à la mémoire, car, aujourd’hui le paradoxe est grand à considérer le fossé qui sépare ceux qui, aux heures les plus sombres étaient loin de l’action, tout en proclamant aujourd’hui, haut et fort, un patriotisme par procuration, de ceux qui, au cœur de l’action et au péril de leur vie, n’avaient qu’un principe : agir et se taire…

Hubert LENZIANI. Octobre 2013

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