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1942-1943. Occupation, Résistance, LibérationDossiers Un exemple de la jeunesse Résistante. Celle du Niolu

2 décembre 2019

Lors du premier colloque Histoire et Mémoire de la Résistance corse, organisé par l’ANACR, en octobre 2013, l’historien Hubert Lenziani’avait évoqué l’organisation et l’action du mouvement de résistance niolin, et ce, dans un cadre global, durant la période 1940-1943. Dans la présente communication il s’attache à présenter un aspect peu connu et difficile à cerner – du moins pour le cadre géographique qui nous occupe – de l’action résistante : celui de l’implication de la jeunesse locale.

Notre argumentaire s’articulera autour d’un questionnement en quatre points :
– Quelle jeunesse ?
– Quelle action ?
– Quelles revendications au lendemain de la Libération de la Corse et du pays ?
– Quels opportunismes mémoriels ?

I.  QUELLE JEUNESSE ?

On peut considérer que la jeunesse impliquée, à divers titres, dans l’action résistante, correspond à une tranche d’âge qui s’inscrit dans la première moitié des années vingt.
Sur la base des sources en notre possession (écrites et orales), notamment celles émanant du responsable organisation de la résistance cantonale, c’est le continuum 1919-1925-26 qui doit être privilégié, notamment au moment de l’insurrection de septembre 1943.

II. QUELLE ACTION  ?

Là est tout le problème.
Sans introduire un quelconque critère discriminatoire, il convient néanmoins de hiérarchiser l’implication des uns et des autres, adultes et jeunes, au niveau de la véritable organisation et action du réseau de résistance niolin.
Un point est parfaitement établi : les deux têtes de réseau, sur le plan du canton (responsables militaire et politique) sont des hommes d’âge mûr : plus de 35 ans (39 ans et 37 ans).
Au niveau inférieur, celui des responsables par village (le canton compte cinq communes), la moyenne d’âge est à peu près la même, voire supérieure (plus de 40 ans).
C’est donc une génération comprise entre la trentaine et la fin de la quarantaine qui constitue le contingent des acteurs véritablement impliqués dans la logistique de l’action de terrain, notamment celle liée à la récupération des armes sur les deux terrains de parachutage locaux (« Aigle » et « Perroquet »), ainsi qu’à leur transport.
Quant à l’action proprement dite, celle de la surveillance et de la récupération, elle concerne une partie de la jeunesse, notamment à Corscia, où, sur les 14 individus présents sur le terrain de parachutage « Aigle », d’avril à juillet 1943, certains ont entre 18 et 24 ans.
Le second terrain de parachutage, « Perroquet », qui remplace celui de Penna Rossa (« Aigle »), déménagé d’urgence à la suite d’une dénonciation, est sous le contrôle d’individus (6 au total) d’âge mûr, ayant pour certains dépassés la quarantaine.
Les témoignages oraux recueillis font état d’actions ponctuelles, impliquant certains jeunes, appartenant aux groupes résistants des villages, en particulier, celle d’un originaire d’Albertacce, qui, sans en référer au responsable de la commune, envisageait d’attaquer des soldats italiens basés dans le hameau de Sidossi. Il en fut dissuadé, car son action risquait d’entraîner des représailles au sein de la population locale.
Ce sont surtout les événements de septembre 1943, au lendemain de l’insurrection du 9, qui vont mobiliser une partie de la jeunesse du Niolu.
Répondant à une espèce de « levée en masse », à l’initiative des responsables cantonaux et locaux, suivant les directives du Front National, ces jeunes vont nourrir le contingent des 188 hommes ayant pris part aux combats de Ponte Novu, à la mi-septembre 1943.
Lors de ces combats, ils seront sous la responsabilité des deux commandants d’unité (Lenziani Raymond et Luciani Jean), des chefs de sections et de groupes, la plupart, hommes d’âge mûr.
Au lendemain de la libération de la Corse, une partie de cette jeunesse nioline rejoindra le contingent des 22 classes mobilisées pour la poursuite de la guerre aux côtés des Alliés (campagne d’Italie, débarquements de l’île d’Elbe et de Provence, campagne de France et d’Allemagne).

III. QUELLES REVENDICATIONS AU LENDEMAIN DE LA LIBERATION DE LA CORSE ET DU PAYS

Elles se manifestent principalement au plan politique, à travers les différentes consultations électorales, notamment les municipales et les cantonales.
L’irruption du mouvement « socialo-communiste » en est l’illustration conjoncturelle.
Ce mouvement, constitué principalement d’anciens « radicaux » et de gavinistes , se veut une force nouvelle de changement, dont la moyenne d’âge oscille entre 30 et 35 ans contre 40 et 45 ans pour les deux partiti traditionnels (gavinistes/radicaux).
Tout comme la section du Parti communiste, nouvellement créée, comprenant 21 membres encartés, en 1944, les deux structures vont servir de supports revendicatifs à une jeunesse voulant s’émanciper, pour une partie d’entre elle, du carcan clanique, et ce, à l’image d’autres communes de l’île.
Les résultats électoraux de l’immédiat après-guerre, jusqu’en novembre 1946, au plan cantonal, témoignent incontestablement de cette volonté de créer un espace politique nouveau, se démarquant des clans.
Les scores réalisés par les candidats socialo-communistes (PC/SFIO) sont significatifs à ce propos : par rapport à 1936, au plan des législatives, les deux formations réunies passent de 3,36 %  à 13,84 % (juin 1946).
Cependant, même si cette jeunesse, issue de la Résistance, participe des aspirations des « jeunes loups » de la politique locale, rien ne débouche sur la création d’un mouvement autonome, comme celui des Jeunesses communistes à l’échelle de l’île ou du pays.
L’absence d’une structure comme celle des Jeunesses patriotiques d’avant-guerre peut expliquer ce phénomène.
D’ailleurs, les consultations électorales d’après 1946 (municipales, cantonales, législatives) vont montrer le caractère éphémère et opportuniste du mouvement « socialo-communiste », épiphénomène transitoire dont le clan va se servir pour mieux se restructurer. En l’espace de dix ans, au plan des législatives – 1946-1956 -, le recul est édifiant : – 10 points (13,84 % à 3,28%), dont 5 points de moins pour les seuls communistes.

IV. QUELS OPPORTUNISME MÉMORIELS ?

Au mois de septembre 1993, lors de l’inauguration d’une pancarte à la mémoire des résistants du Niolu, le responsable organisation du réseau de résistance cantonal fut approché par un membre du conseil municipal de la commune de Calacuccia, associée à cette manifestation.
La requête qu’il formula auprès du responsable, consistait à l’octroi d’un certificat de résistance.
Quoique intervenant cinquante ans après les faits, la demande reçut l’écoute courtoise dudit responsable, lequel demanda au conseiller municipal, l’âge qui était le sien au moment des faits.
Celui-ci répondit : « Douze ans ».
Cette réponse suscita l’étonnement du responsable, lequel répondit : « Vu votre âge, je n’ai pas souvenance de vous avoir vu participer à une quelconque action résistante à mes côtés. Il ne faut quand même pas exagérer… ».
L’année d’après, en 1994, ce conseiller municipal fut un de ceux qui refusèrent de voter la somme allouée par la commune pour l’érection de la stèle qui symbolise, sur le terrain de parachutage Perroquet (plateau de Pasciu – 1630 m d’altitude), l’action des résistants du Niolu.
L’épisode est révélateur de l’opportunisme mémoriel dont la Résistance est porteuse.
Certains, comme d’autres, en Corse et sur le continent, essaient, sans vergogne, d’accaparer titres et mérites, que les authentiques résistants ne cherchaient point, tant le désir du devoir accompli, pour la libération de la Corse et du pays, était leur honneur désintéressé.

V. LE DEBAT RESTE OUVERT….

La précarité des sources, écrites et orales, empêche à l’évidence une étude fouillée et précise de l’action de la jeunesse dans le mouvement de résistance niolin.
Cependant, en analysant les quelques documents en notre possession, il ressort qu’une partie de cette jeunesse a épaulé les combattants d’âge mûr, acteurs principaux du combat clandestin.
Comme nous l’avons souligné dans notre argumentaire, ce sont les lendemains de la Libération – insulaire et nationale – qui vont cristalliser les aspirations des jeunes générations, avides de changement, à la fois politique et social.
Cette dimension socio-politique, dont la Résistance a constitué le principal vecteur, s’est traduite, au plan de l’espace qui nous occupe, par l’irruption du mouvement « socialo-communiste », force nouvelle rompant avec la bipolarisation clanique.
Cet effet conjoncturel, concrétisé par la poussée des forces de gauche (PC/SFIO), en 1945-1946, tant au plan local qu’insulaire, voire national (le PC est le premier parti de France en novembre 1946), n’en demeure pas moins illusoire, comme l’attestent les chiffres produits précédemment.
Aussi, deux questions se posent-elles :
– Pourquoi les aspirations de cette jeunesse résistante n’ont-elles pu aboutir, et ce, malgré un souffle conjoncturel prometteur ?
– Pourquoi et comment la structure clanique, bien que fortement ébranlée au lendemain de la Libération, a-telle trouvé les forces nécessaires pour récupérer ces « jeunes loups » du moment, acteurs de sa remise en cause ?
Réfléchir à cette double interrogation, c’est poser les jalons d’un nouveau débat, lequel, d’ailleurs, pourrait illustrer la thématique d’un prochain colloque.

Hubert Lenziani

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