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Archives : éditoriaux Histoire de la Résistance : démythifier sans mystifier

2 février 2009
La concurrence mémorielle? Après-guerre et jusqu’à la fin des années soixante, gaullistes et communistes se sont évertués à bâtir et entretenir le mythe d’une France, toute résistante à l’exception d’une poignée de collaborateurs ; une France qui se serait dressée dès 1940 contre l’occupant et le régime de Vichy ; l’un et l’autre de ces deux grands courants de pensée exaltant sa propre résistance au détriment de celle du concurrent. Parce qu’il y eût bien concurrence pour le leadership durant l’occupation entre la France Libre du Général De Gaulle et les résistances intérieures, notamment la résistance communiste. Et la concurrence -celle de la mémoire- continua après-guerre : loin de s’apaiser avec le temps, cette concurrence fut ravivée par la Guerre froide et les guerres de décolonisation.

 

…en Corse aussi

La Résistance corse, ce qu’elle fût et la mémoire de ce qu’elle fût, porte la marque de cette confrontation, qui parfois tourna à l’affrontement ; il y eut même des cérémonies commémorées à Ajaccio sous les bombes lacrymogènes. C’est dire ! Et le récit de la Résistance ne pouvait être indemne de cette concurrence mémorielle. Il n’est pas étonnant que Maurice Choury quand il écrit « Tous bandits d’honneur » dans les années cinquante exalte la résistance communiste et ses martyrs pour l’opposer à ceux qui veulent faire de Fred Scamaroni, gaulliste mort héroïquement sous la torture, l’organisateur de la Résistance en Corse. Alors que le Front national de la Résistance, créé par le Parti communiste est resté, après le démantèlement du réseau R2, la principale structure d’accueil des Corses qui voulaient lutter contre l’occupant, ralliant même les anciens du réseau R2, à commencer par Paul Giaccobi. Et Paulin Colonna d’Istria missionné par le Général Giraud ne s’y est pas trompé : c’était le Front national, efficace et bien organisé dans toute l’île qu’il fallait armer pour préparer les combats libérateurs.

Le Front national, est-ce à dire les communistes ?

Comme son nom l’indique un front est une union constituée entre des partis s’accordant sur un programme commun. Certes les communistes y ont la majorité dans la direction : au printemps 1943, il est dirigé par trois communistes, M. Choury, A. Giovoni et F. Vittori et deux non communistes, P. Colonna d’Istria, envoyé par Giraud et Henri Maillot, parent du Général De Gaulle. Mais qu’en savent les milliers de Corses adhérents du Front national qui se battent contre l’occupant. Peu leur importe les stratégies et les arrière-pensées politiques des dirigeants ; pour eux comme pour l’immense majorité des Corses : une seule chose compte : se libérer du joug fasciste et fonder une France nouvelle dans un monde en paix. L’ardent patriotisme qui les animaient –ceux du Front national et les autres- s’exprimera avec enthousiasme lors de la venue du Général De Gaulle en octobre 1943 infligeant un cinglant démenti aux collaborateurs qui prêtaient au Front national le projet d’installer des soviets.

« Tout nous divisait sauf l’essentiel »

« Tout nous divisait, sauf l’essentiel » disait Jacques Chaban-Delmas, le gaulliste, quand on a voulu l’opposer à Rol-Tanguy, le communiste. C’est le mérite des divers courants de pensée de la Résistance-et le mérite de Jean Moulin- que d’avoir su faire son unité derrière le Général De Gaulle, sur l’essentiel. Arthur Giovoni, lui, aimait à répéter : « La Résistance corse n’appartient à aucun parti, elle a été l’œuvre du peuple lui-même ». Et disait-il, « Les Corses peuvent être fiers de cette page d’histoire ».
Une page de gloire dont on ne saurait cacher cependant les contradictions, les antagonismes parfois, entre ceux qui l’ont écrite. Et plutôt que dire comme l’historien Sylvain Gregori dans une interview récente accordée au mensuel Corsica (1): « Elle (l’histoire) est faite pour retranscrire une réalité passée, avec toutes ses ambiguïtés, ses non-dits, ses tabous et, éventuellement, ses pages de gloire », nous préférons inverser les priorités et dire que « l’histoire est faite pour retranscrire une réalité passée avec ses pages de gloire –la Résistance corse en est une- et éventuellement toutes ses ambigüités, ses non-dits et ses tabous ». C’est le moyen le plus sur de ne pas se fourvoyer et perdre de vue l’essentiel.

On écrit l’histoire avec sa culture

Et si Sylvain Gregori a bien raison de dire que la recherche de la vérité en histoire n’a que faire du politiquement correct, qu’elle « n’est pas faite pour faire de l’idéologie », peut-il être sûr de n’écrire l’histoire de la Résistance qu’avec ses seules connaissances ? Sans son idéologie, sans sa culture ? « Savoir que observait, notre compatriote, le philosophe Jacques Muglioni, peut bien fournir l’objet d’un savoir possible, mais ce n’est pas en soi un savoir. Tout savoir exige que l’objet soit pensé. En ce sens, savoir que c’est ne rien savoir. On n’écrit pas l’histoire avec des documents, mais avec sa culture ».
Que Sylvain Gregori, après Hélène Chaubin (2) récuse le discours évènementiel et hagiographique, c’est salutaire ; si la Résistance fut une page de gloire avec ses héros et martyrs, elle n’en reste pas moins une histoire d’hommes ordinaires, « pas des surhommes » disait Arthur Giovoni. Mais attention — et l’interview donnée à Corsica inspire quelques craintes –, que cette démythification de la Résistance qui serait contenue dans la thèse de Sylvain Gregori n’en vienne à oublier l’essentiel et qu’on puisse lui faire le reproche qu’adressait Germaine Tillon à certains historiens : « Il y aura toujours ceux qui ne s’intéressent qu’au petit bout de vérité qui peut déclencher le scandale ; il n’auront qu’indifférence ou condescendance pour la vérité massive, trop banale, usée par trop de familiarité d’usage ».

  1. « Corsica » janvier 2009
  2. « Corse des années de guerre 1939-1945 » (Ed. Tirésias 2005)
    et le CDRom « La Résistance en Corse » (Ed. A.E.R.I. 2007)

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