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Archives : éditoriaux RCH 2015. Les camps, la Corse

20 avril 2015
Même si la journée avait commencé par des projections, l’acte inaugural ce fut la réception donnée pour nos invités le premier soir. Jacqueline Wroblewski les a accueillis à l’Espace Diamant, à Ajaccio. Après les remerciements d’usage à tous ceux qui ont aidé à la réussite des RCH, elle concluait par une proclamation de foi dans les valeurs portées par la Résistance « pour lesquelles des hommes et des femmes ont risqué leur vie, et nous continuons le combat pour les valeurs essentielles d’humanité et de démocratie. »

 

Quatre jours plus tard, le rideau est tombé sur les 14èmes Rencontres Cinéma Histoire. Au total, ce sont 1500 personnes qui ont assisté aux séances et débats, dont une moitié de scolaires. Et des débats il y en a eu! tant après les films documentaires qu’après les films de fiction. Il faut dire qu’avec des spécialistes tel Ophir Lévy ou des réalisateurs de films tels Jackie Poggioli, Marie-Pierre Valli ou Christophe Muel, on avait de quoi satisfaire la curiosité du public.

De la Shoah, Ophir Lévy sait aussi bien en parler aux adultes et adolescents qu’aux enfants mais c’est surtout à l’adresse des enfants que l’exercice est difficile. Ophir Levy y excelle. Après la projection du film « Un sac de billes », il n’y a pas eu de débats avec les élèves  – ils viennent s’instruire – mais quand des dizaines de mains se lèvent encore alors que l’heure de rejoindre l’école est arrivée, vous êtes sûrs de les avoir intéressés – ça commence par là – et le message est sans doute passé. Un message légitimé par le documentaire consacré à Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz-De Gaulle dont sa fille, Isabelle, faisait le commentaire. Un message illustré par l’exposition d’Isaline Choury sur les camps nazis.

Le débat était pour les adultes. Les deux films, « Elle s’appelait SARAH » et « IDA » nous ont fait pénétrer dans le cercle familial des protagonistes qui après guerre ne sortiront pas indemnes du retour sur le passé, celui de la Shoah en particulier. Ici, entre Paris et New-York, dans une famille bourgeoise, un couple qui se lézarde au fur et à mesure des révélations sur un bien, l’appartement, (mal) acquis par la spoliation de voisins juifs ; là, dans la Pologne de l’après-guerre où les persécutions antisémites continuent, deux rescapées de la Shoah, la tante et la nièce, trouvent une issue à leur mal-être : se soustraire à la vie. Pour la tante, dans la mort, par l’accomplissement d’un suicide déjà préparé par la débauche. Pour la nièce qui sera nonne, par le renoncement à l’ici-bas; la vie recluse dans un couvent, le refuge dans la religion chrétienne, celle de ses protecteurs après la mort de ses parents ; la transcendance offerte par Dieu pour tourner la page juive de la famille ou peut-être pour mieux l’intégrer dans un absolu, l’au-delà, commun aux deux religions.

Avec Christophe Muel on a revisité « L’épopée du Casabianca » et sa contribution à la libération de la Corse. Le Casabianca, un sous-marin de légende. Son commandant, L’Herminier figure au Panthéon de la Résistance insulaire mais qui savait qu’une fois sauvé du sabordage de Toulon, l’équipage avait imposé à son commandant de rejoindre Alger et les Alliés plutôt que de se réfugier dans la neutralité en Espagne franquiste ? Peu de monde assurément. Il y a matière à débattre sur ce sujet mais pour que l’équipage ait continué à nourrir une aussi grande estime, voire de la vénération, à son commandant pendant et après cette épopée*, il faut admettre que « le pacha » était un homme loyal, un grand marin et un meneur d’hommes exceptionnel.

Le documentaire « Destins Croisés », celui de Jean Nicoli et Fred Scamaroni, réalisé par Jackie Poggioli, nous a révélé nombre de documents d’archives qui nous éclairent un peu mieux sur le passé de Scamaroni ; travail méritoire. Du documentaire on pourrait conclure avec Jacques Chaban Delmas que « Tout [les] divisait, sauf l’essentiel ». Tout opposait Nicoli et Scamaroni, n’était-ce la finalité de leur combat respectifs qui avait fait croiser et converger leurs destins.
Mais là où il y a matière à débats -et on en a débattu- c’est à propos de l’exécution de Jean Nicoli. Les Résistants ont-ils été bernés par le colonel Cagnoni qui avait promis qu’au moment de l’exécution de Nicoli, lui le ferait évader? Pourquoi les Résistants qui négociaient avec Cagnoni ont-ils pris le risque d’attendre ce moment extrême pour s’assurer que Nicoli aurait la vie sauve, alors que pour l’autre cas, celui de Benielli, Cagnoni avait déjà fait le nécessaire pour le sortir des griffes de ses compatriotes. Pourquoi les Résistants ont-ils accepté ce scenario : pour l’un, Benielli, c’est la vie sauve assurée et pour l’autre, Nicoli, c’est un hypothétique sauvetage de dernière minute ? Et pourquoi avoir fait ce choix de l’un par rapport à l’autre** ? D’autres témoignages de Résistants, autres que ceux recueillis par Jackie Poggioli plaident pour avoir trop naïvement cru dans la parole de Cagnoni et s’être laissés bercer d’illusion à la veille d’une capitulation de l’Italie qu’on savait imminente.
Par delà ce qui s’est joué en ces dernières heures qui précèdent la mort de Jean Nicoli, il reste que depuis son arrestation, vaines ont été les tentatives de le faire évader : capture d’un officier italien de haut rang pour l’échanger contre le chef militaire de la Résistance corse, évasion lors du transfert de Nicoli en train d’Ajaccio à Bastia.(Témoignage de Jérôme Santarelli)

Avec Marie-Pierre Valli, le croisement n’est pas celui de destins singuliers mais celui de l’histoire avec la mémoire. Elle assume la subjectivité de son regard parce que « La mémoire, c’est le présent du passé » comme l’a dit Saint Augustin. Sur le mode subjectif, selon sa mémoire et son présent, elle fait le récit de son 70ème anniversaire de la Libération; avec quelques témoignages, parfois sans, elle parcourt l’espace insulaire, visite des lieux, pour remonter le temps. Et même si les images de femmes tondues déloge la Résistance de la sacralisation dans laquelle l’avait installé pendant trop longtemps l’historiographie gaullo-communiste, il n’en demeure pas moins que cette page d’histoire de la Corse lui fait honneur. Marie-Pierre Valli en sait gré aux Résistants ; surtout aux martyrs sur la tombe desquels elle semble dire, comme le poète, s’adressant à ceux passent: « Il dépend de toi que ce lieu soit tombe ou trésor ».

Se souvenir donc, par gratitude, mais prévenir aussi car « Dans le contexte politique et social actuel, fait remarquer le secrétaire de l’ANACR 2A Mario Papi***, (…), il faut s’engager pour faire barrage à l’arrogant pouvoir de la finance ; pour faire barrage à la renaissance de la xénophobie, du racisme et de l’antisémitisme ; pour faire barrage aux intégrismes, au fanatisme, à la violence et à la barbarie. Il faut résister pour que les valeurs humanistes de Liberté, d’ Egalité, de Fraternité et de Laïcité ne cèdent plus un pouce de terrain à ces phénomènes de régression. » Tant avec les scolaires qu’avec les adultes, les RCH, à n’en pas douter, ont atteint leur objectif.

A.P.

* Robert Cardo, nous avait dit qu’après guerre, chaque année, pour l’anniversaire de la mort de L’Herminier, les anciens marins, dont il était, se donnaient rendez-vous sur sa tombe et celle du « second », Bellet, en région parisienne.
** Dominique Lucchini, interviewé dans le film avait affirmé, dans une interview donnée à La Corse votre Hebdo (N° 50 du 23.06.2000),  : « Il [Nicoli] faisait de l’ombre. Jean Nicoli en vie, certains n’auraient pas eu la place qu’ils ont eue ».
*** Allocution prononcée à l’apéritif servi à la CCAS de Marinca-Porticcio.

LIEN : ONACVG

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