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Archives : éditoriaux Oradour-sur-Glane, « un passé qui ne passe pas ». (1)

5 janvier 2013
« Ces innombrables morts, ces massacrés, ces torturés, ces piétinés sont notre affaire à nous. Qui en parlerait si nous n’en parlions pas ? Qui même y penserait ? Dans l’universelle amnistie morale depuis longtemps accordée aux assassins, les déportés, les fusillés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer, et ils seraient morts définitivement(2).» Robert Hébras, rescapé de la tuerie d’Oradour-sur-Glane, qui nous avait fait l’honneur et le plaisir de sa venue à Ajaccio lors des 11èmes rencontres cinéma histoire, a faite sienne cette prescription du philosophe Wladimir Jankelevitch : les victimes de la barbarie nazie sont «… notre affaire à nous ».

 

Rober Hébras honoré et condamné…

Robert Hébras plus que nous autres parce qu’il a vécu le massacre d’Oradour-sur- Glane dans ses chairs : 642 morts de son village dont 247 enfants, et parmi ces victimes, deux sœurs et sa mère. Lui, en 1944, est âgé de 19 ans. Il est blessé et fait partie des rares rescapés. Il en a souvent fait le récit ; sur Radio Alta Frequenza récemment Il a donc quelque légitimité à dénoncer le crime ; quelque légitimité aussi à œuvrer à la réconciliation des peuples qui étaient en guerre. Après l’Autriche qui lui avait décerné le prix pour la Mémoire le 17 mars 2008, c’est l’Allemagne qui le 21 septembre dernier l’a décoré de l’Ordre du Mérite de la République fédérale.
Cela aurait dû être ce fait méritoire qui fasse l’actualité avec Robert Hébras. Hélas, non ! Le 14 septembre, une semaine auparavant, un surprenant arrêt de la cour d’appel de Colmar a condamné Robert Hébras à l’euro symbolique de dommages et intérêts, plus 10 000 € au profit des plaignants, à savoir les associations de défense des « enrôlés de force » dont quelques uns d’entre eux étaient présents le jour du massacre à Oradour : précisément, 14 Alsaciens sur les 21 militaires de la 2ème Panzerdivision SS Das Reich qui ont été jugés en 1953. Dans ses attendus, la cour de Colmar reproche à Robert Hébras de n’avoir pas « distingué les Allemands des Alsaciens portant le même uniforme » et « avoir douté de l’incorporation de force érigée en vérité historique et judiciaire bien établie. » (3)
Mais de quoi se plaignent au juste les plaignants ? Que dans un livre réédité en 2008-2009 (3ème édition) Robert Hébras fasse état de la présence, le jour du massacre à Oradour-sur Glane, « de soi-disant enrôlés de force. » Précisons : en 1992, Robert Hébras publie son témoignage dans un livre, « Oradour-sur-Glane, le massacre heure par heure », où il écrit que parmi les hommes de mains il y avait quelques Alsaciens « soi-disant enrôlés de force ». Les associations alsaciennes à l’époque s’en insurgent. Aussi, dans une édition suivante, en 2001, Robert Hébras consent à faire une correction et supprime le terme « soi-disant ». En 2008-2009, l’éditeur procède à une troisième réédition et reprend par erreur le texte de la première édition, donc avec encore « soi-disant engagés de force », et ce à l’insu de Robert Hébras. Mais la cour de Colmar n’en a cure et condamne Robert Hébras.

« Un homme ça s’empêche. »

« Quel peut être l’état d’esprit de ceux qui ont réussi à faire condamner un rescapé d’Oradour ? » s’interroge le comité de soutien à Robert Hébras créé pour la circonstance. « Ainsi va cette histoire et ses lancinants rebondissements, poursuit le comité de soutien. Le procès de Bordeaux de 1953 condamna les 14 militaires alsaciens présents à Oradour-sur-Glane. L’assemblée nationale, les amnistia quelques jours plus tard par un vote, le 19 février » (4). Une amnistie votée à la hâte qui excluait toutefois (ouf !) celui qui était engagé volontaire.
C’est un fait avéré, indiscutable : des Alsaciens et Lorrains ont été enrôlés de force, contre leur volonté, malgré eux, parce que leur refus signifiait pour eux et leur famille la déportation et /ou la mort. Beaucoup d’Alsaciens et Lorrains ont donné suffisamment de preuves de leur patriotisme, ont suffisamment sacrifié pour qu’on ne puisse les accuser collectivement d’avoir adhéré au nazisme. C’est bien malgré eux, après le décret du 3ème Reich en date du 23 août 1942 qui fait d’eux des Allemands, qu’une grande majorité a été enrôlée sous l’uniforme de la Wehrmacht (5). Dont acte ! et rendons leur justice de cela. Avant le 23 août 1942, seuls 2 100 Alsaciens –mais 2 100 quand même- avaient répondu favorablement aux sollicitations d’Hitler pour aller combattre le bolchevisme.
Oui, on peut avoir été enrôlé malgré soi dans la Wehrmacht. Pour autant, on ne peut pas invoquer qu’on soit devenu, sous cet uniforme, un assassin malgré soi. Un assassin de la 2ème Panzerdivision SS Das Reich est un assassin, enrôlé de force ou pas, qu’importe ! La responsabilité du crime incombe à chacun ; chaque individu avec sa conscience. « Un homme ça ne fait pas ça […]. Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… » (6). Christopher R. Browning fait la démonstration de la limite à ne pas transgresser dans un livre (7) qui relate les crimes commis par « le bataillon 101 ». Ce bataillon était constitué d’hommes ordinaires recrutés parmi la police  qui suivaient l’armée allemande dans son offensive vers l’est afin d’assurer ses arrières en « débarrassant »  la population civile de ses juifs et Résistants. Des témoignages de 125 de ces policiers, recueillis après guerre, il ressort que ceux qui répugnaient à commettre ces assassinats collectifs par balles – un homme sur sept environ- n’étaient pas punis. Cristopher R. Browning fait remarquer, pour corroborer ce constat, que « le chercheur allemand Herbert Saeger et les procureurs allemands des années soixante établirent qu’on ne connaissait pas un seul cas d’Allemand ayant refusé de tuer des civils désarmés qui en ait subi lourdement les conséquences » (page 278). Combien de fois a-t-on entendu les accusés de crimes de guerre, tous quasiment (8), dire qu’ils étaient tenus d’obéir à une autorité supérieure. Même le sinistre Eichmann lors de son procès a osé. Il n’a pas convaincu.
En attendant la suite, retenons de l’actualité la Médaille de l’Ordre du mérite de la République fédérale que lui a remis le consul d’Allemagne ce 21 septembre, soulignant que « cette distinction était rarement remise à une personnalité étrangère » et le Consul de saluer « le travail accompli pour que nos peuples soient animés par l’amitié, tout en connaissant l’histoire ». Un hommage comme un contre-pied à la décision de la Cour de Colmar.
Antoine POLETTI, pour l’ANACR 2A.

Le comité de soutien à Robert Hébras « Justice pour Robert Hébras ».

Siège social : 3, impasse des Genêts. 87170 ISLE. Adhésion moyennant une cotisation annuelle de 10 €.

  1. En référence au titre du livre « Vichy, un passé qui ne passe pas » (Eric Conan et Henri Rousso. Ed. Folio histoire)
  2. Vladimir Jankélévitch. « L’imprescriptible. Pardonner dans l’honneur et la dignité. » (Ed. du Seuil. Point Essai. P. 59)
  3. Internet. Le monde. 11.10.2012
  4. La loi d’amnistie est adoptée par 319 voix pour, 211 contre, dont tous les députés communistes et les ¾ des députés socialistes (+83 abstentions).
  5. Avant qu’ils ne soient obligés de s’engager, le 25 août 1942, seuls 2 100 alsaciens avaient répondu favorablement aux sollicitations allemandes pou partir sur le front de l’Est « combattre le bolchevisme ». Jusqu’en novembre 1942, 12 000 jeunes gens avaient fuit l’Alsace malgré le risque de représailles contre les familles et le risque d’être repris.
  6. Albert Camus. « Le premier homme ». Ed France-loisirs, Gallimard. 1994. p.66). C’est la réponse que fait le père d’A. Camus à un soldat de son unité qui veut venger avec la même atrocité un compagnon d’armes massacré et émasculé par leurs ennemis.
  7. Christopher R. Browning. « Des hommes ordinaires, le 101ème bataillon de la police allemande et la solution finale en Pologne ». Ed. Taillandier. Collection Texto. 2007. Le 101ème bataillon, 500 hommes, responsables de la mort directe ou indirecte de 83 000 personnes.
  8. « Les entretiens de Nuremberg ». Léon Goldensohn. Flammarion. 2004

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