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Archives : éditoriaux Furiani, La Marseillaise à contre-coeur

11 décembre 2015
Le crépitement des fusillades meurtrières de ce 13 novembre 2015 à Paris a résonné dans le monde entier. Et en écho nous est revenu La Marseillaise, retrouvant pour la circonstance son statut d’hymne à la liberté, surgi de la Révolution, en 1792. Au lendemain de Valmy, il a supplanté le Te Deum et le Domine, salvum fac regem (1). Mais les contempteurs de la Révolution le contestèrent aussitôt :

 

Les Muscadins et la « Jeunesse dorée » qui voulaient y substituer « Le réveil du peuple » ; l’Empire qui lui préféra « Veillons au salut de l’Empire » ; et d’autres encore au 19ème siècle ; proscrite parfois mais La Marseillaise toujours ressuscitée lors des fièvres révolutionnaires de 1830 et 1848. … Jusqu’au régime de Vichy qui avait adopté « Maréchal nous voilà« , tolérant éventuellement une Marseillaise amputée de ses strophes jugées trop révolutionnaires. La Marseillaise fut même contestée par les organisations ouvrières qui lui préférèrent « L’Internationale« , surtout après la guerre 14-18. Il faudra attendre la menace fasciste, au milieu des « années trente » et le Front populaire, en réaction, pour qu’elles réconcilient les deux hymnes.

En dépit de son aura, ternie par des guerres de conquêtes et l’oppression coloniale au son de La Marseillaise, en dépit aussi du chauvinisme que ce chant a servi, il s’imposa quand même l’hymne des révolutions en Europe et ailleurs. Et pourtant il s’en est fallu de peu que le stade de Furiani soit le seul d’Europe où ne retentisse pas l’hymne révolutionnaire. Les dirigeants du SECB dont on connait les sympathies politiques voulaient lui substituer un chant religieux, le Dio vi salve Regina choisi comme hymne par les nationalistes corse il y a 40 ans. Hymne religieux (venu de Naples) contre hymne français (pur jus) laïque.(2) C’était sans compter sur la saine réprobation soulevée par cette décision. Mais plus encore, les dirigeants du club pouvaient craindre la mise à l’index par l’Europe entière (et les remerciements de Daech en prime). Le match étant perdu d’avance pour le SECB, les dirigeants ont reculé. Contraints et forcés, ils firent exécuter La Marseillaise… et le Dio vi salve Régina. Un match nul, à l’arraché !

A ceux qui ont refusé d’entrer au stade pendant l’exécution de l’hymne français, manifestement des jeunes, on serait tenté d’emprunter les paroles de Jésus rapportée par la Bible: « Père, pardonnez-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. » Plus sérieusement, aux dirigeants du club, ce ne sont pas des paroles d’évangiles ou bibliques qu’il sied de rappeler mais bien des faits avérés ; un peu d’histoire quoi. A commencer par ce que racontait Jérôme Santarelli, arrêté en même temps que Jean Nicoli et qui fut déporté en Italie. A la faveur de la confusion et de la débandade de ses geôliers face à l’avancée des Alliés libérant l’Italie, Jérôme avait pu s’enfuir. Lors de son errance, il rencontre des Résistants italiens qui, après bien des vérifications, le conduisent au chef de la Résistance locale qui était caché dans une montagne proche. C’était un professeur de français. « Après quelques paroles de bienvenue, dans un élan de fraternité, nous avons entonné La Marseillaise » racontait J. Santarelli. Chanter La Marseillaise, interdite par les nazis et fascistes qui abhorraient la Révolution française, c’était résister. Pour la circonstance, durant les « Années noires », comme en janvier et novembre 2015, la flamme universaliste de La Marseillaise se rallume chaque fois au souffle de la tyrannie. Concordance des temps.

Comme Jérôme Santarelli, l’historien Jean-Louis Crémieux Brilhac témoigne qu’au contact des populations alliées, les Free French (Français Libres) redécouvraient l’extraordinaire popularité internationale de La Marseillaise qui incarnait « une certaine idée de la France ». Il relate la libération des prisonniers français de 1940 (dont il était) et qui ont pu s’évader des prisons allemandes par l’URSS passée dans le camp Allié après la rupture du pacte germano-soviétique. Les prisonniers quittent leur camp soviétique à l’automne 1941, encouragés par des prisonniers polonais ui entonnent une « Marseillaise mieux chantée que la nôtre » aux dires de Jean-Louis Crémieux Brilhac . Après quoi, les anciens prisonniers français embarquent sur un navire anglais et :  » Quand le premier met le pied sur la passerelle, c’est tout le navire britannique, au-dessus de nous, qui entonne La Marseillaise. « 

La Marseillaise fut aussi le chant des manifestants quand ils bravaient l’interdiction de l’occupant ; le chant qui montait des prisons et des camps ; celui que les condamnés à mort chantaient pour aller au poteau d’exécution ; que certains chantaient même, à l’ultime instant de leur vie, face au peloton d’exécution. « Dieu me donnera la force de braver la souffrance. Si je dois mourir fusillé, ce sera en chantant La Marseillaise. » écrit Guy Flavien, encore libre à ses parents. « On leur chantera dans la gueule… » dit ce compagnon d’André Frossard avant son exécution. France-Bloch Sarazin a rapporté que c’est en chantant La Marseillaise qu’elle et ses infortunées compagnes sont accueillies à leur retour du tribunal qui a confirmé leur condamnation à mort.

« En 1946, écrit Bruno Leroux, pour la première fois, la nouvelle Constitution explicite le statut d’hymne national de La Marseillaise (titre premier, article 2). C’est reconnaître qu’elle a trouvé, grâce à la Résistance, une nouvelle légitimité, dans la continuité du Front populaire. » (3) Une légitimité acquise avec le sang de ses martyrs. Ces martyrs dont la Corse a donné sa part. Les dirigeants du club de Bastia feraient bien de s’en souvenir.

ANACR 2A

(1) Dieu sauve le roi. Au lendemain de Valmy, le général Kellermann demande à Servan, ministre de la guerre, l’autorisation de faire chanter le Te Deum. Réponse du ministre :  » La mode du Té deum est passée, il faut y substituer quelque chose de plus utile et de plus conformes à l’esprit public : La Marseillaise. (Réf. « La Marseillaise » Frédéric Robert. Imprimerie Nationale Editions. pp. 31, 32)
(2) On ne peut manquer relever la préférence de Pétain pour la fête de Jeanne d’Arc plutôt que celle du 14 juillet.
(3) Dictionnaire historique de la Résistance. Collection Bouquins. P. 951 à 953.

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